Rassemblement oecuménique «Justice et Paix» du 15 au 21 mai à Bâle(120589)

Pour la première fois depuis la réforme

Les chrétiens d’Europe se concertent sur «Paix et Justice»

Fribourg, 12mai(APIC/CIP) «L’avenir sera anéanti, faute de participation». Ce slogan lu sur un mur d’une ville en Suisse reflète bien l’inquiétude que fait naître chez certains l’indifférence de l’humanité face à tout

ce qui constitue une menace pour sa survie. L’avertissement est clair:

l’inaction et la résignation doivent faire place à la prise de conscience

et à l’engagement. Tel sera le but du rassemblement oecuménique «Paix et

Justice» qui réunira du 15 au 21 mai à Bâle, durant la semaine de Pentecôte, plus de 10.000 personnes provenant de tous les pays et de toutes les

Eglises d’Europe. Une première depuis la réforme!

Les organisateurs de la rencontre sont la Conférence des Eglises d’Europe (KEK), qui groupe 120 Eglises non catholiques (orthodoxes, anglicans,

réformés, vieux-catholiques, baptistes…), et le Conseil des Conférences

épiscopales d’Europe (CCEE), qui regroupe les 25 Conférences épiscopales

nationales et régionales catholiques romaines.

Quelque 700 délégués prendront part aux travaux. Ils seront pour une

moitié catholique, l’autre étant issue des Eglises membres de la KEK, en

tenant compte de la représentation nécessaire des jeunes et des femmes.

Chaque pays a droit à un quota de participants, répartis en proportion de

la représentativité des Eglises locales. Pour sa part, la Suisse sera

représentée par 27 délégués, dont 14 catholiques, 9 hommes et 5 femmes; 10

de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse, 6 femmes et 4 hommes;

2 représentants de l’Eglise évangélique méthodiste et 1 vieux-catholique.

L’Eglise baptiste ayant pour sa part renoncé à toute participation. La

délégation catholique comprendra deux évêques auxiliaires: Mgr Joseph Candolfi et Mgr Amédée Grab. Mais Bâle sera aussi un rassemblement largement

ouvert au public et aux journalistes. Plus de 200 journalistes et une quinzaine de chaînes de télévision étaient déjà accrédités fin avril.

A l’origine, certains avaient souhaité un rassemblement plus réduit de

spécialistes. La formule «ouverte» a finalement été retenue, même si elle

représente un risque: celui d’une «contre-publicité» si la montagne venait

à accoucher d’une souris. Reste, comme le rappelait Jean Fischer, secrétaire général de la KEK, le 26 avril à Paris, qu’»il ne faut pas situer Bâle

comme un événement en soi: c’est un processus, et ce qui viendra après

justifiera – a posteriori – ce qui s’y est passé, c’est-à-dire un engagement à travailler ensemble pour l’avenir».

De Bonhoeffer à Weizsäcker

L’idée d’un grand rassemblement des chrétiens pour la paix ne date pas

d’hier. Elle doit beaucoup à l’appel à s’engager pour la paix lancé au sein

des Eglises luthériennes de la République Démocratique Allemande avant

d’être répercuté ensuite dans toute l’Allemagne, ou les mouvements pacifistes ont pignon sur rue. En 1934 déjà, le pasteur et théologien Dietrich

Bonhoeffer, qui allait être exécuté par les nazis au camp de Flossenbürg en

1945, déclarait que «seule une assemblée oecuménique de la Sainte Eglise de

Jésus-Christ dispersée dans toutes les parties du monde peut appeler à la

paix…» Son appel était relayé en 1940 par le Père Metzger. Ce dernier invitait en effet Pie XII à rassembler tous les chrétiens pour la paix et

l’unité: «Le christianisme, écrivait-il, n’est-il devenu qu’un mot vide?

L’Eglise n’a-t-elle aucune influence sur la situation du monde et peut-elle

laisser faire le jeu du mal en se taisant?»

Ce souhait sera répercuté à l’assemblée mondiale du Concile Oecuménique

des Eglises de Vancouver, en 1983, à l’adresse de ses 4.500 délégués et de

ses 308 Eglises membres. Devant leur inertie, le célèbre physicien et philosophe allemand Friedrich Weizsäcker lança un appel solennel et urgent aux

Chrétiens pour «un rasemblement oecuménique mondial pour la paix». Il

publiait en 1985 son livre «Le temps presse», en donnant à sa préoccupation

pour la paix et la justice une dimension écologique.

Mise en place d’un rassemblement: l’idée se concrétise

En 1986, lors de sa 9e assemblée générale, la KEK propose la convocation

d’un rassemblement des Eglises de tous les pays signataires de l’Acte final

d’Helsinki, pour un travail commun sur les questions de Paix et de Justice.

Invité à s’y associer, le CCEE donne son accord pour être co-invitant à une

telle rencontre: Bâle 1989. Mais 1986, c’est également l’année de la fameuse rencontre interreligieuse de prière pour la paix d’Assise, convoquée par

Jean Paul II.

De son côté, le Conseil Oecuménique des Eglises (COE) a souhaité mettre

sur pied avec l’Eglise catholique une rencontre mondiale sur le Thème «Justice, Paix et Sauvegarde de la Création». Celle-ci se tiendra en mars 1990

à Séoul (Corée). Sans y avoir de responsabilités propres pour des raisons

d’ecclésiologie, l’Eglise catholique participera au processus conduisant à

ce rassemblement mondial et y collaborera en mettant des experts à la disposition du COE. S’il est une étape sur le chemin de Séoul, auquel il apportera une contribution essentielle, Bâle 1989 ne sera cependant pas un

pré-rassemblement de ce sommet mondial.

Un appel aux consciences

Pour situer le rassemblement de Bâle, il ne faut pas oublier que l’Europe est à un tournant très important: le dialogue Est-Ouest, le futur grand

marché européen. Pour ce rassemblement apparaissent cependant des points de

divergence – qui existent plus au sein de chaque Eglise qu’entre les Eglises elles-mêmes – comme le désarmement, ou l’Afrique du Sud, entre autres.

Selon J. Fischer, ces questions pourraient susciter de «gros débats». Des

points d’accord aussi et, toujours d’après J. Fischer, les participants

devraient parvenir à des prises de position communes. Ce qui est sûr, si

l’on se réfère aux réactions des participants à l’avant-projet de document

de travail, ce sont surtout les questions liées à la paix et à la justice

qui seront au centre des débats.

L’espoir des organisateurs est que la rencontre de Bâle fournisse aux

délégués l’occasion de donner leur vision de l’Europe: une Europe «servante» de l’humanité, dans un contexte de crise mondiale. A cet égard, on peut

s’attendre à des interpellations de la part des Eglises des autres continents. Il importe aussi de souligner que Bâle est un rassemblement de

chrétiens, et que ceux-ci ne pourront éluder leurs responsabilités. Comme

le souligne Mgr Wyrwoll, délégué du CCEE pour la préparation du rassemblement, celui-ci «ne doit pas être un appel moral à ceux qui sont hors de

l’Eglise, aux gouvernements et aux milieux économiques; Bâle doit en premier lieu interpeller les chrétiens eux-mêmes à changer leur comportement.

Telle serait la véritable révolution». La démarche comporte donc pour les

chrétiens une triple dimension: «La confession de leurs fautes, la nécessité de la conversion et l’appel à l’engagement».

«Légitimité des Eglises pour intervenir dans le domaine social»

On ne peut contester la légitimité des Eglise pour intervenir dans le

domaine social. Nicolas Buttet, collaborateur du Vatican auprès du COE, le

rappelle opportunément dans le numéro de mai de «Choisir», revue mensuelle

publiée par les jésuites suisses: l’Eglise catholique a toujours affirmé le

lien étroit entre sa mission d’évangélisation et la promotion humaine. Il

ajoute: «Cependant, les Eglises ne peuvent avoir la prétention d’apporter

des réponses techniques. Elles se doivent par contre de lancer un appel

clair aux consciences en brisant les préjugés, en rappelant ’à temps et à

contre-temps’ les exigences de l’évangile. Elles ne pourront proposer un

produit de remplacement aux chlorofluorocarbones qui détruisent la couche

d’ozone; elles ne pourront pas plus effacer les 1.300 milliards de dollars

de dette du tiers-monde, ni stopper la course aux armements. Le monde pourra le faire avec beaucoup plus de compétences. Mais les Eglises devront

préciser la place particulière de l’homme dans la création comme «intendant

fidèle» de celle-ci; rappeler aux pays industrialisés et aux créanciers

comme aux débiteurs la destination universelle des biens, et la nécessaire

solidarité qui dépasse les égoïsmes personnels et nationaux; elles devront

enfin dénoncer la course aux armements comme ’un vol, un crime, une folie’

et le commerce des armes comme un scandale».

Un document de travail et un «message»

La base de discussion dans les Eglises et entre chrétiens qui ont

préparé le rassemblement est un avant-projet de document de travail rédigé

par un petit comité du groupe mixte de planification KEK-CCEE. Plus de 500

réactions à ce document sont venues de presque tous les pays d’Europe, émanant d’Eglises, de communautés oecuméniques, de groupes paroissiaux, de

mouvements… Dans de nombreux cas, ces réactions ont été le fruit d’un

processus oecuménique et concernaient aussi bien le document lui-même, sa

structure et ses accents que des propositions d’amendement.

Tenant compte de ces contributions, un deuxième projet de document a été

proposé en avril dernier. Son plan est le suivant; 1) Le rassemblement, son

histoire, son but, son rôle; 2) Les menaces qui pèsent sur la Justice, la

Paix et l’Environnement et les causes de cette crise; 3) La foi que nous

affirmons; 4) Confession des péchés et conversion à Dieu; 5) Vers l’Europe

de demain; 6) Affirmations fondamentales, engagements, recommandations et

perspectives d’avenir. A Bâle, le processus de mûrissement de ce document

se poursuivra au sein des groupes de travail, avant d’être présenté en assemblée plénière, amendé et, éventuellement, soumis au vote des 700

délégués.

Comme le précisait le 20 avril le secrétaire général de la KEK, ce document n’est pas le but en soi du Rasemblement, mais il permettra de concrétiser les «propositions», qui devront être suivies de leur «réception»

par les Eglises. Les délégués de Bâle n’ayant pas, en effet, le pouvoir

d’engager leurs Eglises. Compte tenu des réactions, dont certaines demandaient un texte plus court, les organisateurs, conscients qu’il était difficile de réduire un tel document, environ 30 pages, ont décidé de l’accompagner d’un bref «Message», qui sera élaboré au cours du rassemblement.

Un «Atelier de l’avenir de l’Europe»

Comme tout rassemblement, celui de Bâle sera jalonné de quelques discours. En outre, 24 conférences seront données en soirée, avec la participation de spécialistes. Un «Atelier de l’avenir de l’Europe» sera le point

de rencontre des délégués et des visiteurs venus de toute l’Europe; il permettra aux quelque 200 groupes, installés sur une surface de 6.200m2, de

présenter diverses réalisations. Bâle sera enfin un événement spirituel:

des ateliers d’études bibliques seront accessibles à tous les visiteurs;

des célébrations et prières oecuméniques ou dans les différentes traditions

auront lieu partout dans la ville.

Quant au choix de Bâle comme lieu de rassemblement, il se justifie à divers titres, relèvent les organisateurs. La ville occupe une place centrale

en Europe; les frontières de trois pays (RFA, France et Suisse) s’y rejoignent. Par ailleurs, une invitation a été reçue de Bâle. Là a siégé dès

1431 le Concile de Bâle (dialogue religieux avec les Hussites, entretiens

avec l’orthodoxie). Erasme de Rotterdam, qui y a écrit son essai «Querela

pacia», y repose dans la cathédrale protestante, lui qui fut un penseur

catholique. (apic/cip/pr)

12 mai 1989 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 7  min.
Partagez!