Fribourg: Le chant choral, une espèce en voie de disparition?
Recherche directeur/trice de chœur désespérément!
Fribourg, 11 février 2011 (Apic) Dans le canton de Fribourg, de nombreux chœurs peinent à recruter un directeur ou une directrice, parfois au risque de disparaître. Elément indissociable du patrimoine et de l’identité fribourgeoise, dans le sillage des abbés Bovet et Kaelin et de tant d’autres compositeurs, le chant choral est-il en crise? Notre enquête.
«Cherche directeur/trice de suite ou à convenir»: pas une semaine sans que paraisse une petite annonce du genre dans la presse ou sur Internet. A Surpierre (Broye fribourgeoise), comme à Arconciel, Botterens-Villarbeney, Courtepin, Le Pâquier, Rossens ou dans de nombreux autres endroits du canton, le chœur mixte paroissial «Ensemble» est en quête de la perle rare depuis plusieurs mois, sous peine de disparaître. L’ensemble broyard compte une vingtaine de membres motivés et passionnés. Mais voilà: les chefs ne se pressent pas au portillon. La raison? Certains parlent d’un problème de salaire; d’autres mettent la faute sur le registre de chant, pas «assez original et motivant», ou encore sur le fait qu’il faut assurer l’animation des messes et des enterrements. «Trop astreignant», entend-on dire. La société actuelle est ainsi: donner des concerts ou aller à l’Eglise n’est vraisemblablement plus une priorité pour une majorité de chanteurs et de chanteuses.
On évoque aussi un problème de distance: nombreux sont les directeurs/trices qui veulent que leurs déplacements soient défrayés. Autre constatation: les chœurs céciliens vivent mal le regroupement des paroisses en secteurs pastoraux. Ils acceptent difficilement d’aller chanter ailleurs ou de collaborer avec d’autres ensembles, souvent par peur de perdre leur identité et d’être noyés dans la masse.
Fini le temps de instituteurs!
Pour Christian Clément, président de la jeune Fédération fribourgeoise des chorales (FFC) (*), un faible effectif et une moyenne d’âge «élevée» constitueraient aussi des obstacles au renouvellement de la direction des chœurs. Il rappelle que la réforme du Conservatoire et la nouvelle formation des instituteurs à la HEP ont changé la donne. «Former des chefs de chœurs était au programme de feu l’Ecole normale. Ce n’est plus le cas à la HEP, explique-t-il. Le temps où l’instituteur engagé dans une commune dirigeait d’office le chœur mixte paroissial et jouait des orgues est révolu».
Christian Clément souligne pourtant qu’un chef de chœur n’est pas un bien introuvable actuellement. Il explique que la FFC s’engage pour que les directeurs et les chanteurs puissent bénéficier d’une formation de qualité: «Nous organisons un cours préparatoire, destiné à compléter et étendre les compétences nécessaires aux futurs candidats des cours de chef de chœur du Conservatoire. De leur côté, les chanteurs peuvent aussi suivre des cours de solfège et de culture chorale.» Un des buts de la FFC est de «développer l’offre du Conservatoire pour les chefs de chœurs et de faire en sorte que ce dernier devienne prochainement l’un des sites de la Haute école de musique de Suisse romande», avait déclaré la Conseillère d’Etat Isabelle Chassot, lors de l’assemblée constitutive de la FFC, le 21 juin 2005.
«Les mentalités doivent changer»
Mais alors, pourquoi est-il si difficile de recruter un/e directeur/trice de chœur? «Il est clair que reprendre un chœur demande aujourd’hui un plus grand investissement», avoue Christian Clément. Cela justifie aussi un salaire plus conséquent, car la formation est assez longue – au minimum 3 ans – et elle coûte quand même de l’argent. C’est normal qu’un directeur ne veuille plus travailler pour 1’500 francs par année. Et là, les mentalités doivent changer. Une partie de ses frais doit être prise en charge par les paroisses.»
Pour le président de la FFC, le fait de devoir assurer l’animation des messes n’est pas rédhibitoire. Il estime que les chœurs profanes ne sont pas plus prisés par les chanteurs et chanteuses que les chœurs d’Eglise, bien au contraire: «La motivation de chanter à l’Eglise est toujours là. De plus, le registre religieux permet de travailler la voix différemment». Pour lui, il faut plutôt regarder du côté des chanteurs, qui ont parfois des réticences à suivre leur chef dans ses choix de partitions ou dans sa manière de conduire les répétitions.
Christian Clément ne s’inquiète donc pas outre mesure du problème de recrutement de directeurs/trices: «Notre association compte 254 chœurs, dont 135 Céciliennes francophones et 20 alémaniques (quelque 3’500 chanteurs, ndlr), soit un total de plus de 7’200 chanteurs et chanteuses. Chaque année, il y a bien une ou deux chorales liturgiques qui meurent, mais elles sont remplacées par d’autres, souvent profanes. C’est la tendance actuelle, mais nos effectifs restent stables. C’est aussi une preuve que la relève est là».
(*) Depuis le 21 juin 2005, la Fédération fribourgeoise des chorales (FFC) rassemble sous une même entité les chœurs d’enfants, les Céciliennes (chœurs religieux, ndlr), les chœurs ouverts (tous les chœurs fribourgeois ne faisant pas partie d’une des quatre associations suivantes: l’Association fribourgeoise des chœurs d’enfants et de jeunes, les Céciliennes, les Cäcilienverband et le Sängerbund, ndlr), francophones et alémaniques, de tout le canton.
Interview: Francis Volery, directeur et compositeur broyard
Le Broyard Francis Volery connaît tout ce qui fait la vie des chorales. Professeur de musique au Gymnase intercantonal de la Broye (GYB), directeur musical des Associations de Céciliennes (AC) de la Vallée de la Broye et de la Haute-Broye, il a composé quelque 400 pièces de musique religieuse ou profane.
Apic: Peut-on dire que le chant choral fribourgeois, surtout liturgique, est en crise?
Francis Volery: Il y a surtout une crise liée à la sécularisation de la société. Et comme chanter à l’Eglise est lié au fait de pratiquer sa foi… Nous sommes effectivement dans le creux de la vague, mais ce n’est pas inquiétant, car la situation est assez bonne au niveau cantonal. Les Céciliennes forment un bon noyau et les fêtes qu’elles organisent sont toujours très courues et appréciées. La situation n’est pas si dramatique que ça, la vie chorale n’est pas encore à terre.
Apic: Les chœurs liturgiques sont-ils victimes du succès des chœurs profanes, et ce, malgré la diminution de la fréquence des messes?
Francis Volery: Les chœurs religieux doivent penser qu’à la messe, ils ont la chance de se produire régulièrement, contrairement aux chœurs profanes qui doivent organiser des concerts. Certes, le répertoire proposé par le clergé et les animateurs liturgiques, plus corsé, pose souvent des problèmes aux chefs et aux choristes sur le plan de leur niveau musical. Il y a aussi le problème de la place des chœurs dans la liturgie: ces derniers souhaitent ne plus être simplement des substituts des assemblées, mais des ensembles vocaux dignes de ce nom. Moi je dis qu’il ne faut pas faire de la musique au rabais: il faut chanter moins, mais mieux. Et il faut aussi donner au chœur sa place propre.
Apic: Peut-on dire que les chefs de chœurs sont devenus une denrée rare?
Francis Volery: Pas du tout. La relève est là. Il y a de bons chefs, qui ont entre 20 et 30 ans, et qui écrivent beaucoup de pièces pour l’Eglise.
Apic: Alors comment expliquez-vous que les chœurs mixtes aient autant de peine à trouver des chefs?
Francis Volery: Je vais peut-être dire une bêtise mais, personnellement, je pense qu’il y a trop de chœurs et que chacun d’entre eux a ses petites activités dans son coin. Avec la formation des Unités pastorales (UP), on assiste à un phénomène de rapprochement, voire de fusion des chœurs. Cela devient parfois même une obligation s’ils ne veulent pas disparaître. On a donc une vue d’ensemble plus large, avec des chœurs plus étoffés et donc meilleurs.
Apic: Le salaire des directeurs constitue-t-il vraiment un problème?
Francis Volery: Oui, parce que d’un côté le directeur demande plus de salaire qu’autrefois et de l’autre, il y a moins de messes. Mais il ne faut pas oublier que les directeurs sont aujourd’hui formés ailleurs qu’à l’Ecole normale. Ils suivent une formation plus «professionnelle» et leur métier a été revalorisé. C’est donc normal qu’on les paie, et mieux qu’avant. Il est aussi normal que la paroisse participe au défraiement du directeur, mais aussi que les chanteurs eux-mêmes contribuent aux frais occasionnés par le volet profane (partitions, etc.). On pourrait aussi imaginer que les communes versent des subsides aux chœurs. Finalement, c’est le contrat chœur-Eglise qui est à revoir, pas le contrat chef-Eglise. On y travaille…
Apic: On entend souvent dire que les chœurs, dont l’effectif est restreint, sont peu attirants…
Francis Volery: J’ai dirigé le chœur «Ensemble» de Surpierre, quelques mois jusqu’à Noël dernier. Ils sont une vingtaine, mais je peux vous dire que le nombre n’affecte pas la qualité.
Apic: Finalement, comment voyez-vous l’avenir du chant choral en pays de Fribourg?
Francis Volery: Je pense que cette peine à trouver des directeurs n’est pas un problème pessimiste en soi. Le phénomène de regroupement des chorales liturgiques est une bonne chose, même si cela est parfois difficile pour certains chœurs. En outre, il y a un très bon niveau et une grande capacité d’innovation pour faire vivre le chant choral, à l’exemple de «Tutticanti», première fête de la Fédération fribourgeoise des chorales, du 22 au 26 juin 2011, à Romont. Les formations restreintes (quatuor, ensemble vocal, chœur à projet, etc.), qui excellent dans un domaine particulier, comme le classique, le gospel ou le jazz, sont également à la mode. Et bon nombre de chefs s’engagent dans ce genre de défi. (apic/nd)