Rencontre avec sœur Claire-Marie
Fribourg: «La différence entre hommes et femmes dans l’Eglise catholique, un apartheid»
Fribourg, septembre 2011 (Apic) Quelle place pour la femme dans l’Eglise? Soeur Claire-Marie, femme en pantalons, religieuse engagée et bloggeuse de 88 ans, raconte l’»Eglise peuple de Dieu» et l’»Eglise institution». L’auteur de «L’Histoire inavouée de l’apartheid», qui a vécu 40 ans en Afrique du Sud, donne sa vision d’un autre «apartheid»: celui qui sépare hommes et femmes dans l’Eglise catholique romaine. Interview dans son petit bureau, à l’Institut Sainte-Croix de Bulle.
Apic: On dit volontiers que l’Eglise est un monde d’hommes. Comment porter la jupe au milieu des soutanes?
Soeur Claire-Marie: On ne peut parler de l’Eglise des jupes et des soutanes, parce que l’Eglise, c’est le peuple de Dieu, les petites gens, sans pain et sans travail, qui cherchent un sens à la vie. Dans cette Eglise, il n’y a pas de frontières, pas de distinctions entre hommes et femmes. Dieu a créé l’homme et la femme d’égal à égal et non pour que l’un domine l’autre.
La différence entre hommes et femmes, dans l’Eglise catholique, ne trouve pas son fondement dans la Bible. Elle a été imposée par des ›mâles’, au cours des siècles. C’est un apartheid.
Apic: Que pensez-vous alors de l’Eglise de Rome, qui interdit l’ordination des femmes?
Soeur Claire-Marie: Par sa rigidité doctrinale, l’Eglise de Rome, l’»Eglise institution», s’est coupée de la base, du peuple de Dieu. Elle est persuadée que la hiérarchie doit protéger la foi, alors que c’est dans le petit peuple que la foi est vivante.
Jésus n’est pas venu fonder une Eglise sacerdotale, il n’a pas rédigé de canon prohibant l’ordination des femmes. Il a au contraire invité hommes et femmes à construire ensemble le royaume en partageant le pain. L’Eglise a commencé autour d’une table.
Apic: Mais autour de cette table, il n’y avait que des hommes…
Soeur Claire-Marie: On s’en fiche qu’il n’y ait eu aucune femme à ce moment-là. Si saint Pierre n’a pas pris sa femme avec, c’est son affaire. On ne va pas déterminer tout l’avenir d’une religion à partir d’éléments culturels. L’»Eglise institution» a oublié que Jésus avait une grande amitié pour les femmes. Elle considère la femme comme un être inférieur, qu’il faut soit protéger, soit dominer. Qu’elle prétende fonder cette position sur la Bible, c’est la pire des choses.
Apic: Pourquoi être restée dans l’Eglise catholique alors que vous êtes en désaccord avec l’institution?
Soeur Claire-Marie: Je suis restée par fidélité au peuple de Dieu, qui est pour moi la seule vraie Eglise. Je ne prétends pas être meilleure que les évêques. Mais je n’ai ni crosse ni mitre derrière lesquelles me cacher.
Apic: Vous n’êtes pas tendre avec l’»Eglise institution». Comment se fait-il que vous puissiez parler si librement sans être inquiétée?
Sœur Claire-Marie: Cela n’est pas facile. Pratiquer une loyauté critique envers l’institution et envers l’»Eglise peuple de Dieu» est un défi que je relève avec le soutien de personnes prophétiques. Ces prophètes, hommes et femmes, payent le prix d’une parole libre et, plus important, leur témoignage de vie authentifie ce qu’ils disent par fidélité à l’Evangile de Jésus. Nous sommes solidaires. C’est une force et une consolation.
Apic: Comment sont les soeurs qui s’engagent aujourd’hui?
Soeur Claire-Marie: Les soeurs d’aujourd’hui veulent s’engager en faveur de la justice et de la dignité humaine. Mais ça n’est pas facile. Le poids de l’institution, murée dans la tradition, empêche souvent le développement d’initiatives.
Je pense que la forme de la vie religieuse doit changer. En Afrique du Sud, de petites communautés autonomes de trois ou quatre soeurs sont fondées dans les townships. Les soeurs, qui travaillent à l’extérieur comme institutrices, assistantes sociales ou infirmières, partagent la vie des gens au quotidien.
Apic: Les soeurs doivent donc être dans la rue, pas derrière des murs?
Soeur Claire-Marie: Absolument. Jésus n’était pas dans un couvent, il vivait hors de tous les murs. Les soeurs doivent être dans la rue, près du peuple de Dieu. Je ne comprends pas pourquoi on enferme des femmes derrière quatre murs, même si je reconnais qu’on a fait de bonnes choses dans les couvents.
Apic: Le regard de notre société a-t-il changé vis-à-vis des soeurs?
Soeur Claire-Marie: Je pense qu’en Suisse, en Europe, les gens sont reconnaissants envers les soeurs qui se sont engagées dans le soin aux malades et dans l’éducation. Mais les personnes sont perturbées par ces grandes maisons, signe extérieur de richesse. Et comme ils ne peuvent pas vraiment y entrer, ils ignorent que les soeurs vivent souvent très pauvrement.
Apic: Et le regard de l’»Eglise institution»?
Soeur Claire-Marie: Pour l’»Eglise institution», les soeurs sont encore des servantes qu’il faut enseigner. Elles représentent une force de travail mais également une menace si elles commencent à penser par elles-mêmes.
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