Rencontre controversée du pape avec des Palestiniens et Israéliens
Le 22 novembre 2023, le pape François a reçu les proches de plusieurs otages israéliens retenus par le Hamas dans la bande de Gaza, puis des proches de Palestiniens souffrant du conflit en Terre sainte. Une séquence qui a suscité de la reconnaissance mais aussi une forme de mécontentement du côté israélien, et généré autant d’espoir que de confusion du côté palestinien.
Ce matin avant l’audience générale place Saint-Pierre, chaque délégation a été reçue par le pape pendant une vingtaine de minutes. La délégation israélienne, composée de douze proches de personnes prises en otage le 7 octobre, a été accueillie par le pape dans sa résidence Sainte-Marthe. Le pape s’est ensuite rendu dans un espace attenant à la salle Paul VI, où il a retrouvé les dix membres de la délégation palestinienne, constituée principalement d’immigrés Gazaouis résidant en Europe ainsi que d’une Palestinienne habitant à Gaza mais qui a récemment pu fuir la zone de guerre grâce à son passeport canadien.
A l’écoute des proches des otages
Pour communiquer sur leur rencontre, les délégations avaient chacune organisé une conférence de presse à Rome. Les Israéliens se sont retrouvés dans le centre juif italien Pitigliani alors que les Palestiniens ont accueilli les journalistes dans une salle de l’Institut Maria Santissima Bambina, à proximité de la place Saint-Pierre.
Du côté israélien, certains participants ont exprimé une vive déception, tel Yehuda Cohen qui a affirmé que le pontife n’avait «pas vraiment pris le temps» de parler avec tous et regretté qu’il en soit resté à «une déclaration générale» sur la guerre. D’autres, comme Alexandra Ariev, dont la sœur Karina a été enlevée, ont en revanche exprimé leur reconnaissance au pape de leur avoir consacré «son temps précieux, même brièvement», exprimant leur certitude «qu’il a agi avant [cette audience] et qu’il continuera à agir».
Rachel Goldberg, dont le fils unique de 23 ans, Hersh, a été kidnappé après avoir perdu un bras dans des tirs, a souligné la «grande influence» du pape dans le monde. «Il est très respecté dans le monde musulman, dans le monde juif, quand il parle le monde écoute», a affirmé celle qui a confié que son cœur de mère avait été «enterré à Gaza».
Pas d’équivalence entre le Hamas et Israël
Répondant aux questions de la presse, les intervenants ont réagi aux paroles du pape François qui après les avoir rencontrés, a déploré durant l’audience générale que les affrontements en Terre sainte ne soient pas «une guerre» mais «du terrorisme», en semblant viser les deux parties du conflit.
Nadav Kipnis, qui a perdu ses deux parents dans les attaques du 7 octobre, s’est opposé à toute «équivalence» entre le Hamas et Israël, le premier utilisant «les civils comme boucliers humains» à Gaza. Yuval Danzig, dont le père Alexander a été enlevé à 75 ans alors qu’il a de graves problèmes cardiaques et ne peut survivre sans médicaments, a pour sa part dénoncé «un deuxième holocauste par les nazis du Hamas».
Tous ont en revanche nié avoir entendu le pontife assimiler les actes d’Israël à du terrorisme durant leur audience privée. L’un d’eux a regretté qu’il n’ait pas parlé «du Hamas comme organisation terroriste». «Nous sommes tous contre la guerre, nous ne voulons pas d’innocents tués des deux côtés, c’est le message principal», a insisté Alexandra, reprenant le micro pour prêcher l’apaisement.
«On ne peut pas répondre au terrorisme par le terrorisme»
De leur côté, les participants palestiniens ont exprimé leur satisfaction après leur rencontre avec le pape, affirmant que ce dernier avait été sensible à leurs témoignages et qu’il était très renseigné sur leur situation. «On ne peut pas répondre au terrorisme par le terrorisme», leur aurait-t-il déclaré.
Pendant la rencontre, il aurait aussi montré de la sollicitude pour le sort des otages israéliens et aurait condamné l’attaque du Hamas le 7 octobre dernier, selon une des participantes. Les membres de la délégation ont aussi profité de leur brève entrevue avec le pape pour lui demander de se rendre à Gaza. Ce à quoi le pape aurait répondu qu’il allait consulter les canaux diplomatiques afin de déterminer le moment et le moyen le plus propice pour s’y rendre.
Confusion sur l’emploi du terme « génocide »
La conférence de presse des Palestiniens a été marquée par une certaine confusion après les propos de Shireen Awwad Hilal, une enseignante chrétienne de Bethléem. Selon elle, le pape a déclaré que la Palestine vivait «un génocide». Une information que le directeur du Bureau de presse du Saint-Siège, Matteo Bruni, s’est empressé de démentir, assurant que le pape avait employé pendant la rencontre «les termes avec lesquels il s’est exprimé lors de l’audience générale» pour décrire «la terrible situation vécue à Gaza».
Malgré ce démenti survenu pendant la conférence, les membres de la délégation palestinienne ont maintenu leur déclaration. «Nous étions dix et nous l’avons tous entendu», a insisté l’un d’entre eux, soulignant le fait qu’ils n’étaient pas venus «pour déformer l’information».
Pendant le reste de la conférence, les Palestiniens ont insisté sur la situation dramatique qui frappe Gaza. Un cadre dans l’informatique résidant en Belgique, Mohammed Halalo, a même affirmé avoir perdu 13 membres de sa famille. Ils ont tous vivement incriminé Israël, mais ont montré de la réticence à se prononcer sur les responsabilités du Hamas.
La réaction des ambassadeurs
Tout en se défendant de commenter «directement» les propos du pape durant l’audience générale, l’ambassadeur d’Israël près le Saint-Siège Raphael Schutz, a tenu à faire une «distinction morale» entre Israël et le Hamas. Ce dernier «attaque des civils juste pour attaquer et tuer des civils – et il n’a cure des civils qui sont supposés être de son côté», a-t-il dénoncé en citant un des porte-paroles de l’organisation assurant que les Palestiniens de Gaza n’étaient «pas de leur responsabilité». Israël de son côté est engagé «dans une guerre de défense pour protéger ses propres citoyens […] en essayant de minimiser autant que possible les victimes à Gaza», a ajouté le diplomate.
À rebours, l’ambassadeur palestinien près le Saint-Siège, Issa Jamil Kassissieh, a salué avec insistance la déclaration du pape François pendant l’audience générale. Il s’est félicité plus globalement de son engagement, affirmant qu’il avait été «un des premiers» à demander un cessez-le-feu et l’acheminement d’une aide humanitaire à Gaza. (cath.ch/imedia/cd/ak/rz)