Mgr Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille, est apprécié par le pape François pour son attachement à la "Méditerranée heureuse" | © Keystone/AFP PHOTO / VATICAN MEDIA
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Rétro 2023: le pape et la France

«Bonjour Marseille, bonjour la France!»: par cette exclamation improvisée lancée au début de la messe célébrée au Stade Vélodrome à Marseille le 23 septembre 2023, le pape François a dénoué les polémiques sur son refus initial de considérer cette visite dans la cité phocéenne comme un déplacement en France.

Avec ce voyage apostolique, mais aussi la publication de deux documents sur Blaise Pascal et Thérèse de Lisieux, sans oublier la création de deux nouveaux cardinaux de nationalité française, le lien entre le pape argentin et la France a gagné en visibilité au long de cette année 2023. Le pontife, bien que souffrant, a par ailleurs reçu une délégation de victimes d’abus venues de l’ouest de la France le 28 novembre, leur demandant pardon au nom de l’Église.

Le dernier voyage du pape François à ce jour s’est déroulé sur le sol français: au terme d’une année marquée par d’intenses déplacements internationaux (République démocratique du Congo, Soudan du Sud, Hongrie, JMJ de Lisbonne et Mongolie), le pape François s’est finalement rendu à Marseille les 22 et 23 septembre pour les Rencontres méditerranéennes, dont il avait raté la précédente édition, en février 2022 à Florence, pour raison de santé.

Les migrants au coeur

Bien que le pape ait manifesté son souhait de ne pas donner à cette séquence marseillaise le relief d’une visite officielle en France, il est officiellement accueilli à l’aéroport de Marseille-Provence par la Première ministre Elisabeth Borne, et s’entretient le samedi matin avec le président Emmanuel Macron, mais sans conférence de presse commune. 

Le thème des migrants sera au centre de ses interventions. Dès le vendredi soir, le pape François appelle à un sursaut civilisationnel envers les migrants de la Méditerranée, en participant à un moment de recueillement avec les chefs religieux de la ville, près du Mémorial dédié aux marins et migrants perdus en mer. 

Secourir les personnes «abandonnées sur les flots» est «un devoir d’humanité, c’est un devoir de civilisation», a affirmé le pape à Marseille | © Vatican Media

Après avoir rencontré le clergé diocésain dans la basilique Notre-Dame de la Garde, le pontife rejoint en fauteuil roulant la place adjacente, surplombant la mer Méditerranée. Il se recueille au soleil couchant devant la sculpture érigée en 2008 en mémoire des disparus en mer, représentant une ancre en forme de cœur, surmontée d’une croix.

Pointe contre le suicide assisté et l’avortement

Secourir les personnes «abandonnées sur les flots» est «un devoir d’humanité, c’est un devoir de civilisation», affirme le pape François dans son discours, durant lequel il rend hommage au courage de son hôte, le cardinal Jean-Marc Aveline, en improvisant quelques paroles en français.

Le lendemain, son intervention prononcée au palais du Pharo devant les participants aux Rencontres méditerranéennes, rejoints par le président Macron et par les évêques de France, sera l’occasion d’un long et vibrant plaidoyer en faveur de la dignité des plus fragiles. En soulignant la grande détresse des migrants, le pape évoque «les cris de douleur qui montent d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient». «Combien de personnes vivent plongées dans la violence et souffrent de situations d’injustice et de persécution», s’insurge-t-il.

«Qui écoute les gémissements des personnes âgées isolées qui, au lieu d’être valorisées, sont parquées dans la perspective faussement digne d’une mort douce, en réalité plus salée que les eaux de la mer?», lance aussi le pape, alors qu’une nouvelle loi sur la fin de vie doit arriver à l’agenda du Parlement français. «Qui pense aux enfants à naître, rejetés au nom d’un faux droit au progrès, qui est au contraire une régression de l’individu?», pointe–t-il aussi, dans le contexte du débat sur l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution.

Hommage à la culture française

Sa visite à Marseille se conclut par une messe célébrée au Stade Vélodrome, devant près de 60’000 personnes. Son homélie, prononcée en italien, se termine par un poème de Paul Claudel, La Vierge à midi. L’ambiance festive de cette messe cristallise une forme de réconciliation entre la France et le pape François, qui s’était montré plus distant que ses prédécesseurs à l’égard de la culture française, et n’avait eu aucun contact avec la population locale lors de sa visite de 2014 à Strasbourg, exclusivement dédiée aux institutions européennes.

Blaise Pascal et Thérèse de Lisieux, des figures inspirantes pour le pontife

Le 19 juin, le pape François publie la Lettre apostolique Sublimitas et miseria hominis – ‘Grandeur et misère de l’homme’, en latin – à l’occasion du quatrième centenaire de la naissance du philosophe français, né en 1623 et décédé en 1662 à seulement 39 ans.

Blaise Pascal. Gravure de Gérard Edelinck vers 1691 | Bibliothèque du Patrimoine de Clermont Auvergne Métropole/CC BY-SA 4.0

Ce texte donne l’occasion au pape de rendre un hommage touchant et personnel au philosophe janséniste, «compagnon de route» dans «notre recherche du vrai bonheur». Comme Dante, auquel il avait consacré une autre lettre en apostolique en 2021, Blaise Pascal fait partie des références culturelles et spirituelles récurrentes du pontife, ancien professeur de lettres en Argentine et grand lecteur.

Pascal mal interprété?

Dans sa lettre apostolique, le pontife, qui avait affirmé souhaiter la béatification du philosophe français, donne Pascal comme modèle à «tous ceux qui veulent continuer de chercher la vérité». Il salue un «homme à l’intelligence prodigieuse qui a rappelé qu’en dehors des visées de l’amour, il n’y a rien qui vaille».

Cet hommage retentissant sera toutefois critiqué par des universitaires français, éminents spécialistes de Blaise Pascal. Dans une tribune publiée le 28 juillet par Le Figaro, Constance Cagnat-Deboeuf, Laurence Plazenet et Tony Gheeraert dénoncent «l’étrange interprétation» de la pensée de Blaise Pascal par le pape François, remarquant le «franc embarras» et la «stupéfaction gênée» de certains catholiques face à cette relecture, par un pape issu de la Compagnie de Jésus, des écrits du philosophe français qui avait tant ferraillé contre les jésuites.

Thérèse de Lisieux à l’honneur

Dans un registre plus consensuel et traditionnel, le pape publie le 15 octobre une exhortation apostolique dédiée à sainte Thérèse de Lisieux, sous le titre C’est la confiance. «Le centre de la morale chrétienne, c’est la charité, qui est la réponse à l’amour inconditionnel de la Trinité», explique alors le pontife. En recevant ses reliques sur la place Saint-Pierre lors de l’audience générale du 7 juin à l’occasion des 150 ans de sa naissance, le pape avait annoncé son souhait de préparer un texte sur celle qu’il surnomme affectueusement la Teresita, la petite Thérèse. 

Thérèse de Lisieux, en juillet 1896 | domaine public

«À la fin, seul l’amour compte», souligne-t-il à plusieurs reprises au fil de la 7e exhortation apostolique de son pontificat, s’appuyant sur celle qui fut déclarée Docteur de l’Église le 19 octobre 1997 par Jean Paul II. Pour le pape François, le «radicalisme évangélique» de Thérèse de Lisieux dépasse «une logique légaliste et moralisante qui remplit la vie chrétienne d’observances et de préceptes et fige la joie de l’Évangile».

Deux nouveaux cardinaux français

L’année 2023 a également été marquée par la création de deux nouveaux cardinaux français lors du consistoire du 30 septembre. Mais plutôt que de choisir les archevêques de Lyon ou de Paris, deux sièges traditionnellement cardinalices, le pape François a sélectionné deux profils atypiques. 

Le cardinal François Bustillo, évêque d’Ajaccio en Corse, est un religieux franciscain de 55 ans, originaire d’Espagne. Ordonné évêque en 2021, Mgr Bustillo est rapidement devenu une figure très populaire sur l’île, appréciée aussi par les milieux autonomistes. Son cardinalat en a fait une personnalité médiatique au niveau national. 

Fait très inhabituel compte tenu du régime de laïcité en vigueur en France, le 28 septembre, Mgr Bustillo a reçu dans son évêché la visite du président de la République Emmanuel Macron, en visite à Ajaccio pour tenter de trouver un consensus politique sur le statut de la Corse. L’aura du cardinal Bustillo pourrait en faire une figure de temporisation et de médiation face aux tensions opposant l’île au continent. 

L’autre cardinal français, Christophe Pierre, n’a pas été choisi en raison de sa nationalité française mais en vertu de sa charge de nonce apostolique aux États-Unis, qu’il occupe depuis 2016. Ce diplomate aguerri, qui fut ordonné prêtre pour le diocèse de Rennes avant d’être mis à la disposition du Saint-Siège en 1977, a auparavant été nonce apostolique en Haïti, en Ouganda et au Mexique. 

Le travail délicat du cardinal Pierre

L’éviction de l’évêque conservateur de Tyler au Texas, Mgr Joseph Strickland, le 11 novembre dernier, a constitué l’un des dossiers les plus délicats à gérer pour le nonce apostolique, cet évêque ayant ouvertement accusé le pape François de «brader le dépôt de la foi» tout en refusant de démissionner. Mais les réticences américaines dépassent ce cas extrême. Lors de l’assemblée d’automne de l’épiscopat, le président de la conférence des évêques, Mgr Timothy Broglio, a ouvertement exprimé son désaccord avec le cardinal Pierre quant à l’interprétation du principe de synodalité.

Mgr Christophe Pierre est nonce apostolique aux Etats-Unis depuis 2016 | © jonathunder/Wikimedia Commons

À bientôt 78 ans, le cardinal français va donc devoir poursuivre, dans le contexte polarisé de la campagne présidentielle américaine de 2024, un délicat travail d’unité entre Rome et un épiscopat américain souvent frondeur à l’égard du pape François. 

Au total, en comptant les cardinaux Bustillo et Pierre, la France compte actuellement six cardinaux électeurs. Un seul exerce actuellement un mandat au sein de la Curie: le cardinal Dominique Mamberti, 71 ans, corse lui aussi, est le préfet du Tribunal suprême de la Signature apostolique. Le cardinal Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille, 64 ans, a été intégré au sein du Sacré-Collège en 2022 et a gagné beaucoup de visibilité depuis la visite du pape dans son diocèse.

Un cardinal en disgrâce

Deux autres cardinaux de moins de 80 ans vivent en France mais n’exercent plus de charge diocésaine: il s’agit du cardinal Philippe Barbarin, archevêque émérite de Lyon, qui a quitté ses fonctions en 2020 après son acquittement dans l’affaire Preynat mais demeurera cardinal électeur jusqu’en 2030, et du cardinal Jean-Pierre Ricard, archevêque émérite de Lyon, qui aura 80 ans le 25 septembre 2024.

D’ici-là, le cardinal Ricard demeure nominalement cardinal électeur, mais sa participation effective à un éventuel conclave s’avère peu probable compte tenu de son retrait de la vie publique à l’automne 2022, après ses aveux concernant une relation avec une adolescente lorsqu’il était curé à Marseille dans les années 1980. Rome l’a suspendu de tout ministère public depuis le printemps 2023, même si la possibilité est laissée à l’évêque de son diocèse de résidence de lui accorder des dérogations.

La demande de pardon du pape à des victimes d’abus

Le thème des abus a par ailleurs été au centre d’une rencontre du pape avec une délégation de victimes venue de l’ouest de la France, le 28 novembre, avec une journée de décalage en raison de l’état de santé du pontife, souffrant d’une inflammation du poumon.

«Au nom de l’Église, je vous demande pardon», a lancé le pape à la vingtaine de victimes venues témoigner du parcours de vérité et de guérison vécu avec la congrégation des Frères de Saint-Gabriel, sous l’égide de la Commission reconnaissance et réparation (CRR), instituée en 2021 suite à la publication du rapport Sauvé, après plusieurs décennies de souffrances enfouies.

Plus tôt dans la matinée, la délégation française avait été reçue durant deux heures par la Commission pontificale pour la protection des mineurs pour un temps de travail et d’écoute. «J’ai demandé à la commission d’écouter vos paroles […] et de recueillir vos témoignages afin qu’ils puissent renforcer et inspirer notre devoir commun pour éradiquer les abus dans notre Église», avait écrit le pape dans un message écrit, censé compenser l’annulation de la rencontre de la veille. 

Finalement reprogrammée à la maison Sainte-Marthe dans l’après-midi, la rencontre de 45 minutes, à laquelle étaient associés cinq membres de la congrégation des frères de Saint-Gabriel, s’est conclue avec un morceau de saxophone joué par l’une des victimes: un tango argentin intitulé «Adios Muchachos», «Au revoir les gars». (cath.ch/imedia/cv/rz)

Mgr Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille, est apprécié par le pape François pour son attachement à la «Méditerranée heureuse» | © Keystone/AFP PHOTO / VATICAN MEDIA
23 décembre 2023 | 10:28
par I.MEDIA
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