Riviera vaudoise: «Jésus d’Asie» provoque un tollé dans le Régional

L’hebdomadaire lémanique heurte certains de ses 180’000 lecteurs

Par Valérie Bory Agence Apic

Pully/Lausanne, 17 janvier 2005 (Apic) Le Régional, hebdomadaire gratuit, scandalise ses lecteurs à la suite d’un grand article niant la mort sur la croix et la résurrection de Jésus. Dans sa dernière édition, le périodique, au tirage de 90’000 exemplaires, édité à Pully près de Lausanne, publie sur deux pleines pages des lettres courroucées.

En publiant dans son édition du 24 décembre une histoire de Noël tirée d’une thèse pour le moins controversée, l’hebdomadaire lémanique gratuit Le Régional, couvrant la Riviera vaudoise, s’attire les foudres et les injures de ses lecteurs. Réactions dont beaucoup, fort savantes, émanent de pasteurs ou de théologiens.

Dans sa livraison de Noël, Le Régional écrit que «Jésus est allé dans l’Himalaya, est revenu prêcher en Palestine, où sa critique de l’ordre établi lui vaut une peine de mort. Sauvé in extremis, forcé de fuir les rabbins, il repart vers l’Asie. Sa tombe trône au coeur de Srinagar». A la suite d’une pluie de coups de fils et de lettres de protestation, l’hebdomadaire gratuit publie dans son édition du 13-14 janvier une page d’explications et développe ses sources. Sur deux autres pages, des lettres de lecteurs, qui n’y vont pas avec le dos de la cuiller, s’additionnent aux nombreux téléphones parfois injurieux reçus à la rédaction. La rédactrice en chef Nina Brissot, interviewée par l’Apic, était loin d’imaginer l’incroyable tollé provoqué par un article «dans l’air du temps».

«Propos blasphématoires»

Mais d’abord, quelques extraits du florilège des lecteurs, d’une virulence extrême: Ordure et infâmie, Propos blasphématoires, Hérétique, Démolisseur, Pauvre d’esprit, Provocation gratuite, Littérature délirante, Révolte, etc. Sur 20 lettres, publiées sur deux pleines pages, seules trois défendent la position du journal.

Car position il y a bel et bien, d’où la levée de boucliers. En effet, le journal semble prendre à son compte la thèse d’un Jésus pas mort sur la croix ni ressuscité, mais parti planter ses pénates en Inde bouddhiste. Dans ce qui est d’habitude l’édito en première page, sous un surtitre Opinion, qui n’a pas leurré les lecteurs, à voir les lettres, le journaliste Serge Noyer écrit: «Né en Judée Jésus? Peut-être. Mais en tout cas pas mort sur la croix! La résurrection? Une pure invention! Comme tant d’impossible dogmes imposés par l’Eglise. Si depuis deux millénaires, ses Pères sèment le trouble, aujourd’hui, le mythe ne résiste plus à l’analyse(.). Le périple de Jésus se termine à Srinagar, où trône sa tombe».

Les hypothèses sur ce Jésus d’Asie «effacent l’image idéale du fils d’un Dieu exclusif, envoyé spécial sur terre pour sauver l’humanité du pêché par son sacrifice», affirme Le Régional. Ces assertions sont tirées de Jésus vécut en Inde du théologein allemand Holger Kersten et Jésus de Srinagar de Gérald Massadié, ancien rédacteur en chef de Science et Vie.

Claire Clivaz, pasteure et doctorante en Nouveau Testament, écrit au Régional: «Quand Jésus fait son mai 68», avant de développer où il faut chercher «les racines de ce conte sur un Jésus d’Asie». Elle dénonce «la légèreté» de l’argumentation. «Ni l’Evangile de Thomas, ni les Manuscrits de la Mer Morte ne nous parlent d’un Jésus d’Asie».

Claude Schwab «ébahi»

Parmi les lecteurs, Claude Schwab, pasteur, président d’Enbiro (Enseignement biblique romand), est «ébahi par la naïveté avec laquelle» le journal prend «pour du bon argent les fantasmes de quelques ’historiens’». Alors qu’»on redécouvre aujourd’hui l’enracinement juif de Jésus», les hypothèses développées «trouvent leurs explication dans une certaine quête contemporaine qui cherche son salut en Asie». Pour Claude Schwab, l’hypothèse d’un Jésus qui aurait échappé à la crucifixion n’est d’ailleurs pas nouvelle. Bref, conclut-il, s’adressant au journal, «malgré votre pieuse conclusion (réd. «Jésus se révèle un humain exceptionnel qui a marqué son époque et bouleversé l’histoire. Et dont le message d’amour (.) demeure le plus précieux cadeau»), je ne comprends pas ce qui vous a motivé à relayer avec une rare sûreté dans l’erreur quelques élucubrations à la mode «.

Jésus en guérisseur amérindien

Quant à Jean Denis Kraege, pasteur, il ironise: «La littérature délirante ne fait pas seulement mourir Jésus à Srinagar, mais en druide celte, en guérisseur amérindien, en marabout malien, voire parti définitivement avec quelques extraterrestres en soucoupe volante.». Citant force Cahiers d’archéologie biblique, Manuscrits de la Mer Morte, textes sacrés, les lecteurs prouvent qu’on ne la leur fait pas, mais aussi qu’on ne remet pas impunément en cause leurs croyances et fondements chrétiens.

Certains se sont même adressés à l’autorité: Nina Brissot, rédactrice en chef du Régional, interviewée par l’Apic, est abasourdie par l’orage qui s’est abattu sur la rédaction.»On ne s’attendait pas à des réactions aussi mauvaises, de ’bons chrétiens’». Elle ajoute: «Certains se sont adressés au syndic de Pully pour qu’il intervienne». Elle défend la position du journaliste qui a mis le feu aux poudres, et «qui a fait des études de théologie». Nina Brissot affirme qu’une bonne partie des lecteurs courroucés sont des protestants. «On a mal estimé les réactions, reconnaît- elle, car en fait on s’adresse à un très large public – en multipliant le tirage par deux – on a, de fait, quelque 180’000 lecteurs.

La rédaction ne s’était-elle pas doutée qu’en faisant paraître le 24 décembre un tel brûlot, elle susciterait cette colère? «Cela faisait trois semaines avant Noël que France Culture diffusait une série d’émissions sur Croire ou pas, Résurrection ou pas, et l’Hebdo avait aussi fait un numéro sur Jésus (Qui a tué Jésus). Le sujet était dans l’air du temps».

En temps que responsable du journal, Nina Brissot était d’accord de publier cet article. «Je ne me suis pas sentie engagée sur le plan religieux, bien qu’ayant été élevée catholique», explique-t-elle. De nombreux téléphones ont assailli la rédaction. «Si l’on jugeait qu’on avait été trop loin, d’accord de le dire, mais de là à en faire une guerre de religion.». Sur la lancée, les Eglises protestantes vaudoises ont même proposé leur collaboration en demandant au Régional une rubrique régulière. VB

Encadré

Jésus sur la route de la soie

«On ne touche pas impunément aux dogmes religieux, écrit Le Régional dans sa page consacrée au Dossier explicatif Jésus d’Asie. Il y cite et y développe ses sources et explique que l’article «reflète une opinion personnelle». Le but de l’auteur était «d’ouvrir une nouvelle perspective sur la vie du Christ en cette veillée de Noël».

L’hebdomadaire explique que les textes des évangélistes du Nouveau Testament ne sont que des transmissions tardives de son ministère et non des sources oculaires, «une réalité admise par les plus grands spécialistes du Nouveau Testament». Il boucle son raisonnement: «A partir de là, toutes les autres sources permettant d’affiner nos connaissances de la vie de Jésus méritent d’être étudiées».

Jésus serait donc allé finir ses jours en Asie centrale. C’est la thèse de Nicolaï Notovitch, un historien et orientaliste russe qui découvre en 1887 des documents palis (langue des anciens textes bouddhistes). Ceux-ci parlent d’un certain Issa «dont le profil ressemble à celui de Jésus de Nazareth». Le chercheur russe publie en 1894 The unknown life of Jesus Christ. Il est excommunié par le Vatican. D’autres documents et vestiges permettent, écrit le journaliste du Régional, de suivre la trace du prophète arpentant la Route de la soie. Bien plus tard, le théologien allemand Holger Kersten rédige en 1983 une série d’ouvrages sur la vie de Jésus. Dont, en 1998, Jésus n’est pas mort sur la croix. Quant à la tombe de Jésus à Srinagar, écrit l’auteur de l’article du Régional, «elle est visible par tout un chacun».

Parmi d’autres sources utilisées, figure Gérald Messadié, journaliste scientifique. Auteur d’une biographie en 4 volumes sur Jésus et «violemment attaqué pour sa remise en cause de certains dogmes chrétiens en 1988», selon Le Régional, il publie un an plus tard un ouvrage d’analyse destiné à répondre aux critiques, intitulé Les sources. Il signe encore L’incendiaire puis Jésus de Srinagar, en 1995.

«Quant aux manuscrits de la Mer morte, découverts en 1947, est-il précisé dans l’hebdomadaire lémanique, ils ne parlent évidemment pas du Jésus d’Asie, mais confirment l’hypothèse selon laquelle il aurait passé une partie de sa jeunesse dans la communauté des Esséniens, au bord de la Mer Morte». Esséniens dont on peut «supposer qu’ils étaient fortement influencés par le bouddhisme». Jésus aurait bourlingué en Egypte et Syrie, où existaient des communautés esséniennes. Puis, il aurait pris le chemin des caravanes, séjournant quelques temps en Inde. Le Régional reconnaît que ces recherches sont «discutables», mais rappelle que «nous ignorons tout de la vie du Christ entre sa douzième année et le début de son ministère».

Le Régional cite également Les grands mystères de l’histoire, un mensuel français qui s’est aussi penché sur ces hypothèses, dans son édition de décembre. (Jésus est-il mort sur la croix? Jésus au Cachemire). (apic/vb)

17 janvier 2005 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 6  min.
Partagez!