Le journaliste jurassien Roland J. Keller est passionné depuis l'adolescence par l'espace | © Raphaël Zbinden
Suisse

Roland J. Keller recherche Dieu dans les étoiles

Roland J. Keller a assisté à 45 lancements de fusées et autres navettes spatiales. Croyant de toujours, le journaliste jurassien spécialisé dans l’aérospatiale voit le cosmos comme le lieu par excellence du questionnement spirituel.

Casquette de la Nasa, T-shirt de l’Agence spatiale européenne (ESA), il est impossible de se tromper sur ce qui anime Roland J. Keller. Lors de sa rencontre avec cath.ch, en Gruyère, le natif de Pleigne, près de Delémont, se montre effectivement intarissable sur le sujet.

Le journaliste a depuis l’adolescence constamment la tête dans les étoiles. Seul professionnel suisse accrédité auprès des pas de tir aux États-Unis, il a pignon sur rue dans les milieux spatiaux. Il tutoie de nombreux astronautes, dont les Suisses Marco Sieber et Claude Nicollier, avec lequel il a effectué un vol en avion de chasse.

Roland J. Keller a effectué un vol en jet avec l’astronaute Claude Nicollier | © www.press-trip-america.com

Roland J. Keller a assisté, au cours de sa carrière de plusieurs décennies, à pas moins de 45 lancements d’engins spatiaux, principalement à Cap Canaveral, en Floride, mais aussi au Texas et à Kourou (Guyane française).

L’illumination de la lune

Comme beaucoup d’autres, il a attrapé le virus de l’espace en vivant en direct les premiers pas sur la lune, le 21 juillet 1969. Il a alors 13 ans. «J’étais chez ma grand-mère, qui avait une petite télévision portative. Nous avons regardé les deux ce moment historique, vers quatre heures du matin», se souvient-il.

Un événement qui le marque à jamais, et dont il retire une leçon «mystique». «Au moment où Neil Armstrong a posé son pied sur le sol lunaire, et où il a prononcé sa fameuse phrase: ‘Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’humanité’, j’ai été pris d’une grande émotion. Je me rendais compte que des millions de personnes à travers le globe étaient en train de regarder la même chose en même temps, que cela ne concernait de loin pas que les Américains, mais toute l’humanité. Je pense que cela a rapproché tous les habitants de la planète et a montré les choses incroyables que l’homme peut accomplir collectivement, au-delà des guerres.»

Faim d’espace

Roland J. Keller naît en 1956 dans une famille catholique pratiquante. Il va pendant sa jeunesse pratiquement tous les dimanches à la messe. Et comme pour beaucoup d’habitants du Jura à cette époque, la religion est omniprésente. Le journaliste avoue qu’il n’a jamais été à l’aise avec le côté «strict» du catholicisme tel qu’il l’a vécu, d’où une pratique qui a décliné au cours de sa vie. Il a cependant toujours gardé la foi. Une force qui lui permettra de surmonter les moments plus difficiles et de trouver la confiance nécessaire à l’accomplissement de ses rêves.

«Après Challenger, j’étais totalement démoralisé»

Car depuis ce 21 juillet 1969, Roland J. Keller ne vit que pour l’espace. Avide d’informations, il regarde toutes les émissions de télévision qui en parlent et lit tout ce qu’il peut dans les journaux. Des articles qu’il découpe et conserve, des archives qu’il possède encore aujourd’hui. Sans beaucoup d’argent, il trouve des astuces pour satisfaire sa faim «astronomique». «J’avais réussi à amadouer la vendeuse du kiosque, s’amuse-t-il. Et elle me laissait regarder dans les magazines les articles sur l’espace.»

L’envol de Columbia

Le rêve de faire du journalisme consacré au domaine spatial surgit rapidement chez le jeune homme qui aime également écrire. Mais il n’y a alors pas de filière pour devenir journaliste. La passion des étoiles ne fait pas non plus vivre son homme. Dans le Jura de cette époque, elle est plutôt considérée comme une «fantaisie». Roland prend ainsi une voie «classique». Il se forme tout d’abord en mécanique de précision, avant de faire une école d’ingénieur puis de technicien à Bienne. Une période où son rêve s’éloigne quelque peu.

La contemplation du cosmos est propice au questionnement sur la place de l’homme dans l’univers | © Pixabay

En parallèle d’un emploi qu’il trouve dans l’ingénierie, il se met à écrire des piges pour divers journaux, dont le quotidien jurassien Le Démocrate et les Chroniques du village de Pleigne. Sur des sujets souvent sans rapport aucun avec l’espace. Alors que sa notoriété augmente, il couvre pour Le Démocrate, le 28 juillet 1981, le lancement de la première navette spatiale, Columbia, à Cap Canaveral.

Le rêve d’Icare

Fin 1985, il décide de voler de ses propres ailes. Il quitte son travail d’ingénieur, et fonde l’agence spécialisée Astropresse. Mais tel Icare, il verra son rêve foudroyé en plein ciel.

Dans ce nouveau statut de journaliste indépendant, il assiste en effet, le 28 janvier 1986, au lancement de la navette Challenger. Celle-ci explose quelques minutes après son décollage, tuant les sept astronautes qui se trouvent à bord. Une expérience si traumatisante qu’il remet en cause sa vocation. «Le choc n’est pas venu tout de suite, mais quelques jours après. J’ai été très déstabilisé d’avoir vu ces personnes mourir en direct, de m’être senti totalement impuissant face à cela. J’ai mis ma carrière en pause à ce moment-là, parce que j’étais totalement démoralisé.» À l’instar du milieu spatial américain, qui mettra longtemps à s’en remettre.

«Je n’arrive pas à imaginer que toute cette grande horlogerie céleste n’ait pas de concepteur»

Dans ce moment des plus sombres, la foi l’aide à se relever. «L’accident m’a fait me poser beaucoup de questions sur la vie et la mort. Mais quand vous êtes croyant, vous avez toujours de l’espoir et vous savez que tout cela a un sens, et ça vous soutient.» Ce passage à vide oblige Roland J. Keller à trouver un travail «alimentaire». Il se lance donc à 50% dans la vente d’assurances vie, tout en poursuivant le journalisme l’autre moitié du temps.

En apesanteur

Commençant à réellement prendre son envol dans le métier, il se fait engager dans plusieurs magazines suisses, dont Nautisme romand et le Mensuel suisse de l’industrie (MSM). Jusqu’à cette offre providentielle, en 2008, qui lui ouvre réellement les portes de son rêve: on lui propose le poste de rédacteur en chef de la revue Swiss Engineering, basée à Saint-Gall. À partir de là, il pratique le journalisme à plein temps et fait profiter la publication de ses entrées dans le milieu aérospatial. Son nouveau statut lui permet d’assister de façon régulière aux lancements de fusées.

Roland J. Keller a assisté à 45 lancements d’engins spatiaux | © www.press-trip-america.com

Sa renommée grandit dans le milieu, Roland enchaîne les rencontres et les expériences fascinantes. Dont un vol en avion en apesanteur, en compagnie notamment de l’astronaute français Jean-François Clervoy en 2016.

Le cosmos, lieu du questionnement

Alors qu’il aurait pu prendre sa retraite depuis longtemps, Roland J. Keller n’a aucune intention d’arrêter. Il se réjouit de son prochain rendez-vous avec les étoiles, qui se profile pour avril 2026, où est prévu le décollage de la fusée Artemis II. Il s’agit de la deuxième mission du programme Artemis de la NASA, dont l’objectif est de ramener des humains à la surface de la lune d’ici 2027. Il a pratiquement fini d’écrire un livre sur les 45 lancements auxquels il a assisté et continue d’alimenter son blog.

«Même les plus sceptiques commencent à gamberger quand qu’ils sont en face de l’infini»

Il ressent toujours la même émotion, chaque fois qu’il voit une fusée disparaître dans les cieux infinis. Il ne peut alors s’empêcher de méditer sur l’univers et le sens de la vie. «Personnellement, je n’arrive pas à imaginer que toute cette grande horlogerie céleste n’ait pas de concepteur. Pour moi, il y a bien quelque chose qui a dû être à l’origine de tout cela.»

Le journaliste, qui a côtoyé maints astronautes, astrophysiciens et autres spécialistes du cosmos, souligne que la contemplation de ces immensités ne laisse personne sans interrogation. «Même les plus sceptiques, les plus cartésiens, commencent à gamberger dès qu’ils sont en face de l’infini de l’espace. Vous ne pouvez pas contempler la grandeur de l’univers et la petitesse de l’être humain sans en être profondément bouleversé. Le cosmos est le lieu privilégié du questionnement spirituel.» (cath.ch/rz)

Le journaliste jurassien Roland J. Keller est passionné depuis l'adolescence par l'espace | © Raphaël Zbinden
24 juillet 2025 | 17:00
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 5  min.
astronomie (12), Journalisme (59), Jura (99), Science (53), Technique (27)
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