Jean Paul II, l’ami des juifs
Rome: Entretien du pape avec Jerzy Kluger
Rome, 2 avril 2005 (Apic) Karol Wojtyla, ami des juifs durant son enfance – notamment au travers de son célèbre ami Jerzy Kluger – devient Jean Paul II, frère des juifs durant son pontificat. Dès son élection au Siège de Pierre, il a en effet à coeur d’appliquer la Déclaration conciliaire Nostra Aetate de 1965, dans laquelle les juifs ne sont plus qualifiés de ’déicides’, mais sont considérés comme les «frères aînés» des catholiques.
Régulièrement, depuis sa visite à la synagogue de Rome en 1986, jusqu’à son voyage en Terre Sainte en 2000, Jean Paul II travaille à tracer le chemin du dialogue entre catholiques et juifs, à l’enseigne de l’estime réciproque, du dialogue et de la collaboration. A l’occasion de la plupart de ses voyages, il prend le temps de rencontrer la communauté juive locale. Il n’aura toutefois pas réussi à mettre un terme aux controverses liées au pontificat de son prédécesseur, le pape Pie XII.
La visite de la synagogue
L’image d’un pape dans une synagogue, le 13 avril 1986 à Rome, ouvre une nouvelle page dans l’histoire de l’Eglise. Jean Paul II pénètre dans le vieux quartier juif de Rome, accompagné seulement de ses proches. Le pape est accueilli par le grand rabbin de l’époque, Elio Toaff, qui dirigeait alors une des plus anciennes communautés juives de la diaspora à travers le monde.
Qualifiée d’historique à la fois par les juifs et les catholiques, cette visite a des conséquences également historiques. L’image la plus significative qui restera gravée dans l’histoire du dialogue entre Jean Paul II et les juifs – après sa visite dans la synagogue de Rome -, est sûrement celle de ce pape priant devant le Mur des Lamentations à Jérusalem, le 26 mars 2000.
Deux ans avant, en 1998, il y avait eu la publication du document publié sous le titre: «Nous nous souvenons, une réflexion sur la Shoah». Ce document est l’aboutissement, avec la cérémonie de demande de pardon du 12 mars 2000, d’une longue réflexion à l’intérieur de l’Eglise catholique, entreprise à la demande du pape dans sa lettre apostolique Tertio millenio adveniente – publiée en novembre 1994 pour préparer le grand Jubilé.
Mais l’ouverture la plus importante de ce pape envers les juifs, fut la déclaration conciliaire Nostra Aetate. Dans ce document, l’Eglise reconnaissait le «lien qui unit spirituellement» chrétiens et juifs, ainsi que le «grand patrimoine spirituel, commun aux uns et aux autres». Une nouvelle page s’était ouverte dans l’histoire de l’Eglise.
Avec un ami d’enfance juif de Jean Paul II, Jerzy Kluger
Regardant dans le vide comme pour mieux se retrouver 70 ans en arrière, Jerzy Kluger, voisin juif de Karol Wojtyla à Wadowice, la petite cité paisible de la région de Cracovie, témoigne aujourd’hui à propos de son amitié avec celui qui devint le 264e pape de l’Eglise catholique. Une histoire à la fois simple et extraordinaire grâce à laquelle on comprend mieux l’engagement de Jean Paul II dans le dialogue oecuménique et inter religieux.
Plein d’admiration à la fois pour Karol Wojtyla et pour Jean Paul II, Jerzy Kluger a partagé une passion commune avec le pape: le sport. Féru de tennis, ce fils du président de la communauté juive de Wadowice, à l’époque où il étudiait sur le même banc que Wojtyla, a participé à plusieurs reprises au célèbre tournoi de Roland Garros, en France.
Ce contemporain de Jean Paul II continue d’ailleurs à jouer pour son propre plaisir. Ingénieur de formation, Jerzy Kluger n’a jamais cessé de travailler. Il reçoit dans son petit bureau installé dans un quartier résidentiel de Rome. Des photos du pape l’accueillant avec sa femme – de religion catholique – au Vatican, baptisant sa petite-fille ou la mariant ornent les murs, signe d’une amitié qui a dépassé les séparations et les souffrances de la Seconde Guerre mondiale ainsi que les différences de croyance.
«Sa sainteté, je la connaissais depuis 75 ans», commence Jerzy Kluger, voulant montrer d’emblée le respect qu’il porte pour Jean Paul II. Quelques instants plus tard, il ne peut cependant pas s’empêcher d’appeler son ami «Lolek», le surnom qu’il lui donnait quand ils étaient jeunes.
«Nos parents étaient voisins, nous nous voyions donc souvent, même avant d’aller à l’école. Tous mes souvenirs restent profondément marqués en moi. Je peux vous en donner un qui montre bien la complicité qui pouvait exister entre nous. Nous étions encore gamins et passions souvent nos temps libres à vagabonder dans les rues de Wadowice où il n’y avait qu’un seul policier municipal. Cet homme nous intriguait car il possédait une épée dont nous n’arrivions pas à savoir si elle était réelle ou non. Nous pensions entre nous qu’elle était en bois. Comme nous voulions en être sûrs, un jour qu’il s’était endormi sur la place de la ville, Karol et moi nous sommes rapprochés de lui pour vérifier. Nous avons donc tenté de sortir l’arme de son étui, mais comme elle ne sortait pas, nous avons dû forcer en tirant chacun d’un côté, jusqu’à ce qu’elle sorte en nous projetant en arrière ! Le policier s’est réveillé et nous en avons alors eu pour notre compte ! Après coup, nous en avons bien ri !»
«Ne sommes-nous pas tous enfants de Dieu ?»
«Un jour, se souvient-il, nous avons dû passer un examen, Lolek et moi, pour entrer au collège. Les résultats devaient être affichés publiquement. Je savais que lui était admis, mais je voulais vérifier pour moi. A la vue de nos deux noms, j’ai couru chez lui pour annoncer la nouvelle mais il n’était pas là. On m’a dit qu’il était en train de servir la messe. Moi qui ne suis jamais entré dans une église, j’y suis allé. Il m’a vu rentrer et de loin, m’a fait signe d’attendre. A la fin de la messe, alors qu’il était à la sacristie, une dame en sortant m’a reconnu et m’a demandé si je n’étais pas le fils de Maître Kluger, président de la communauté juive. «Si», lui ai-je répondu. Et elle est partie sans rien demander de plus. Quand Karol m’a rejoint, il m’a demandé une explication sur ma venue, étonné de me voir dans l’église. Je lui ai alors annoncé que nous étions tous les deux admis au collège. Mais il n’avait pas l’air surpris et voulait plutôt savoir que me voulait la vieille dame qui m’avait parlé à la sortie. Quand je lui ai raconté qu’elle m’avait demandé ce que je faisais ici, il m’a répondu, «ne sommes-nous pas tous enfants de Dieu ?». Nous n’avions à l’époque pas plus de dix ans. Ma grand-mère avait raison quand elle me disait, à chaque fois que Lolek venait chez mes parents, qu’il avait un sixième sens. Il sait dire à chacun ce que l’autre aimerait s’entendre dire». (apic/imedia/pr)