Rome : interview du cardinal Gagnon à propos de Mgr Lefebvre (170688)

«On ne met pas la même chose sous les mêmes mots»

Rome, 17 juin 1988 (APIC/CIP) Dans une interview accordée au journal

catholique italien «L’Avvenire» et publiée ce 17 juin, le cardinal canadien

Edouard Gagnon fait le point sur l’affaire Lefebvre et revient sur la

visite apostolique qu’il a faite à la Fraternite sacerdotale du prélat

integriste, fin 1987, à la demande du pape Jean Paul II.

«On ne met pas la même chose sous les mêmes mots» : voilà ce qui a

frappé le cardinal Gagnon au terme de sa visite auprès de Mgr Lefebvre et

de son entourage catholique intégriste. «Là ou le Vatican parle de

réconciliation, explique le cardinal Gagnon, Mgr Lefebvre a compris :

reconnaissance officielle. Or une réconciliation implique un effort des

deux parties, notamment pour dépasser les erreurs du passé. Mgr Lefebvre,

pour sa part, veut qu’on déclare qu’il a toujours eu raison. Ce n’est pas

possible.»

Mgr Gagnon confie qu’il a été bien accueilli par les responsables de la

Fraternité Saint-Pie X, mais surtout, semble-t-il, parce que ceux-ci ont

interprété la visite d’un délégué du Vatican comme une étape vers la

reconnaissance officielle de la tendance dissidente de Mgr Lefebvre. A

Paris, par exemple, on s’était mis d’accord pour que le cardinal Gagnon

assiste incognito à une messe de la Fraternité, mais les membres de la

Fraternité ont eu tôt fait d’annoncer la présence du cardinal Gagnon comme

un «signe».

Le rapport que le cardinal canadien a transmis au pape après avoir

rencontré les dirigeants de la Fraternité de Mgr Lefebvre était, selon son

auteur, pour une part «positif». Mais ce rapport soulignait aussi que la

reconnaissance juridique ne résoudrait rien.

Néanmoins, le 5 mai dernier, un protocole d’accord a été signé entre Mgr

Lefebvre et le Saint-Siège. Ce protocole comportait une déclaration d’ordre

doctrinal, un projet de dispositions juridiques, et une série de mesures

pour régulariser la situation canonique de la Fraternité Saint-Pie X et des

fidèles qui s’y rattachent. Ce protocole prévoyait aussi que le pape

instituerait une commission spéciale pour régler les rapports entre la

Fraternité et le Vatican, et que deux membres de la Fraternité feraient

partie de cette commission.

Or, c’est ce protocole d’accord qui fait aujourd’hui difficulté pour Mgr

Lefebvre et ses partisans. Selon le cardinal Gagnon, ils n’ont pas admis

être représentés dans la commission romaine proposée par deux membres

seulement. Or, c’était déjà là «une concession exceptionnelle» de la part

du Vatican, puisque, par exemple, aucune congrégation relitgieuse de par le

monde ne saurait avoir des prétention équivalente à une «représentation de

droit» dans un organisme du Vatican. Du côté des catholiques intégristes,

on demandait à être representés «en majorité» dans la commission

pontificale. «Un non-sens, estime le cardinal Gagnon. Car ce ne serait plus

alors un organisme de médiation pour évaluer des cas particuliers».

De plus, les quatre évêques que Mgr Lefebvre envisage d’ordonner le 30

juin ne sont pas ceux dont il avait proposé les noms précédemment au pape,

si du moins une liste de noms a vraiment été proposée au pape. Il semble ,

selon le cardinal Gagnon, y avoir eu des pressions sur Mgr Lefebvre luimême. Ainsi, l’abbé Schmidberger, prieur de la Fraternité, avait accepté

que le pape puisse nommer un évêque fidèle à la grande tradition catholique, même s’il ne faisait pas partie de la Fraternité. Mais tout autre a

été la réaction du Francais Bernard Tissier de Malle- rais, 43 ans, l’un

des quatre prêtres que Mgr Lefebvre pourrait consacrer évêques fin juin. Le

prêtre francais, en effet, déjà secrétaire général de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X depuis quatre ans, était aussi pressenti comme membre de

la commission romaine de contact, mais a vigoureusement plaidé pour une

plus forte représentation de la Fraternite.

Bref, pour le cardinal Gagnon, «Mgr lefebvre est arrivé à un point de

non-retour. Il s’agit maintenant pour lui de sauver la face. En brandissant

des menaces, on peut peut-être gagner dans un premier temps. Mais au bout

du compte, on devient victime de sa propre tactique et on ne peut plus

revenir en arrière. Mgr Lefebvre a probablement eu un moment de «faiblesse»

lorsqu’il a signé le protocole d’accord le 5 mai. Mais, tout de suite

après, il a réitéré ses exigences. Tout est desormais entre les mains de

Dieu.» (apic/cip/ym)

17 juin 1988 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 3  min.
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