Rome: L’»affaire» Jacques Dupuis provoque un «échange» entre deux cardinaux

Mgr Ratzinger reproche à Mgr König son indiscrétion

Rome, 25 mars 1999 (APIC) Dans une brève lettre adressée à l’hebdomadaire catholique britannique  » The Tablet «, le cardinal Franz König, ancien archevêque de Vienne, revient sur les critiques qu’il a récemment adressées à la Congrégation pour l Doctrine de la Foi, que dirige le cardinal Josef Ratzinger, auquel il reprochait de mettre en cause le dernier ouvrage du jésuite belge (aujourd’hui de nationalité indienne) Jacques Dupuis: «Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux».

La prise de position publique du prélat autrichien – qui est, à 93 ans, l’aîné du collège des cardinaux -, lui a valu une lettre «cordiale mais énergique» de son confrère de la curie romaine, également publiée par «The Tablet».

Le cardinal König, qui est un ancien de la curie romaine, où il a très longtemps présidé le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, avait publié dans «The Tablet» «une note dans laquelle il prenait la défense du Père Jacques Dupuis, amené à annuler le cours qu’il donnait à l’Université pontificale Grégorienne (Rome), tenue par les jésuites, après que son livre ait été mis à l’examen par la Congrégation pour la doctrine de la foi. Le cardinal autrichien s’est également exprimé dans le numéro de mars de la revue mensuelle «Choisir» des jésuites de Suisse romande, où il se dit «fasciné» par le dernier ouvrage magistral du Père Dupuis.

Né à Huppaye (Brabant Wallon) le 5 décembre 1923, le Père Jacques Dupuis a résidé en Inde de 1948 à 1984 et a enseigné à la Faculté de théologie de Delhi durant 25 ans. Directeur de la revue théologique «Gregorianum», il a été consulteur auprès du Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux (que présida le cardinal König). Depuis plusieurs années, il s’attache à promouvoir le dialogue interreligieux et à dégager les questions qui découlent de la pluralité des religions pour la théologie chrétienne. Professeur émérite de théologie dogmatique à la Grégorienne, où il enseigne depuis 1984, il défend dans son dernier livre l’idée selon laquelle il n’est pas possible de soutenir qu’il n’y a pas de salut en dehors de l’Eglise catholique. C’est ce qui a amené le dicastère dirigé par le cardinal Ratzinger à lui demander des éclaircissements, après avoir été alerté par «un groupe significatif» d’étudiants estimant avoir droit, dans une université «pontificale», à un enseignement catholique rigoureux. Le P. Dupuis est actuellement occupé à préparer sa réponse.

Une attaque contre la curie romaine

La Congrégation pour la doctrine de la foi, s’il elle épluche bien le dernier livre du théologien jésuite, a toujours agi «dans la plus grande discrétion», a fait savoir à l’ancien archevêque de Vienne le cardinal Ratzinger, qui déplore que la publicité donnée à cette affaire ne peut que nuire au Père Dupuis, «mais également aux deux parties». C’est pourquoi il se dit surpris de voir le cardinal König faire de la publicité autour du cas du Père Dupuis, en donnant des laçons à son dicastère, lui conseiller d’adopter «une attitude moins défensive» et «des méthode fiables».

Dans sa réponse, le cardinal Ratzinger déplore devoir adresser une mise au point à son collègue autrichien, mais il se dit dans l’obligation de le faire face aux «accusations sérieuses» lancées par ce dernier à l’encontre de son dicastère. «Consterné» par l’article du cardinal König, il tient à lui préciser qu’il a demandé des éclaircissements au Père Dupuis à travers «un dialogue discret» et regrette qu’»une certaine publicité ait eu pour effet de donner le sentiment que Dupuis était suspecté».

Le cardinal Ratzinger, qui rappelle que la Congrégation pour la doctrine de la foi a pour mission de «préserver la foi et les fidèles», répète que ses services n’ont jamais voulu donner de la publicité au cas de Jacques Dupuis et considère que ceux qui s’y prêtent le font dans l’intention de «mobiliser l’opinion publique contre la Congrégation». Et de demander: «Serait-il interdit de dialoguer avec les auteurs? Est-ce un crime de tenter d’obtenir des explications confidentielles sur des questions difficiles?»

Rome espère une  » heureuse conclusion «

Le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi ajoute que sur les matières générales autour du dialogue interreligieux que le cardinal König met sur le tapis, il faut toujours avoir en tête deux questions vitales: «Un chrétien peut-il s’impliquer dans le dialoguer en laissant de côté sa conviction de foi que le Christ est vraiment fils de Dieu et que c’est quelque chose d’unique dans le christianisme? Et s’il le fait, peut-il en même temps être honnête avec lui-même et avec les autres s’il laisse en marge cette conviction?»

Le prélat de la curie déplore en outre que le cardinal König cite dans son article les enseignements du Concile Vatican II et du pape Jean Paul II pour les retourner contre son dicastère. «Je ne peux imaginer, écrit-il, que vous croyiez sérieusement que ce que pense la Congrégation est en contradiction avec le Concile Vatican II et avec l’encyclique sur l’activité missionnaire «Redemptoris missio» «Si tel était le cas, ajoute-t-il, «le pape n’aurait pas approuvé personnellement le dialogue de la Congrégation avec le Père Dupuis, ce qu’il a fait en réalité».

En conclusion, le cardinal Ratzinger dit espérer que la «discussion» avec le Père Dupuis trouvera rapidement «une heureuse conclusion» qui puisse servir «la vérité, l’Eglise et nous tous».

Outre la mise au point du cardinal Ratzinger, «The Tablet» publie une nouvelle lettre du cardinal König. En à peine dix lignes, l’ancien archevêque de Vienne signale avoir reçu «un appel téléphonique officiel mais aimable» de son collègue de Rome, à l’occasion duquel ils ont été d’accord pour dire que «le dialogue avec le Père Dupuis doit être une priorité». Ensuite, sans vraiment se rétracter, le cardinal autrichien se dit «convaincu qu’un entretien personnel est la meilleure façon d’affronter les différends». (apic/cip/pr)