Rome: L’ambassadeur de Belgique près le Saint-Siège quitte ses fonctions
L’analyse d’un observateur privilégié sur «la politique» vaticane
Rome, 1er octobre 2006 (Apic) Benoît Cardon de Lichtbuer, ambassadeur de Belgique près le Saint-Siège, quitte ses fonctions après quatre ans en poste à Rome. Il a livré à I.Media, partenaire romain de l’Apic, son témoignage d’observateur de la vie du Saint-Siège et de l’Eglise catholique au cours de ces années. Quelques constats: la place des femmes reste problématique dans l’Eglise; l’activité du Saint-Siège sur le plan purement diplomatique est en diminution.
Après la polémique autour des propos de Benoît XVI sur l’Islam, l’ambassadeur estime qu’en matière de dialogue interreligieux, «l’Eglise catholique a une responsabilité sociale : celle de la pacification entre les différents groupes culturels et religieux».
Q.: Quel bilan faites-vous de vos quatre années d’ambassadeur près le Saint-Siège ?
Benoît Cardon de Lichtbuer: L’activité du Saint-Siège sur le plan purement diplomatique est en diminution ces dernières années. Le pape Benoît XVI veut se concentrer sur les questions religieuses et l’organisation interne de l’Eglise. Son prédécesseur avait donné une attention tout à fait essentielle à la politique internationale. Il y a donc quelque chose qui est en train de changer. Les diplomates accrédités auprès du Saint-Siège doivent donc élargir leur centre d’intérêt au cours de leur mission. Ils doivent s’intéresser à la vie interne de l’Eglise, à l’Eglise en tant que tel, à travers les congrégations religieuses qui ont plus d’expérience de terrain ou les associations et groupes qui gravitent autour du Saint-Siège, comme Caritas internationalis, ou la communauté Sant’Egidio. Dans cette partie du monde, l’Occident, l’Eglise est en crise. Il est intéressant de voir comment les choses sont envisagées depuis Rome.
Q.: Comment jugez-vous le début de pontificat de Benoît XVI ?
Benoît Cardon de Lichtbuer: Les années 2002-2006 ont été une période de transition et de grande émotion avec la mort de Jean Paul II. Puis est venu Benoît XVI. Cet intellectuel pur s’est montré ouvert à une pastorale différente de celle de Jean Paul II, avec, certes, les mêmes options fondamentales mais avec quelque chose de différent. Il veut aller au fond des choses.
Q.: Après la polémique sur le discours du pape à l’université de Ratisbonne, quel regard portez-vous sur le dialogue interreligieux ?
Benoît Cardon de Lichtbuer: Dans ce domaine, l’Eglise catholique a une responsabilité sociale : celle de la pacification entre les différents groupes culturels et religieux. C’est ce qui donne, qui assure la crédibilité de l’Eglise dans la société en général. C’est un moyen pour l’Eglise de jouer un rôle politique essentiel dont on peut lui être reconnaissant. Dès l’élection de Benoît XVI, j’ai été un peu inquiet de certaines décisions prises dans les premiers mois, marquant une certaine hésitation dans ce dialogue. Le pape veut gérer les choses avec profondeur et parler vrai. Dans le cas de l’Islam, il se trouve face à des gens très susceptibles et quand on définit une ligne de conduite, il faut savoir comment ses interlocuteurs vont réagir. Dans la polémique autour des propos du pape sur l’Islam, Benoît XVI a fait l’indispensable. Mais l’affaire n’est pas enterrée et la plaie n’est pas cicatrisée. Ceci demande à l’Eglise de traiter en profondeur le dialogue interreligieux devenu fondamental. Quelque chose de très positif peut sortir d’une crise. Mais, chez les musulmans modérés et les minorités chrétiennes de ces pays, on est inquiet et méfiant. Il faut des gestes de bonne volonté.
Q.: Quels sont, pour vous, les défis à relever pour le pape et le Saint-Siège ?
Benoît Cardon de Lichtbuer: Il y a des velléités de réformer la curie romaine. Il faut souhaiter que cette réforme apporte une plus grande rotation du personnel, une introduction de plus de laïcs dans les institutions. Ce serait compréhensible avec la baisse du nombre de prêtres. Le problème des femmes reste le point faible de l’Eglise catholique. A part quelques nominations, l’Eglise reste une institution d’hommes, dominée par eux. Si l’Eglise veut être en phase avec la société actuelle, c’est une chose qu’elle devrait changer, en introduisant des laïcs et des femmes. Par ailleurs, il y a de grands défis qui ne semblent pas avoir vraiment de début de solution. En Occident, l’influence du catholicisme régresse, mais, sur les autres continents, on considère que l’Eglise est encore trop eurocentrée. Il n’y a pas de véritable stratégie face à la montée des sect es, en particulier en Afrique et au Brésil. Est-ce que le centralisme de l’Eglise, l’universalisme de la liturgie, ne passeraient pas à côté de richesses ? Au sommet de l’Eglise, il n’est pas toujours facile de parler vrai.
Q.:Quels sont donc les obstacles ?
Benoît Cardon de Lichtbuer: Beaucoup d’énergie est parfois dépensée sur certains dossiers, pour ramener, par exemple, certains groupes dans le giron de l’Eglise. Mais que fait-on d’autres problèmes lancinants comme le manque de prêtres ou la question des divorcés-remariés ? L’Eglise doit être moins sur la défensive, en particulier dans son dialogue avec la science où elle doit multiplier les échanges. Elle doit aussi améliorer sa communication. Elle a un problème de vocabulaire dans le contexte culturel actuel. S’il y a un fossé entre le magistère et le peuple c’est que le message ne passe pas. (apic/imedia/pr)