500e anniversaire de sa mort aujourd’hui

Rome: La béatification d’Isabelle la Catholique n’est pas à l’ordre du jour

Hervé Yannou, correspondant de l’Apic à Rome

Rome, 26 novembre 2004 (Apic) Le 26 novembre 1504, disparaissait Isabelle de Castille dite la catholique. En ce 500e anniversaire de sa mort, la béatification de la souveraine espagnole, parfois annoncée dans la presse, n’est pas à l’ordre du jour pour le Saint-Siège. Son procès est encore entre les mains des historiens et non des théologiens, a appris l’Apic de sources proches du dossier.

La béatification controversée de la mécène de Christophe Colomb revient sur le devant de la scène avec la conclusion de plusieurs études historiques autour de l’expulsion des juifs de son royaume en 1492. Le pape d’alors, Alexandre VI Borgia, dont la famille était originaire d’Espagne, avait accordé à Isabelle le titre de «reine catholique» en hommage à sa politique religieuse. La vérité est à rechercher dans les documents d’archives, estiment les spécialistes.

En 1958, les évêques espagnols ont proposé la béatification d’Isabelle avec l’appui du dictateur Francisco Franco (1939-1975). La cause est arrivée à Rome en 1982. En 1990, les premières rumeurs de béatification de la souveraine ont défrayé la chronique. Le processus de béatification connaît des «avancées et des reculs», selon des sources proches du dossier.

Le 4 mars 2002, les deux tiers de l’Assemblée plénière des évêques d’Espagne demandaient la révision du procès de béatification d’Isabelle la Catholique. «La reine Isabelle Ière de Castille et Leon, avaient alors déclaré les évêques dans la perspective du 500e anniversaire de sa mort, est une figure d’une importance exceptionnelle en raison même de ce qu’elle a réalisé pour l’évangélisation de l’Amérique».

Cinq cents ans après sa mort, l’Espagne invoque encore l’héritage d’Isabelle la Catholique. Ainsi, l’ancien chef du gouvernement conservateur espagnol, José Maria Aznar, s’est récemment placé dans la lignée de cette reine qui acheva la reconquête du territoire espagnol sur les arabes, en assurant que «les problèmes de l’Espagne avec Al Qaïda n’avaient pas commencé avec la crise irakienne, mais du moment où l’Espagne avait refusé d’être un morceau de plus du monde islamique, après avoir été conquise par les Maures».

Pourtant, la possible béatification de la souveraine ibérique ne va pas sans émouvoir une partie de la communauté juive, tout comme celle du pape Pie XII qui régna durant la Seconde Guerre mondiale. Les deux dossiers sont très différents, soulignent les spécialistes de ces questions au Vatican.

Expulsion des juifs controversée

«Isabelle la Catholique, lors de l’expulsion des juifs, a agi sans aucune pression et dans un contexte historique particulier. Pie XII, que certains accusent de ne pas avoir condamné officiellement l’Holocauste durant la guerre, se trouvait dans une situation tragique. Il avait le choix entre prendre la parole ou se taire pour tenter de défendre les juifs comme il le pouvait. L’exemple des condamnations officielles des rafles et de la déportation des juifs faites par l’Eglise catholique aux Pays-Bas et en Allemagne lui montrait que ces prises de paroles officielles avaient aggravé le sort des juifs», a-t-on expliqué à l’Apic, en soulignant par ailleurs que la béatification de Pie XII «n’est ni pour demain, ni pour après demain».

Isabelle de Castille, fille aînée d’Isabelle du Portugal et de Juan II de Castille, est née le 22 avril 1451 à Madrigal de las Torres. Elle se maria à son initiative avec Ferdinand d’Aragon le 19 octobre 1469, scellant l’union des deux plus importants royaumes de la péninsule – la Castille et l’Aragon -, dans une Espagne en proie à des guerres civiles et occupée au sud par les Maures.

Une «seconde Vierge Marie»

Isabelle, qui avait inspiré à ses sujets une dévotion fanatique et était considérée comme une «seconde Vierge Marie», donna naissance à cinq enfants : Isabelle (1470), Juan (1478), Juana (1479), Maria (1482) et Catalina (1485). En 1497, la mort de son fils Juan la fit sombrer dans la dépression, aggravée par les tragiques délires morbides de sa fille Jeanne, dite la folle, mère de l’empereur Charles Quint. Aujourd’hui, on prête à la reine deux miracles : les guérisons d’une citoyenne des Etats-Unis atteinte d’un cancer du pancréas et d’un prêtre espagnol victime d’une hémorragie cérébrale.

Les historiens considèrent Isabelle comme un personnage fondamental pour comprendre la sortie de l’Espagne du Moyen-Age, mais relèvent aussi les côtés obscurs de son règne. Ainsi, Joseph Pérez, historien français spécialiste de l’Espagne, s’interroge sur le bien-fondé d’une possible béatification dans un ouvrage qu’il a consacré à la reine et paru en octobre dernier (Isabelle la Catholique : un modèle de chrétienté ?). Pour lui, il semble que la création de l’Inquisition et l’expulsion des Juifs doivent être davantage imputés à son mari Ferdinand d’Aragon. Il n’en reste pas moins que la reine, qui a joué un rôle dans l’expédition de Christophe Colomb, n’était guère hostile à l’esclavage des Indiens. Pour l’historien, Isabelle apparaît plus comme une figure de pouvoir, davantage mue par un ressort polit ique que religieux.

Utilisation du christianisme comme arme politique

Isabelle aurait utilisé le christianisme comme une arme politique pour asseoir le pouvoir de la monarchie en Espagne. Ainsi, l’expulsion des juifs d’Espagne, en 1492, a été particulièrement saluée par le philosophe italien Nicolas Machiavel (1469-1527) comme «un acte de bon gouvernement», parce qu’il permettait la création d’un Etat avec une unité culturelle et politique.

Le prêtre et journaliste espagnol José Maria Javierre, qui vient de publier L’énigme d’une reine, se montre, lui, plus favorable au caractère profondément religieux de la souveraine. Après la guerre civile espagnole (1936-1939), Isabelle fut regardée comme «maudite», explique-t-il. Les chrétiens proches de la théologie de la libération l’accusèrent d’avoir imposé le catholicisme au Indiens d’Amérique, en mettant à feu et à sang ses nouvelles colonies. Aujourd’hui, pourtant, la cause en béatification de la souveraine compte de nombreux soutiens en Amérique latine. Enfin, pour José Maria Javierre, la reine a fait expulser les juifs d’Espagne «pour unifier le royaume, et non par racisme».

Si Isabelle était un jour béatifiée par l’Eglise catholique, elle rejoindrait les nombreux souverains élevés à la gloire des autels au cours des siècles. L’Espagne est déjà représentée ’à la droite de Dieu’ par Ferdinand III de Castille (1199-1252).

Le dernier souverain à avoir été béatifié est Charles de Habsbourg, dernier empereur d’Autriche-Hongrie, le 3 octobre 2004. Cette dernière béatification d’un monarque déchu ayant régné durant la Première Guerre mondiale, avait soulevé des polémiques. (apic/imedia/hy/bb)

26 novembre 2004 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture: env. 4 min.
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