Rome: Le cardinal Roger Etchegaray publie ses mémoires
Rencontre avec le cardinal français qui a «senti battre son coeur»
Propos recueillis à Rome par Hervé Yannou
Rome, 13 novembre 2007 (Apic) Il fut, pendant un quart de siècle, l’homme de confiance et des missions diplomatiques difficiles de Jean Paul II. Voyageur infatigable, maître dans l’art de la précaution, le cardinal français Roger Etchegaray, vice-doyen du collège cardinalice, publie ses mémoires. Titre: «J’ai senti battre le coeur du monde» (Fayard).
Dans ce livre de conversations avec Bernard Lecomte, l’un des biographes de Jean Paul II, l’ancien archevêque de Marseille et président des Conseils pontificaux Justice et Paix et Cor Unum, parle de l’Eglise d’hier et d’aujourd’hui, du monde et des relations avec l’islam. Le cardinal a répondu aux questions d’I.Media et du quotidien français «Le Figaro».
Q.: Vous qui n’aimez pas parler de vous, pourquoi livrez-vous ces souvenirs aujourd’hui ?
Cardinal Etchegaray: J’ai accepté parce qu’il s’agit d’une collection non autobiographique mais sous la forme de «témoignage pour l’histoire» et un homme d’Eglise y a bien sa place. mais tout autre que moi aurait pu en être un meilleur témoin.
Q.: Dans votre livre, vous reprenez des paroles du cardinal Suhard et du chemin à parcourir pour sortir de «la chrétienté médiévale». L’Eglise l’a-t-elle parcouru ?
Cardinal Etchegaray: Les paroles, à l’accent prophétique, du cardinal Suhard (1874-1949, archevêque de Reims puis de Paris à partir de 1940) datent d’avant le Concile Vatican II. Ce Concile a permis à l’Eglise de lever quelques ponts-levis qui en faisaient comme une forteresse. Mais je suis frappé par ce que disait le cardinal: «Il nous faudra longtemps, peut-être, pour nous déshabituer de certaines méthodes de chrétienté médiévale». On le constate chaque jour, les mentalités ne changent pas aussi vite que les structures, quarante ans ne suffisent pas pour cela.
Q.: Le monde se porte-t-il mieux aujourd’hui qu’hier ?
Cardinal Etchegaray: Malgré tout, il ne faut jamais comparer deux époques. Vous m’interrogez sur l’état du monde: par caractère et par spiritualité, je pense être dans le temps présent, mais quand je sens battre le coeur du monde, je le trouve en fibrillation constante.
Q.: Dans votre livre, vous abordez la question du dialogue avec l’islam. La voie pour une connaissance mutuelle réciproque est-elle celle du dialogue culturel ou théologique ?
Cardinal Etchegaray: Le dialogue catholiques-musulmans risque d’être hypothéqué du fait d’approximations ou de préjugés réciproques. La connaissance de l’islam est importante par la masse de ses partenaires et la qualité de ses valeurs religieuses. Ce dialogue ne peut se limiter au niveau théologique ou culturel, il doit être coûte que coûte sur le terrain de l’existence quotidienne, là où vivent tant d’étudiants et de travailleurs immigrés.
Q.: Pour revenir sur ce que vous écrivez sur mai 1968 : Dieu est-il conservateur ? Et l’Eglise ?
Cardinal Etchegaray: Dieu ne peut pas être conservateur, car Il est perpétuelle création. Quant à l’Eglise, sa mission est d’avancer sur une ligne de crête, sa sécurité et son audace sont à la mesure de sa fidélité à l’Esprit créateur.
Q.: «Que revienne l’époque saine et rude où le pasteur osait parler haut et net, cru et dru, à un peuple capable d’accueillir la verdeur d’une parole tranchante et pas trop balancée!» écriviez-vous en arrivant à Marseille. Est-ce un manifeste encore valable ?
Cardinal Etchegaray: Oui, c’est une sorte de manifeste. toujours valable !
Q.: Avez-vous comme un regret qu’à cause de vos 80 ans vous n’ayez pas pu prendre part directement au conclave dans la chapelle Sixtine en avril 2005 ?
Cardinal Etchegaray: Oui ’comme un regret’, surtout quand on a couvert 26 ans de sa vie comme cardinal ! (apic/hy/pr)