Rome: Le nouveau patriarche chaldéen plaide pour «la liberté religieuse» en Irak

Eviter une Constitution islamique

Ariane Rollier, correspondante de l’Apic à Rome

Rome, 5 décembre 2003 (Apic) La guerre en Irak ne date pas de l’invasion du pays par les Etats-Unis, mais de l’embargo institué 12 ans plus tôt. Une guerre sans arme mais qui fait mourir de faim la population. C’est ce qu’a déclaré à l’Apic Emmanuel III, élu patriarche chaldéen le 3 décembre à Rome, et confirmé le jour même par le pape. Pour le prélat, l’Irak doit devenir un état laïc et respecter la liberté religieuse.

Au lendemain de l’élection par le choeur des 23 évêques chaldéens à Rome de leur nouveau patriarche, l’Apic a rencontré au Vatican l’Irakien Emmanuel Karim Delly, qui a pris le nom d’Emmanuel III. Agé de 76 ans, il a été, jusqu’à il y a six mois et pendant 39 ans, évêque auxiliaire de son prédécesseur, le patriarche Bidawid, et s’apprête à rentrer à Bagdad, au siège du patriarcat.

Apic: Béatitude, désormais à la tête de l’Eglise chaldéenne d’aujourd’hui, quelle est la situation du peuple irakien ?

Emmanuel III: La population souffre encore. Il n’y a aucune sécurité, ni travail. La souffrance et l’insécurité augmentent même. La guerre a duré plus de 13 ans. J’y inclus les années d’embargo, une guerre sans arme mais qui fait mourir de faim la population. Puis il y a maintenant la guerre liée à l’occupation de Bagdad par les Américains et Anglais depuis mars dernier. Ces derniers pensaient que leur intervention améliorerait la situation, mais jusqu’ici malheureusement toute sécurité est inexistante. Nous espérons l’obtenir.

Apic: Le peuple irakien est-il en mesure aujourd’hui de tenir les rênes du pays?

Emmanuel III: Nous avons absolument besoin d’une nouvelle constitution, et une constitution qui inclut la liberté religieuse, la liberté d’éducation et d’enseignement culturel et social. Nous voulons une constitution qui ne soit pas religieuse, sinon elle suivra la loi musulmane, mais qui donne la liberté et l’égalité aux chrétiens et aux musulmans, à toutes les religions. Nous en avons déjà parlé avec le primat et les alliés de la coalition. Nous travaillons donc avec la coalition pour une constitution laïque, avec la liberté de religion et l’application des droits de l’homme. Nous espérons réussir. Nous vous demandons pour cela votre soutien et votre prière car si certains musulmans partagent notre opinion, les fanatiques en revanche pas. Or, les chrétiens ne représentent que 3% de la population en Irak . Nous avons donc besoin de l’appui des Américains; sinon la constitution sera islamique.

Quelle est la situation des chrétiens face à cette majorité musulmane ?

Emmanuel III: Nous vivons avec les musulmans depuis d’innombrables années avec amour et charité. Nous n’avons pas de difficultés avec eux et leur loi. Nous avons la liberté de dévotion, mais nous n’avons pas la liberté religieuse. Cela signifie que nous pouvons pratiquer notre liberté religieuse dans nos propres églises comme nous le voulons. En revanche, les musulmans ne peuvent pas se convertir au christianisme. Et si un chrétien devient musulman, tous ses enfants doivent l’être également.

Apic: Que pensez-vous faire pour aider l’Eglise souffrante en Irak, en tant que nouveau patriarche?

Emmanuel III: Le seul moyen pour aider notre Eglise chrétienne est de donner un bon exemple aux musulmans. Si les musulmans respectent le Coran et si les chrétiens respectent l’Evangile tout est en ordre. Sinon, cela devient dangereux. Pour le moment il n’y a pas de règles allant à l’encontre des chrétiens. Cependant, si la législation suit la loi religieuse musulmane, les chrétiens en pâtiront. Par exemple, l’alcool est interdit, dans les magasins également, ce qui nuit aux chrétiens finalement.

Apic: Si les fondamentalistes obtiennent gain de cause, que ferez-vous? Et si les musulmans ne remplissent pas leur promesse?

Emmanuel III: Si nous n’obtenons pas cette liberté, les chrétiens quitteront le pays. Mais aujourd’hui rien n’est ne va à l’encontre des chrétiens et les alliés essaient de convaincre les musulmans d’une constitution qui donne la liberté à tous.

Apic: Est-il vrai que les attaques fondamentalistes contre les chrétiens ont augmenté?

Emmanuel III: Ces derniers temps oui. Elles viennent d’Arabie Saoudite et d’Iran. Nous avons peur de cela.

Apic: Dans un tel contexte que direz-vous à votre communauté pour Noël ? Quel sera votre message?

Emmanuel III: Prions et sûrement notre Seigneur nous exaucera et fera les meilleures choses pour nous. Car si nous devons suivre une constitution musulmane, nous ne pourrons rien faire. C’est pourquoi nous prions et nous faisons tout notre possible pour cela. AR

Encadré:

Portrait de l’Eglise chaldéenne

Née en Irak, en Mésopotamie, l’Eglise chaldéenne compte environ 700’000 fidèles dans le monde, dont 550’000 en Irak et 150’000 dans la diaspora. 23 évêques sont à la tête des 16 diocèses, 8 situés en Irak et 8 dans la diaspora.

Elle est la branche catholique de l’Eglise d’Orient, alias nestorienne, qui avait refusé le Concile d’Ephèse (431). Le patriarche Jean Simon SOULAKA, élu en 1551, fut reconnu par Rome comme patriarche des Chaldéens. Mais l’union ne sera définitive avec Rome qu’en 1830, lorsque le Pape Pie VIII confirma dans sa fonction le patriarche Jean Hormizd II avec le titre de patriarche de Babylone des Chaldéens.

Le siège du patriarcat se trouve depuis 1957 à Bagdad, ville qui compte 300’000 chaldéens répartis sur 28 paroisses. Les séminaires majeur et mineur sont également dans la capitale irakienne qui regroupe 54 églises chrétiennes au total -catholiques et orthodoxes arméniennes-.

Le patriarche Raphaël I Bidawid, décédé en juillet dernier, est resté à la tête de l’Eglise chaldéenne durant 14 ans.

(apic/imedia/bb)

5 décembre 2003 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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