Rome: parution de l’encyclique «Veritatis Splendor» (051093)
«Bref résumé» du Père Albert Chapelle, un des rédacteurs de l’encyclique
Rome/Bruxelles, 5octobre(APIC) La parution de l’encyclique «Veritatis
Splendor», le 5 octobre, constitue un événement attendu depuis six ans par
l’Eglise catholique. Fuites, rumeurs, spéculations ont fait les beaux jours
de nombreuses publications. Le Père Albert Chapelle, jésuite belge, qui a
participé directement à la rédaction de ces 186 pages très denses en présente ci-dessous un «bref résumé». Le professeur de l’Institut de Théologie
de Bruxelles, qui a présenté l’encyclique à Rome au côté du cardinal Ratzinger, en livre les principaux enjeux.
«Que dois-je faire?» (Veritatis Splendor 2) La question posée par Kant
faisait écho à l’interrogation soumise à Jésus: «Que faire de bon?» (Mt
19,6). «Recherche de sens», discernement du bien et du mal (VS 2), «voie de
salut (VS 3): autant d’expresssions de la question morale. Celle-ci «rejoint en profondeur tout homme» (VS 3). La tradition tient la réponse accessible; même elle la croit donnée dans la vie et la parole de JésusChrist. La vérité de l’Evangile a l’éclat de la beauté: ’Veritatis splendor’. Aux yeux de l’Eglise, la doctrine donnée d’en-Haut est transmissible
et donc toujours communicable, disponible pour tous et accessible à chacun.
Avant d’en présenter le déploiement, indiquons l’objet précis de l’encyclique. «Pour ne pas réduire à rien la Croix du Christ» (1 Co 1,17, c’est
l’intitulé du troisième chapitre). «De nombreux saints et saintes ont rendu
témoignage à la vérité morale et l’ont défendue jusqu’au martyre, préférant
la mort à un seul péché mortel (…) l’Eglise a canonisé leur témoignage et
déclaré vrai leur jugement, selon lequel l’amour de Dieu implique obligatoirement le respect de ses commandements, même dans les circonstances les
plus graves, et le refus de les transgresser, même dans l’intention de sauver sa propre vie.» (VS 91).
L’espérance prophétique, la sagesse grecque et la simplicité de l’Evangile reconnaissent dans le martyre, un joyau de l’humanité. Celui-ci signifie «de manière particulièrement éloquente le caractère inacceptable des
théories éthiques qui nient l’existence de normes morales déterminées et
valables sans exception» (VS 90). Ce langage dit en clair «le devoir de
s’abstenir même d’un seul acte concret contraire à l’amour de Dieu et au
témoignage de la foi»(VS 91).
La question morale et la réponse de l’Evangile
«Maître, que dois-je faire de bon?» (Mt 19,16). Le premier chapitre de
’Veritatis splendor’ commente la question morale posée à Jésus: «C’est une
question de plénitude de sens» (VS 7), c’est «la recherche secrète et
l’élan intime» de la liberté. L’interrogation «traduit une aspiration au
bien absolu, qui nous attire et nous appelle à lui; elle est l’écho de la
vocation qui vient de Dieu, origine et fin de la vie humaine» (VS 7).
La réponse du Christ est d’abord d’ordre religieux (VS 9): «Un seul est
le Bon» (Mt 19,17); «nul n’est bon que Dieu seul» (Mc 10,18; Luc 18,19).
«La bonté qui attire (…) et engage l’homme a sa source en Dieu, bien
plus, (…) elle est Dieu lui-même (…) source du bonheur de l’homme (…)
fin ultime de l’agir humain, béatitude parfaite». (VS 9).
La vie morale se présente dès lors comme une «réponse d’amour» aux invitations de Dieu. «Ecoute Israël…» (Dt 6,4-7; VS 10). «Reconnaître le Seigneur comme Dieu est le noyau fondamental, le coeur de la loi, d’où découlent et auquel sont ordonnés les préceptes particuliers.» (VS 11). «Si tu
veux entrer dans la vie, observe les commandements.» (Mt 19,17).
Doctrine morale et opinions erronées
Le premier chapitre de ’Veritatis splendor’ met en relief, à la lumière
de l’Evangile, la finalité de l’agir moral (VS 9-11) et l’obligation des
commandements (VS 12-15). Il rappelle la vocation à la perfection (VS
16-18) et à la suite du Christ (VS 19-21), la nécessité de la grâce divine
(VS 22-24) et l’autorité de l’Eglise en matière morale (VS 25-27).
Le deuxième chapitre expose la doctrine morale de l’Eglise et repousse
certaines opinions erronées. Il met la réflexion sur la liberté au centre
de la question morale. L’encyclique manifeste dans la loi l’alliance de la
liberté et de la vérité (VS 35-45), elle inscrit la liberté dans l’unité de
la personne et l’enracine dans la raison (VS 46-53). Cette réflexion sur la
liberté s’achève par l’analyse du jugement de la conscience, à suivre fidèlement comme une expression, même inadéquate de la vérité (VS 54-64).
Finalité de l’agir (VS 8) et commandements divins (VS 12-15), référence
de la liberté à la loi (VS 31-34), unité spirituelle et corporelle de la
personne humaine (VS 48-50), universalité (VS 52) et permanence (VS 53) de
la loi morale se concrétisent dans le jugement pratique de la conscience,
témoin de la vérité universelle du bien, comme de l’obligation morale du
choix particulier (VS 59-61).
«Au service de la conscience»
Tous les éléments sont ainsi réunis pour opérer les évaluations critiques nécessaires sur certaines thèses morales de l’option fondamentale (VS
65-70) et des téléologismes (ou proportionalismes et conséquentialismes)
(VS 71-83). ’Veritatis splendor’ traite ces questions à la lumière de la
doctrine traditionnelle des sources de la moralité: intention, objet et
circonstances. «Si les actes sont intrinsèquement mauvais, une intention
bonne ou des circonstances particulières peuvent en atténuer la malice,
mais ne peuvent pas la supprimer.» (VS 81). Cette affirmation en fin du
chapitre rassemble l’argumentation. L’option fondamentale peut et doit être
bonne comme l’intention: elle ne suffit pas à qualifier la moralité des
choix des comportements concrets (VS 65-74). Les différents effets, conséquences et autres circonstances de l’action doivent être appréciés justement: «elles peuvent atténuer ou augmenter la responsabilité de l’agent
(…) Elles ne peuvent de soi modifier la qualité morale des actes eux-mêmes: elles ne peuvent rendre ni bonne ni juste une action en elle-même mauvaise». (Catéchisme de l’Eglise catholique, 1754)
D’une part «la fin ne justifie pas les moyens» (CEC 1759a); d’autre
part, «il n’est pas permis de faire le mal pour qu’en résulte un bien» (CEC
1761). Ces deux propositions simples recouvrent l’affirmation centrale tirée de ’Reconciliatio et paenitentia’ 17: «Il y a des actes qui par eux-mêmes et en eux-mêmes, indépendamment des circonstances (VS 71-83) et des intentions (VS 65-70) sont toujours gravement illicites en raison de leur objet.» (VS 80 et CEC 1756).
’Veritatis splendor’ offre une description critique de la «dissociation»
opérée entre option fondamentale et choix délibéré de certains comportements concrets (VS 66). Comme aussi des théories «appelées téléologiques»
(VS 74), «conséquentialismes» ou «proportionalismes» (VS 75). Les discernements donnés tiennent compte de multiples nuances. Ils se concentrent dans
une affirmation: les intentions ou les circonstances «ne peuvent jamais
transformer un acte intrésèquement malhonnête de par son objet en un acte
’subjectivement’ honnête ou défendable comme choix.» (VS 81). Ou encore:
«Il y a des comportements concrets qu’il est toujours erroné de choisir,
parce que leur choix comporte un désorde de la volonté, c’est-à dire un mal
moral.» (CEC 1761 cité en VS 78).
Pour la vie de l’Eglise et du monde
Le chapitre III montre la portée de ces théories et de leur critique
pour la vie de l’Eglise et du monde. Ce chapitre indique d’abord les enjeux
de la doctrine proposée en ce qui concerne la formation de la conscience
morale (VS 85ss), la sainteté de la personne (VS 88-94) et la vie sociale
(VS 95-101). Il rappelle ensuite la nécessité de la grâce pour l’obéissance
à la loi de Dieu (VS 102-105). Il énonce enfin, dans le cadre de la nouvelle évangélisation toujours confiée à l’Eglise (VS 106-108), le service des
théologiens moralistes (VS 109-113) et les responsabilités des pasteurs,
singulièrement des évêques (VS 114-117).
«La fermeté de l’Eglise dans sa défense des normes morales universelles
et immuables n’a rien d’humiliant» (VS 96). Ce n’est pas une intolérable
intransigeance. «Ces normes constituent le fondement (…) et la garantie
(…) d’une convivialité humaine juste et pacifique, et donc d’une démocratie véritable qui ne peut naître et se développer qu’à partir de droits et
de devoirs. Par rapport aux normes morales qui interdisent le mal intrinsèque, il n’y a ni de privilège ni d’exception pour personne. Que l’on soit
maître du monde ou le dernier des misérables (…) cela ne fait aucune différence devant les exigences morales, nous sommes absolument tous égaux.»
(VS 96).
«Les règles morales fondamentales de la vie sociale comportent des exigences précises auxquelles doivent se conformer aussi bien les pouvoirs publics que les citoyens.» (VS 96). Ce n’est pas seulement affaire d’intentions ou de circonstances, mais de droits fondamentaux inaliénables. «Seule
une morale qui reconnaît des normes valables toujours et pour tous sans aucune exception peut garantir les fondements éthiques de la convivialité au
niveau national ou international.» (VS 97).
Les dernières pages (VS 106-117) sont d’une extrême gravité. «En prêchant les commandements de Dieu et la charité du Christ, le magistère de
l’Eglise enseigne aussi aux fidèles les préceptes particuliers et spécifiques, et il leur demande de considérer en conscience qu’ils sont moralement
obligatoires. En outre, le magistère exerce un rôle important de vigilance
qui l’amème à avertir les fidèles de la présence d’erreurs éventuelles, même seulement implicites, lorsque leur conscience n’arrive pas à reconnaître
la justesse et la vérité des règles morales qu’il enseigne» (VS 110). Ces
paroles du Saint Père sont très fortes.
Jean Paul II rappelle les devoirs des théologiens moralistes à cet égard
(VS 111-113) et la responsabilité des évêques (VS 114-116). «Comme évêques,
écrit l’évêque de Rome, nous avons le grave devoir de veiller personnellement à ce que la ’saine doctrine’ (1 Tm 1,10) de la foi et de la morale
soit enseignée dans nos diocèses.» (VS 116). Pour que ne soit pas réduite à
néant la croix du Christ (VS 117).
La conclusion de l’encyclique salue et invoque Marie, Mère de Miséricorde. «Il n’est aucun péché de l’homme qui puisse annuler la miséricorde de
Dieu.» (VS 118) «Faites tout ce qu’Il vous dira.» (Jn 2,5) (apic/Albert
Chapelle/mp)