La Fraternité Saint-Pie X est prisonnière de ses prises de positions
Rome: Rencontre avec l’abbé Arnaud Devillers, Supérieur de la Fraternité Saint-Pierre
Propos recueillis par Sophie de Ravinel
Rome, 30 octobre 2001 (APIC) Nommé Supérieur général de la Fraternité Saint-Pierre – qui regroupe les traditionalistes restés fidèles à Rome – par le pape Jean Paul II en juillet 2000, l’abbé Arnaud Devillers vient de participer au Synode des évêques comme auditeur. Il fait le point pour l’APIC sur la situation de la Fraternité Saint-Pierre dans les diocèses et sur les relations entre le Saint-Siège et les traditionalistes de Mgr Lefebvre.
APIC: Que pensez-vous du Synode qui vient de se clôturer ?
Arnaud Devillers: J’ai été touché par le fait d’y être convié, c’est une reconnaissance de notre travail. Certes, nous sommes une petite communauté, mais notre mission est importante car elle permet aux traditionalistes de rester unis à Rome et de conserver leur propre identité. Ce Synode a été pour moi une occasion privilégiée de prendre des contacts avec des évêques du monde entier et de m’immerger dans l’universalité de l’Eglise. Dans les faits, je connais beaucoup plus d’évêques venant d’Océanie, d’Australie, des Etats-Unis, du monde anglophone en général. L’accueil du motu proprio Ecclesia Dei y est bien plus chaleureux.
APIC: Sentez-vous une différence avec les évêques francophones ?
Arnaud Devillers: Ils sont moins pragmatiques et présentent souvent des objections idéologiques. J’ai su par exemple qu’un des évêques français présent au Synode avait manifesté son malaise sur l’antenne d’une radio française, lorsqu’il avait su qu’un membre de la Fraternité Saint-Pierre allait faire partie du groupe des auditeurs. Il aurait été rassuré, selon ses propres mots, après mon intervention. Certains sont en effet persuadés que nous sommes des contestataires alors que nous sommes là pour servir une certaine catégorie de leurs ouailles, sous leur autorité. C’est ce que j’ai dit pendant les 8 minutes qui m’ont été octroyées. J’ai demandé aux évêques d’être de vrais pères pour ces fidèles qui sont souvent difficiles à guider, et de nous faire confiance.
APIC: Quelles situations rencontrez-vous dans les diocèses ?
Arnaud Devillers: Les évêques sont souvent assez frappés quand ils viennent à une messe traditionnelle car ils y trouvent beaucoup de jeunes et de jeunes familles avec beaucoup d’enfants, alors qu’ils s’attendraient peut-être à n’y trouver que des personnes âgées nostalgiques. Chez les jeunes, l’ancienne liturgie attire beaucoup car elle est très sacralisée et très belle. Cette beauté est pour eux un moyen d’arriver au mystère, de passer d’une dimension horizontale à une dimension verticale. Il y a chez eux un grand désir de transcendant et pour ceux qui manquent de formation catéchétique, la réalité du sacrifice de la messe est ainsi particulièrement accessible.
Par ailleurs, les jeunes qui suivent notre liturgie et qui sont appelés à la vie consacrée ne vont pas nécessairement ni majoritairement dans des communautés traditionalistes. C’est en soi un signe d’ouverture et de communion dans l’Eglise. Pour beaucoup, nous sommes ainsi un mouvement de transition. Un grand nombre de nos fidèles a un pied chez nous et l’autre pied dans des chapelles séparées de Rome. Pour accomplir cette mission qui nous a été confiée et pour permettre à ces fidèles d’avoir une totales confiance dans l’église, nous avons besoin du soutien des évêques.
APIC: Que se passe-t-il si vous n’avez pas le soutien des évêques ?
Arnaud Devillers: Eh bien sinon il se passe ce qui s’est passé aux Etats-Unis il y a quelques années. Nous avions alors reçu une invitation de la part du cardinal Francis Eugene George à se rendre dans son diocèse qui n’était pas encore celui de Chicago. Entre temps, il a été nommé ailleurs et son successeur n’a rien voulu entendre, ni même nous rencontrer. Résultat, les fidèles traditionalistes se sont tournés vers la Fraternité Saint Pie X de Mgr Lefebvre et parmi les fidèles, il y avait un entrepreneur extrêmement riche qui a donné à cette Fraternité de quoi construire une école et une église.
APIC: Ces catholiques sont souvent fermés…
Arnaud Devillers: Absolument, et je reconnais sans problèmes que certains de nos prêtres nous quittent pour revenir à leurs diocèses respectifs car ils ont épuisé toute leur réserve de patience envers ces fidèles qui rendent la vie impossible à leur évêque. Ils ont toujours peur de se faire avoir, cela se transforme en paranoïa et en obsession du complot. Ce sont des personnes qui ont été «maltraitées» dans le passé, qui ont eu une expérience malheureuse avec leur curé de paroisse. Ils se sont finalement réfugiés dans des chapelles.
APIC: Quelle est alors votre marge de manœuvre?
Arnaud Devillers: Il s’agit d’établir une relation de confiance avec eux car c’est là que le bas blesse. Nous sommes crédibles vis-à-vis d’eux par le biais de la liturgie ancienne que nous employons. Il y a aussi beaucoup de travail à faire pour leur expliquer les textes du Concile qui ont souvent été trahis par l’esprit du Concile.
APIC: N’y a-t-il pas ainsi quelques signes positifs au Brésil?
Arnaud Devillers: Comme beaucoup, j’ai lu dans des bulletins que des discussions paisibles étaient en cours pour un rapprochement entre une Fraternité traditionaliste issue du schisme de Mgr Lefebvre et le diocèse de Campos. C’est un signe d’espoir pour cette situation localisée. Une lueur pour les fidèles du diocèse qui sont scindés en deux factions depuis plus de 12 ans !
APIC: Pensez-vous que cela puisse avoir une influence sur la Fraternité Saint-Pie X ?
Arnaud Devillers: Rome: Rencontre avec l’abbé Arnaud Devillers, Supérieur de la Fraternité Saint-Pierre un peu violentes. Trois points sont particulièrement sensibles, celui de la liberté religieuse, celui de l’œcuménisme et celui de la collégialité. Au début, ils n’y voyaient que des ambiguïtés mais au fil des années, un véritable durcissement s’est opéré, jusqu’à l’obstination. Nous prions pour qu’ils se réconcilient avec Rome, pour qu’ils fassent confiance à l’Eglise.
Il y a d’ailleurs chez eux des personnes de grande qualité et qui n’auraient aucun problème pour revenir dans l’Eglise. Mais au moins la moitié de la communauté ne suivrait pas. Je pense notamment à l’évêque anglais, Mgr Williamson. Pour lui ce rapprochement est un piège et sa chapelle est «le lieu où la plénitude de la vérité a été conservée». Cela devient plus que sectaire. Et quand par hasard une personne se tourne en vérité, vers l’Eglise, elle est tout étonnée de ce qu’elle y trouve et qui est si différent de ce qu’on lui a enseigné. Plus on laisse passer de temps en vue de cette réintégration, plus ce sera difficile. Ils s’enfermeront de plus en plus dans leur monde et risquent de ressembler à la petite communauté des «vieux catholiques». (apic/imed/mk)