Dialogue interreligieux, prière, solidarité et résolution de conflits
Rome : Sant’Egidio fête ses 40 ans / Histoire d’une communauté atypique
Antoine-Marie Izoard, de l’agence I.MEDIA à Rome
Rome, 3 février 2008 (Apic) La communauté de Sant’Egidio a fêté ses 40 ans d’existence le 1er février lors d’une messe présidée à Rome par le cardinal Tarcisio Bertone, secrétaire d’Etat du Saint-Siège. Née le 7 février 1968 à Rome, Sant’Egidio revendique aujourd’hui quelque 50’000 membres dans 70 pays. Outre le dialogue avec les autres religions, ses activités sont axées autour de la prière, de la solidarité et de la résolution de conflits armés.
La naissance de Sant’Egidio est d’abord une histoire d’amitié entre quelques jeunes du très huppé lycée Virgile de Rome. Andrea Riccardi, fils d’un président d’une banque italienne, a 18 ans en 1968. Avec ses compagnons, il appartient à un groupe des Jeunesses étudiantes fondées quelques années plus tôt par un prêtre de Milan, Don Giussani, et qui deviendront le mouvement ’Communion et Libération’.
Alors que flotte un parfum de révolution, ils ne s’abîment pas dans les lectures de Marx ou Lénine, préfèrent méditer l’Evangile et sont inspirés par la figure de saint François d’Assise. Mais la lecture des Ecritures ne les rassasie pas. Andrea et ses amis rêvent en effet de changer le monde et décident de retrousser leurs manches. Après les cours, les jeunes garçons partent à la rencontre des pauvres de la périphérie romaine. Ils organisent le soutien scolaire d’enfants illettrés. «Nous avons commencé dans les bidonvilles, le tiers-monde de la porte à côté», se souvient Mario Marazziti, l’un des premiers compagnons d’Andrea Riccardi et aujourd’hui porte-parole de la communauté.
Peu à peu, leur action s’étend en plusieurs quartiers de la ville : Ponte Marconi, Garbatella, Primavalle. D’abord méfiants à l’égard du Vatican, les jeunes étudiants vont peu à peu obtenir le soutien de prêtres et de prélats. Parmi eux, un membre de la secrétairerie d’Etat de l’époque, Achille Silvestrini, futur cardinal et préfet de la Congrégation pour les Eglises orientales. Le jésuite Carlo Maria Martini, futur archevêque de Milan, les découvre aussi au coeur des années 70. Il participe même aux activités de la communauté en s’occupant d’une personne âgée, tout en assumant ses responsabilités de recteur de l’Institut biblique pontifical.
Parmi les camarades des premières heures, un jeune vicaire de la paroisse Santa-Maria in Trastevere, Don Vincenzo Paglia. Aumônier de la communauté depuis ses débuts, il est aujourd’hui évêque de Terni, à une centaine de kilomètres de Rome. C’est grâce à lui qu’en 1973 la communauté s’installe dans un ancien couvent de carmélites, au coeur de l’un des plus vieux quartiers de Rome devenu à la mode, le Trastevere. La communauté prend alors le nom de ce couvent et de la petite église attenante: Sant’Egidio, saint Gilles en italien. Aujourd’hui, près de la porte, ni pancarte ni panneau, seule une petite étiquette sous la sonnette indique le siège de la gigantesque communauté, qui affirme compter désormais quelque 50’000 membres dans 70 pays.
L’aide aux plus pauvres
«Quand je ne sais vraiment plus comment faire, je prie, car je crois dans la force de la prière», confie Francesca Zuccari, 52 ans, membre de la communauté. Elle se consacre depuis 1980 aux sans-abri, aux sans-domicile fixe, italiens et étrangers. Depuis 1988, elle dirige aussi la ’mensa’, la cantine de la communauté installée dans le Trastevere, où sont servis 1500 repas par jour. Depuis, des popotes identiques ont été ouvertes en Belgique et en Allemagne. A Moscou, une opération similaire est soutenue par Sant’Egidio depuis une quinzaine d’années.
Lorsque l’on demande à Francesca quels sont ses meilleurs souvenirs, elle répond sans hésiter qu’il s’agit des repas de Noël qu’elle organise avec la communauté à l’intérieur de la basilique du Trastevere. Chaque 25 décembre, depuis 1982, la majestueuse basilique est ainsi transformée en un gigantesque réfectoire pourvu de tables colorées, de guirlandes, et accueille plus de 500 clochards, des immigrés roumains, des gitans ou des personnes âgées sans ressources. Ce Noël de Sant’Egidio est devenu le rendez-vous des médias et des personnalités.
Révoltés par la mort de milliers de personnes âgées lors de la canicule de l’été 2003, les responsables de Sant’Egidio ont aussi donné naissance, dès l’année suivante, à une opération baptisée ’Sole si, soli no’ (le soleil oui, la solitude non). Chaque été, quelques milliers de personnes âgées des quartiers de Rome reçoivent ainsi la visite d’équipes de volontaires pour les aider à sortir de leur solitude, leur rendre un service.
Sant’Egidio s’occupe aussi des personnes handicapées, mettant en place des foyers pour adultes en Italie et en Allemagne. A Rome, comme n’importe où dans le monde, les membres de la communauté visitent les malades, avec une attention particulière pour ceux qui sont atteints du sida. Convaincu que «les pauvres vont souvent en prison», Sant’Egidio organise également des visites aux prisonniers, et s’engage dans le combat contre la peine de mort. La communauté a d’ailleurs largement pris part à l’initiative italienne lancée auprès des Nations unies, en novembre 2007, en faveur d’un moratoire sur la peine de mort.
L’esprit d’Assise
Jean Paul II a eu bien du mal, début 1986, à faire accepter l’idée d’une journée mondiale de prière, en présence de chefs religieux non catholiques et non chrétiens de toute la planète. Peu soutenu au sein même de la curie, il a toutefois trouvé un appui en la personne du cardinal Roger Etchegaray, alors président du Conseil pontifical Justice et Paix, tandis que Sant’Egidio et le mouvement italien des Focolari ont aidé aux préparatifs.
Le 27 octobre 1986, Jean Paul II parvenait à rassembler les représentants des principales religions mondiales à Assise, et invitait chacun à prier pour la paix. C’est ensuite la communauté Sant’Egidio qui, avec le soutien du pape polonais, va prendre le relais. Depuis, elle organise chaque année les rencontres ’Hommes et Religions’. A Varsovie, Jérusalem, Bucarest, Lisbonne, Lyon ou Naples en octobre dernier, des représentants des religions se retrouvent pour prier chacun selon leur tradition, et pour affirmer ensemble que «la paix est possible».
’L’Onu du Trastevere’
Au coeur des préoccupations de Sant’Egidio se trouve aussi le tiers-monde. L’un des premiers compagnons d’Andrea Riccardi, Don Matteo Zuppi, est aussi l’un des principaux artisans de l’accord de paix au Mozambique obtenu par la communauté en 1992. Il a marqué le début d’une longue série de négociations en faveur de la paix.
Depuis, les ’miracles’ attribués à Sant’Egidio sont nombreux. Par exemple, en 1993, la communauté est intervenue dans la libération de deux Italiens otages de séparatistes kurdes en Turquie. L’année suivante, la réunion à Rome des chefs des principaux partis politiques algériens a abouti à une plate-forme de paix. Mais l’invitation du parti interdit du Front islamique du salut mettra la communauté en mauvaise posture.
Avec l’appui de Jean Paul II, la communauté a continué son action pour la paix dans les Balkans, au Guatemala, au Soudan, ou en Afrique noire. Forte de ces actions, Sant’Egidio est souvent appelée ’l’Onu du Trastevere’. «Ce sont des expressions qui plaisent aux journalistes», s’exclame en riant Franco, membre actif de la communauté. Il explique ainsi que cet engagement n’a d’autre raison que de «protéger les pauvres qui sont bien souvent les premières victimes des conflits». Mais il reste difficile de savoir ce que pensent réellement les responsables de la secrétairerie d’Etat du Vatican de cette ’diplomatie parallèlé, ponctuée d’opérations médiatiques.
Depuis 1986, au sein de l’Eglise, Sant’Egidio bénéficie du statut d’association publique de laïcs. Pour entrer dans la communauté, explique encore Franco, ni examen de passage ni étapes particulières. «Un membre, précise-t-il, est quelqu’un qui se sent bien chez nous, prend des engagements, et accepte d’être accompagné». Reste une inconnue, l’avenir de la communauté le jour où son fondateur, le tout-puissant Andrea Riccardi, voudra, ou devra, lâcher les rênes.
Encadré :
Andrea Riccardi, diplomate de l’Evangile
Toujours tiré à quatre épingles, Andrea Riccardi arbore un large sourire que ne dissimule pas sa barbe poivre et sel. A 57 ans, ce fils de grande famille romaine peut s’enorgueillir de conduire depuis 1968 la communauté Sant’Egidio. D’abord professeur d’Histoire contemporaine, spécialiste des partis politiques à l’université de Bari, dans le sud de l’Italie, il enseigne à l’université de Rome-III.
Collectionneur de prix pour la paix et francophone, Andrea Riccardi se dit convaincu que «le monde a besoin de la sagesse du dialogue, de la sensibilité à la douleur d’autrui, d’une amitié ouverte à tous, de foi et de convictions». Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur Pie XII, pape qui, en 1954, béatifia un de ses oncles, le bénédictin Placido Riccardi.
Ceux qui apprécient moins l’oeuvre de Sant’Egidio disent ses membres assoiffés de pouvoir. Mais force est de constater que, pour l’heure, son fondateur n’a pas cédé aux sirènes de la politique. A plusieurs reprises, Andrea Riccardi a ainsi refusé d’entrer dans les listes de la Démocratie chrétienne italienne et de se porter candidat à la mairie de Rome.
(apic/imedia/ami/bb)