Lisa Laurenti, co-commissaire de l'exposition Transparence/Transcendance, au Vitromusée de Romont, admire une oeuvre d'Ada Isensee | © Raphaël Zbinden
Suisse

Romont: le verre où transparaît Dieu

De par son rapport à la lumière, le vitrail permet d’exprimer au mieux la transcendance. Une vision que le Vitromusée (musée suisse du vitrail et des arts du verre) de Romont explore dans une exposition dédiée à un couple d’artistes phares du travail sur verre sacré: Hans Gottfried von Stockhausen (1920-2010) et Ada Isensee (*1944).

Les couleurs intenses ou effacées, la pénombre ou la lumière puissante accueillent le visiteur de l’exposition Transparence/Transcendance,  visible en ce moment au Vitromusée de Romont. «Il y a un jeu, un dialogue entre les œuvres des deux artistes», explique à cath.ch Lisa Laurenti. La co-commissaire de l’exposition arpente la salle labyrinthique, posant tour à tour les yeux sur les œuvres de Hans Gottfried von Stockhausen et d’Ada Isensee, qui semblent se murmurer entre elles un mystérieux message.

Car la signification des arrangements, des éclairages et du choix des œuvres n’est pas délivrée. La démarche est d’inviter le visiteur à poser ses propres interprétations. Ni titre sous les cadres, ni explication, ni date, tout juste un court texte d’introduction à l’entrée et des numérotations d’œuvres ultra-discrètes. «Nous avons laissé les images se raconter elles-mêmes», souligne Lisa Laurenti.

Un couple emblématique de l’art sacré

L’exposition mettant en valeur le couple d’artistes verriers allemands lance une année 2024 dédiée par le Vitromusée à l’art sacré, en hommage au centenaire du groupe St-Luc. Cette société d’artistes suisses a donné, dans la première moitié du 20e siècle, un essor exceptionnel à l’art religieux.

Bien qu’ils n’aient pas fait partie de ce groupe, Hans Gottfried von Stockhausen et Ada Isensee ont été choisis par le musée du vitrail pour la dimension emblématique de leur travail en rapport à l’art sacré. La sélection d’œuvres présentées permet aux visiteurs de suivre un parcours de renouvellement de l’iconographie chrétienne, de la seconde moitié du 20e siècle à nos jours.

«Hans Gottfried von Stockhausen plaçait au centre de son enseignement universitaire le ‘tableau en verre’»

Ada Isensee a été l’élève de Hans Gottfried von Stockhausen, de 1968 à 1972, à l’Académie nationale des beaux-arts de Stuttgart. Elle est ensuite devenue sa compagne. Ensemble, ils ont façonné des oeuvres très différentes, tant au niveau technique que graphique, mais empreintes d’un même intense élan vers la transcendance.

Dans un style plus abstrait, Ada explore les dimensions spirituelles et psychiques de l’existence humaine, au moyen de formes symboliques. Les sujets de ses gravures, dessins et peintures sur verre sont le plus souvent des paysages imaginaires, des plantes, des animaux, des personnages légendaires, ainsi que des visages humains.

Entre le matériel et l’immatériel

Son professeur et compagnon arborait un style en apparence plus classique. Depuis la fin des années 1970, il plaçait au centre de son enseignement universitaire le «tableau en verre». «On peut dire qu’il a fait, d’une certaine façon, sortir le vitrail des églises, explique Lisa Laurenti. Il a mis en évidence que l’art sur verre pouvait constituer une œuvre à part, indépendante d’une structure plus grande dans laquelle elle devrait s’insérer.»

L’exposition Transparence/Transcendance fait dialoguer les tableaux de verre | © Raphaël Zbinden

Les images de Hans Gottfried von Stockhausen intègrent souvent des histoires bibliques et des motifs mythologiques. En se basant sur ces figures connues, le peintre allemand voulait traduire la transcendance dans un langage compréhensible. «Il y a chez Ada Isensee et chez Hans Gottfried von Stockhausen une sorte d’inversion de perspective, souligne Lisa Laurenti. Alors que lui part du matériel, du connu, pour atteindre l’immatériel, elle fait en quelque sorte descendre l’immatériel dans la matière.»

Au-delà de la démarche d’individualisation du vitrail entreprise par les deux artistes, leurs œuvres ornent tout de même de nombreux lieux de culte. Ils se sont vus confier de prestigieuses commandes, en Allemagne et ailleurs. Hans Gottfried von Stockhausen a notamment signé les vitraux de l’église Saint-Maximilien Kolbe de Hambourg. L’une des installations de vitraux les plus remarquables d’Ada Isensee se trouve dans l’église Sainte-Anne de Lübeck.

Précurseurs techniques

Le couple de créateurs a également fait évoluer le travail sur verre sur le plan technique. Hans Gottfried a en même temps relancé les anciennes techniques artisanales de travail du vitrail, et en a développé de nouvelles. Grâce à lui, le terme de «Stuttgart Glass» a été internationalement reconnu.

«Les œuvres ne sont pas reliées par la chronologie de leur création, mais par les thèmes qu’elles colportent»

Ada Isensee a aussi contribué à repousser les limites du travail sur verre. Avec d’autres artistes contemporains du vitrail, elle a expérimenté une gamme plus large de matériaux, notamment le verre fusionné, le verre feuilleté et d’autres matériaux modernes qui offrent des textures, des couleurs et des effets de transparence uniques. Elle a aussi pleinement exploité les progrès techniques du 21e siècle, notamment les logiciels de conception assistée par ordinateur et les techniques de fabrication numérique.

Verre sublimé

Autant d’aspects qui ne sont pas explicités dans l’exposition du Vitromusée, qui privilégie une approche intuitive des deux artistes. Les œuvres ne sont pas reliées par la chronologie de leur création, mais par les thèmes qu’elles colportent. Des dimensions universelles telles que le dialogue «entre terre et ciel», la «manifestation du divin», ou encore la «puissance féminine».

En passant dans les couloirs de l’exposition, le visiteur passe de l’ombre à la clarté, avec peut-être à la clé quelques illuminations spirituelles. «Hans Gottfried von Stockhausen et Ada Isensee se rendaient compte de la puissance symbolique du vitrail pour exprimer la transcendance, remarque Lisa Laurenti. Cette dimension du verre comme matière sublimée par la lumière qui la traverse est centrale dans leur travail.» (cath.ch/rz)

Exposition: Transparence | Transcendance, Ada Isensee, Hans Gottfried von Stockhausen.
Vitromusée de Romont, du 7 avril au 22 septembre 2024.

Ada Isensee est née en 1944 à Potsdam, près de Berlin. En 1967, elle obtient un diplôme en pychologie aux Universités Louis-et-Maximilien de Munich et Eberhard Karl de Tübingen (Bade-Wurtemberg). La même année, elle part pour deux ans à l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris. Entre 1968 et 1972, elle a été l’élève de Hans Gottfried von Stockhausen, à l’Académie des beaux-arts de Stuttgart, en tant que peintre indépendante. Son travail se concentre sur la création de tableaux en verre et la conception de verrières liées à l’architecture ainsi que sur le dessin et la gravure.

Hans Gottfried von Stockhausen est  né en 1920 à Trendelburg (Hesse). Après avoir participé à la Deuxième guerre mondiale, il étudie de 1947 à 1952 le vitrail et la mosaïque à l’Académie des beaux-arts de Stuttgart. En 1971, le ministère de la Culture du Bade-Wurtemberg le nomme à la chaire de vitrail et de mosaïque et il occupe pendant plusieurs années le poste de vice-recteur de l’école. Il s’est d’abord consacré au vitrail lié à l’architecture et s’est vu confier des commandes, notamment dans le domaine ecclésiastique au niveau international. Après sa retraite, en 1968, il enseigne à la Pilchuck Glass School de Washington et à Edimbourg (Ecosse). Il décède en 2010 à Buoch, près de Stuttgart.

Lisa Laurenti, co-commissaire de l'exposition Transparence/Transcendance, au Vitromusée de Romont, admire une oeuvre d'Ada Isensee | © Raphaël Zbinden
6 mai 2024 | 17:00
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 5 min.
Art sacré (43), Culture (107), Romont (16), Vitrail (3)
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