Russie: L’Eglise orthodoxe veut écarter la théorie d’un «meurtre rituel» du Tsar
Une «conspiration judéo-maçonnnique» est à écarter
Moscou, 11 décembre 1997 (APIC) Le dernier tsar de Russie, Nicolas II, et sa famille auraient-ils péri lors d’un «meurtre rituel» commis par les membres d’une conspiration judéo-maçonnique? Suggestion surprenante, voire choquante pour qui ne connaît pas les croyances de certains monarchistes russes. Et pourtant, cette théorie d’une conspiration judéo-maçonnique figure à l’ordre du jour de la Commission officielle d’enquête sur la mort des membres de la famille Romanov.
La Commission devrait aussi confirmer l’identité des ossements, qui devraient être, cela ne fait pratiquement plus de doute, ceux du tsar et de sa famille. Des funérailles religieuses seront ensuite organisées.
La question fait partie d’une liste de dix points soumis à la Commission par le Synode de l’Eglise orthodoxe russe il y a deux ans, et cela même si les responsables d’Eglise et des historiens connus sont convaincus qu’il n’y a eu aucune conspiration juive ayant entraîné la mort des Romanov.
Pendant deux ans, la Commission n’a pas vraiment progressé. Mais son nouveau président, le Premier vice-ministre Boris Nemtsov, nommé début novembre, a décidé que la Commission devait achever ses recherches d’ici janvier 1998.
Les responsables d’Eglise soulignent qu’ils ont soulevé la question dans l’espoir que le gouvernement écarterait définitivement les idées avancées par un certain nombre de fidèles orthodoxes. Mais le fait même que la question ait été posée révèle la persistance des théories évoquant une conspiration antisémite et répandues dans certains cercles nationalistes de l’Eglise, dont la plupart des membres vénèrent déjà Nicolas et sa famille comme des saints.
Ces mythes – qui prétendent que des juifs auraient pris part au «meurtre rituel» de chrétiens et utilisé leur sang de diverses manières – remontent au 12e siècle. Ils ont été manipulés pour provoquer des violences à l’encontre des juifs au cours des temps.
La préoccupation de l’Eglise orthodoxe russe
Le métropolite Yuvenali, président de la Commission du Synode sur la canonisation et représentant de l’Eglise auprès de la Commission d’enquête, a déclaré à l’Agence œcuménique ENI que la question officielle du Synode sur le meurtre était une réponse aux «multiples publications à ce sujet, diffusées immédiatement après la Révolution et à notre époque» et qui ont fait des adeptes en Russie.
«L’Eglise est préoccupée», a souligné le métropolite. «Les funérailles (de la famille impériale) ne devraient pas déclencher une vague de mouvements incontrôlés antisémites».
Ceux qui prétendent qu’il a eu «crime rituel» font référence aux conclusions données par l’enquêteur de l’Armée blanche, un certain Nikolai Sokolov, peu après l’assassinat du tsar. (L’Armée blanche s’opposait aux Bolcheviks et à l’Armée rouge). Celui-ci révélait qu’il y avait des «symboles» cabalistiques dans la pièce où avait été exécutée la famille Romanov. Il affirmait que les corps des Romanov avaient été détruits et que leurs ossements ne seraient jamais retrouvés.
De nombreux nationalistes ont adhéré à cette théorie. Le fait que de nombreux Bolcheviks, entre autres Yakov Yurovsky, qui a dirigé l’exécution, et le commandant révolutionnaire Sverdlov, qui ont rendu compte de ce qui s’était passé à Lénine, avaient des origines juives, a été utilisé par ceux qui soutenaient la théorie de la conspiration.
Rumeurs tenaces
L’Eglise orthodoxe a essayé plusieurs fois cette année d’écarter la théorie du «meurtre rituel» dans le rapport de la Commission chargée d’étudier la possibilité d’une canonisation. Des experts de l’Académie théologique de Moscou ont affirmé à la Commission qu’en se fondant «sur la présomption d’innocence … la version du caractère rituel du meurtre ne devrait pas être considérée comme étant prouvée».
Il ne semble toutefois pas que le rapport, paru dans une publication à faible tirage de l’Eglise, apporte beaucoup pour modifier les vues des défenseurs de la théorie de la conspiration, qui se basent sur une tradition plus ancienne – et encore plus de documents.
Pour le métropolite Yuvenali, un document officiel du gouvernement certifiant que des «meurtres rituels» juifs n’ont pas eu lieu, et expliquant les signes mystérieux découverts dans la pièce, aiderait à dissiper ces doutes. (apic/eni/pr)