Mgr Albert Rouet, archevêque émérite de Poitiers (photo Jacques Berset)
Suisse

Saint-Maurice: Journées de la CRAL, Humaniser la vie: la tâche des chrétiens

Saint-Maurice 19 janvier 2015 (Apic) «Un monde plus humain… une tâche pour les chrétiens»: tel était le thème des Journées thématiques de la Communauté romande de l’apostolat des laïcs (CRAL) qui ont rassemblé, les 17 et 18 janvier à Saint-Maurice autour de Mgr Albert Rouet, ancien évêque de Poitiers, une cinquantaine de laïcs engagés en Eglise. L’occasion de relire des textes de Vatican II et d’en dégager les enjeux pour aujourd’hui.

Surprenants, riches et d’une étonnante actualité, les textes de Vatican II: c’est la découverte faite par les participants aux journées thématiques de la Communauté romande de l’apostolat des laïcs (CRAL), délégués des mouvements membres et laïcs engagés en Eglise. Deux journées pour tenter de répondre toujours mieux, en mouvements, aux interpellations de ce temps. «Comment agir? Comment rencontrer? Comment proposer l’Evangile au cœur du monde?», a lancé en ouverture le président, Roland Miserez.

Deux thèmes ont guidé la réflexion sur la base de textes du concile Vatican II: humaniser la vie et la place des mouvements dans l’Eglise de Suisse romande. Le chapitre 7 du décret sur l’apostolat des laïcs, intitulé «Le renouvellement chrétien de l’ordre temporel», a servi de fil rouge au premier exposé de Mgr Albert Rouet, archevêque émérite de Poitiers, qui poursuivait le travail entamé en 2014. Si, rappelant la célébration des 50 ans de Vatican II, il a fait remarquer que «beaucoup encenser le Concile a dispensé un certain nombre de chrétiens de le mettre en œuvre», il a proposé une lecture attentive du texte.

Une seule réalité

En ouverture, Mgr Rouet l’a souligné avec force: «Il y a une seule réalité, et selon le regard que l’on porte sur elle, on la rend spirituelle ou temporelle. Finis les domaines réservés aux ministres consacrés – l’intérieur de l’Eglise – et aux laïcs – le monde! Cela ne tient pas! L’Eglise est signe et moyen d’un monde réconcilié, la foi chrétienne une manière de prendre en charge le monde et l’histoire pour les humaniser, les rendre fraternels». Et Dieu, qui est le créateur du monde et non son artisan, «ne fera pas l’histoire du monde sans nous».

Comment y participer? En s’inscrivant dans le dessein de Dieu: bâtir un monde fraternel. Pour cela, il faut reconnaître au monde une valeur propre qui demande qu’on le respecte: «On ne peut pas en faire n’importe quoi! Il porte l’empreinte de Dieu». Pour Vatican II, ce monde est bon – pas question de le refuser au nom d’une ascèse ou d’une liberté sans bornes – et cette «bonté naturelle» est au service de la personne humaine. Ainsi, a affirmé Mgr Rouet, «toucher le monde, c’est toucher la personne humaine». Enfin, pour le concile, Dieu a tout rassemblé dans le Christ: «La foi ne concurrence pas le monde, elle ne le prive pas de son autonomie. Ainsi, être chrétien ne dispense pas d’être compétent».

Que faire pour humaniser le monde présent, un monde qui trop souvent, au cours de l’histoire, a méprisé l’homme, piétiné ses droits, dont les mœurs et les institutions sont rongées par la corruption? A l’Eglise il incombe de «rendre les hommes capables, dit Vatican II, de bien construire l’ordre temporel et de l’orienter vers Dieu par le Christ». Aux laïcs de s’engager dans l’histoire, d’assumer leurs responsabilités et de coopérer avec tous pour construire une société fraternelle. Au milieu de contradictions: entre mondialisation et réalité locale, richesse et pauvreté, technique et crédulité.

 Une réponse adaptée

Puis Mgr Rouet a analysé un texte tiré de la Constitution «L’Eglise dans le monde de ce temps» (no 4, paragraphes 3 à 5) qui exhorte les chrétiens à «scruter les signes des temps et à les interpréter» pour «répondre, d’une manière adaptée à chaque génération, aux questions éternelles des hommes sur le sens de la vie présente et future et sur leurs relations réciproques». L’occasion, pour le conférencier, de souligner l’importance pour l’Eglise de se faire comprendre dans sa réponse. Mais, a-t-il précisé, l’Eglise ne pourra être entendue que si elle s’efforce de connaître et de comprendre le monde, «si elle essaie d’entendre les raisons de l’autre». Là se situe le rôle des mouvements: analyser, écouter, discerner.

Le chrétien est aussi appelé à conserver sa capacité de jugement. Comment? En se ménageant des temps de désert et de silence. Ainsi il ne se laissera pas emporter par un progrès qui le priverait de sa liberté de penser et d’agir: «Attention à ne pas succomber à la fascination des choses!». Il pourra ainsi apporter au monde une réponse apte à l’humaniser.

Enfin, l’évêque a énoncé quatre principes tirés de la Bible qui peuvent éclairer la conscience des chrétiens: il faut promouvoir l’unité du genre humain: il y a une seule humanité; les produits de la terre sont pour le bien de tous; ils doivent être répartis équitablement; l’attention aux plus petits doit guider les actes.

L’Eglise reçoit du monde

Dimanche matin, Mgr Rouet a rappelé en ouverture que «l’appartenance chrétienne ne se réduit pas au culte ni aux statistiques» et mis en garde contre une Eglise qui n’entre pas en dialogue avec le monde. Pourtant, elle a beaucoup à recevoir de lui à condition qu’elle aille à sa rencontre, Vatican II l’affirme au no 44 de la Constitution «L’Eglise dans le monde de ce temps» – un texte que Mgr Rouet a analysé avec les participants – qui reconnaît dans l’Eglise «une réalité sociale» et le «ferment» de l’histoire.

Le rôle des chrétiens dans ce monde? «Prophétique face à une évolution anthropologique considérable, a relevé le conférencier. Prenons la société au sérieux, car l’évolution de l’histoire ouvre de nouvelles voies à la vérité.» Il revient aux chrétiens d’exprimer l’Evangile dans un langage accessible à nos contemporains, sachant que l’Eglise, dit le document conciliaire, «a particulièrement besoin de l’apport de ceux qui vivent dans le monde, et en épousent les formes mentales, qu’il s’agisse des croyants ou des incroyants».

Trois attitudes son requises des chrétiens: scruter, discerner et interpréter «les multiples langages de notre temps» – le voir, juger, agir de l’Action catholique – pour faire résonner le message de l’Eglise dans le monde. Un monde qui, a affirmé Mgr Rouet, «nous oblige à aller au cœur de la foi, à nous purifier», car «on nous attend là où on doute de l’être humain». Le témoignage des chrétiens doit interpeller: «En quoi croire fait-il vivre? En quoi croire rend-il attentif aux pauvres?».

En finale, Mgr Rouet a proposé la lecture d’un passage du décret sur l’apostolat des laïcs (no 18), relevant un point fondamental: la totale autonomie des mouvements. Et souligné trois tâches qui leur reviennent: atteindre les mentalités collectives en montrant qu’on peut faire autrement, améliorer les conditions sociales et faire preuve de vigilance pour que la personne ne soit pas écrasée par les institutions. «C’est cela, construire le Royaume. Et les mouvements sont indispensables pour réaliser ce travail», a dit Mgr Rouet. Qui a célébré l’eucharistie de clôture de deux journées intenses, juste dosage de réflexion, de prière et de convivialité. (apic/gdsc/mp)

 

 

Mgr Albert Rouet, archevêque émérite de Poitiers (photo Jacques Berset)
19 janvier 2015 | 10:19
par Maurice Page
Temps de lecture: env. 5 min.
Albert Rouet (2), CRAL (22), Vatican II (73)
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