Fresque de saint Paul à l'église de Cologny (Genève) | © Bernard Hallet
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Saint Paul a-t-il fondé le christianisme?

Friedrich Nietzsche (1844-1900) a popularisé la thèse selon laquelle Paul de Tarse, et non Jésus, était le réel fondateur du christianisme. Le philosophe allemand considérait l’apôtre comme «le méchant» qui a déformé l’enseignement de Jésus en présentant sa mort comme une expiation des péchés de l’homme. Mais la thèse nietzschéenne est erronée.

Francesco Papagni pour kath.ch / traduction et adaptation: Raphaël Zbinden

Comme on le sait, Paul est au départ un persécuteur de chrétiens. Après que Jésus en personne lui soit apparu sur le chemin de Damas, il devient un prédicateur du Christ. Il entreprend ainsi de grands voyages pour répandre la Parole de Dieu. Son public était surtout constitué de ceux que l’on appelait les «Craignant-Dieu» – des personnes qui s’étaient tournées vers la religion juive sans se convertir formellement.

Toujours lié à la «communauté primitive»

L’argument décisif contre la thèse de Nietzsche faisant de Paul le fondateur du christianisme et le falsificateur du message de Jésus se trouve dans les épîtres de Paul et dans les Actes des Apôtres. On y constate en effet que Paul n’agit jamais de son propre chef.

Selon Walter Kirchschläger, spécialiste du Nouveau Testament qui a notamment enseigné à l’Université de Lucerne, Paul reste constamment lié à la «communauté primitive de Jérusalem». Il se rend régulièrement dans la ville et discute avec Pierre, Jacques et les autres de questions fondamentales. Les non-Juifs doivent-ils respecter les lois alimentaires et être circoncis s’ils se font baptiser? La bonne nouvelle doit-elle être annoncée même aux païens? Les habitants de Jérusalem sont investis d’une autorité particulière parce qu’ils ont rencontré et suivi le Jésus terrestre. Parfois, les discussions mènent à des disputes, mais Paul les surmonte, car pour lui, l’unité des croyants est fondamentale.

Juif ou chrétien?

Pendant longtemps, l’image théologique de Paul est restée déterminée par son opposition au judaïsme. Une religion qu’il aurait laissée derrière lui, l’Évangile remplaçant la Loi. Mais cette vision est aujourd’hui dépassée. En lisant attentivement les épîtres, on découvre quelques passages dans lesquels Paul se réfère avec fierté à sa propre judéité. Ce qui ne fait pas du tout de lui un non chrétien. Au premier siècle, il n’y a pas là de contradiction. La séparation des deux religions aura lieu plus tard.

En revanche, Paul est un universaliste: le message de salut est valable pour tous les hommes, indépendamment de leur origine, de leur religion ou de leur sexe. Même la différence entre hommes libres et esclaves, par ailleurs fondamentale dans l’Antiquité, ne joue aucun rôle.

L’une des principales questions débattues aujourd’hui par les chercheurs est celle de la relation entre judaïsme et christianisme chez Paul. Après des siècles de déni, le pendule oscille aujourd’hui dans la direction opposée: Paul doit être entièrement compris à partir de l’environnement juif.

Diverses conceptions du Messie

Le spécialiste romain Gaetano Lettieri avertit de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Concrètement, il y a une polémique chez Paul par rapport au judaïsme de son époque, et les juifs de l’époque ne supportaient souvent pas non plus ses prédications. Certes, tout cela se passe encore au sein du judaïsme, mais Paul interprète certaines idées de son époque de manière très originale.

Quelle était la signification de la loi de Moïse pour Paul? Et de quelles sources spirituelles s’est nourrie sa conception du Messie? Ce sont des questions qui n’ont pas encore été clairement élucidées. Il est certain qu’il existait différentes conceptions du Messie. Mais l’idée d’un messie accomplissant sa mission par la mort et la résurrection n’existait pas dans le judaïsme de l’époque.

Le christianisme face aux cultures

Donc, Paul doit-il être finalement considéré comme le fondateur du christianisme? La réponse courte est non. Le christianisme ne peut être compris que dans une perspective d’évolution. Au commencement, il y a l’événement du Christ, suivi de l’encouragement pentecôtiste à annoncer l’Évangile aux quatre coins de la terre.

Paul a été très actif en la matière. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Le christianisme primitif a été très vite confronté à la haute culture gréco-romaine et à la question de son rejet ou de son accueil. Une majorité plaidera pour l’accueil, de sorte que la foi chrétienne se retrouvera formulée avec des concepts de la philosophie grecque.

Pas une histoire de décadence

Le droit romain est le troisième élément à prendre en compte. Que ce soit à Jérusalem, à Athènes et à Rome – le christianisme ne peut être envisagé sans le monothéisme juif, la pensée grecque et le droit romain.  Sans Paul, le christianisme n’est effectivement pas concevable, mais Paul n’en est pas pour autant le fondateur. Derrière l’argumentation de Nietzsche se cache un schéma bien connu: l’idée romantique de l’origine pure, qui voudrait qu’il y ait eu un message authentique, qui a ensuite été falsifié, déformé, obscurci. 

Or, d’un point de vue catholique, il existe deux sources de révélation: l’Écriture et la Tradition. Cela signifie que l’histoire du christianisme ne peut être interprétée comme une histoire de décadence face à une «pureté»  originelle. (cath.ch/kath/fp/rz)

Fresque de saint Paul à l'église de Cologny (Genève) | © Bernard Hallet
3 juillet 2025 | 17:00
par Rédaction
Temps de lecture : env. 4  min.
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