St Théodule une cloche à ses pieds (à dr.), et un pied de vigne à sa gauche, côtoie saint Maurice (centre) sur cette fresque qui borde l'oratoire du Christ-Roi situé au-dessus de Lens (VS) | © Bernard Hallet
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Saint Théodule, la cloche et le diable

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Vous verrez souvent sur des représentations (vitraux, sculptures, peintures) de saint Théodule (ou Théodore), premier évêque attesté du Valais et saint patron du canton, un diable et/ou une cloche fendue. Il s’agit d’une allusion à la légende racontant la manière dont le saint se joua du Malin.

Les variantes de la légende qui vantent l’esprit, la malice et la bonté de Théodule sont nombreuses, notamment à partir la thématique du «pont du diable». L’histoire* raconte que l’évêque d’Octodure (Martigny, qui fut le premier siège épiscopal du Valais) eut une vision du pape Léon III furieux contre Charlemagne qu’il s’apprêtait à excommunier. Le Saint-Père reprochait à l’empereur le massacre de milliers de personnes au nom de l’évangélisation. L’évêque se souvenant de tout le bien que l’empereur avait fait pour l’Helvétie, décida de se rendre à Rome pour dissuader le pape d’excommunier un si grand bienfaiteur.

L’évêque juché sur le diable

Il sollicita un des trois diablotins qu’il vit aux alentours de Sion et le pria de le transporter à Rome aussi vite que possible. Ce que le diable accepta à la condition de prendre la première âme qu’il verrait au départ. Théodule imposa la première âme que le diable verrait au retour et avant le premier chant du coq. L’affaire fut conclue, chacun, selon ses vœux, fit placer son coq – blanc pour saint Théodule et noir pour le diable – dans la ville. Le Malin s’envola vers Rome emportant l’évêque sur son dos alors que le soleil n’était pas encore levé.

Ayant survolé le Cervin, Milan, Bologne, la Toscane, et les riches et vertes plaines d’Italie, le diable déposa son passager à Rome. Saint Théodule expliqua et défendit la cause de Charlemagne devant le pape. Ce dernier, touché par la miséricorde de l’évêque et la révélation du projet pontifical qu’il avait reçue de Dieu, déchira séance tenante la bulle d’excommunication et décida de commuer cette lourde peine en une sentence plus clémente.

Statue de St Théodule, au pied duquel se trouve le diable tenant la cloche. Fragment d’un volet de retable. Tilleul, polychromie tardive. Musée de l’Œuvre Notre-Dame de Strasbourg | Wikipedia/Ji-Elle/CC BY-SA 3.0

En remerciement de ce si bon service, l’évêque reçut du Saint-Père une belle cloche, de celles qui appellent de loin les fidèles à la prière. Le diable ramena Théodule à Sion en portant la précieuse cargaison. A l’arrivée, tard dans la soirée, le coq blanc de l’évêque chanta le premier avant que le diable n’ait eu le temps de voir une âme à prendre. Furieux, Satan lâcha l’évêque et la cloche et disparut dans les profondeurs de la montagne. La cloche monta jusqu’au sommet du clocher de la cathédrale de Sion et s’y accrocha.

Une existence attestée au IVe siècle

L’existence de Théodule (ou Théodore) est attestée au IVe siècle, sans plus de précisions. Il est avéré que Théodule a participé au Concile d’Aquilée en 381, convoqué par l’évêque de Milan et présidé par saint Ambroise. Il s’y est présenté comme évêque d’Octodure (episcopus Octodorensis) et participa à la condamnation de deux évêques qui défendaient l’arianisme (un courant théologique selon lequel Jésus est engendré dans le temps et inférieur au Père).

Autre fait vérifié rapporté entre 440 et 450 par Eucher de Lyon, évêque de Lyon de 435 à 449: suite à une révélation de l’endroit où saint Maurice et ses compagnons de la légion thébaine furent ensevelis après leur martyr, Théodule fit bâtir l’église au pied du rocher. Il fit transférer la dépouille des soldats dans le lieu et développa le culte de saint Maurice et ses compagnons.

Certains historiens postulèrent, en référence à son nom, que Théodore était d’origine orientale, qu’il aurait beaucoup voyagé avant de venir évangéliser le Valais. Cette origine supposée expliquerait le rôle qu’il joua dans le renouveau du culte des martyrs d’Agaune, issus d’une légion thébaine venue d’Egypte.

L’épée et la crosse

Outre la cloche et le diable au pied de l’évêque, on trouve aussi souvent le saint tenant l’épée et la crosse, symboles du pouvoir temporel et spirituel de Théodule sur le diocèse de Sion. Historiquement, les évêques ont le pouvoir sur ce diocèse depuis la donation du comté du Valais que leur a faite le roi Rodolph III de Bourgogne, en 999. Cependant, dès la fin du XIIIe siècle, les évêques et leur chapitre cathédral se prévalaient d’une donation du Valais par Charlemagne à Théodore. Un anachronisme qui fut longtemps attaché à l’histoire du saint, mais qu’il faut ranger au rayon des légendes qui ont renforcé cette erreur historique tenace. 400 ans séparent en effet Théodore de Charlemagne.

La vigne et le vin

Théodule est souvent représenté portant une grappe de raisin. L’iconographie le montre aussi une hotte remplie de raisins posée à ses pieds. Une des variantes du récit légendaire veut que, revenant de Rome porté par le diable, saint Théodule aurait lancé des sarments de vigne offerts par le pape, que les habitants auraient plantés, faisant du saint celui qui aurait amené la vigne en Valais. Il n’en est rien. Des fouilles archéologiques ont démontré que la culture de la vigne et la consommation de vin sont courants dans le pays dès l’âge du fer,  sept siècles avant l’arrivée des Romains.

Statue pèlerine de saint Théodule à la cathédrale de Sion en 2015. La hotte débordant de raisin rappelle le miracle de la multiplication du moût de raisin. | © Bernard Hallet

Autre explication du raisin: la légende attribue un miracle à Théodule dès le XIe siècle: il aurait multiplié le moût de raisin à partir d’une grappe, ce qui aurait permis de sauver la récolte lors d’une vendange qui s’annonçait désastreuse. Saint Théodule est fêté le 16 août par les catholiques et le 20 avril par les vignerons valaisans dont il est le saint patron.

Une cloche «sainte»

Quant à la fameuse cloche, si ce n’est pas celle ramenée par Théodule de Rome, il y a en a bien eu une au clocher de la cathédrale de Sion. Après avoir longtemps sonné, elle se fendit. Les fragments furent conservés comme des reliques. Pas une cloche ne fut fondue dans le diocèse sans qu’un petit morceau de la cloche «sainte» ne fut jeté au creuset pour infuser à la nouvelle quelques unes de ses vertus. En 1491, l’église Saint-Etienne à Moudon (VD) en aurait reçu une particule avec solennité. Quelques autres églises vaudoises et fribourgeoises furent également favorisées par le chapitre-cathédrale de Sion. (cath.ch/bh)

*«Le diable de saint Théodule» est extrait de Légendes valaisannes, Ed. Spes à Lausanne, 1919. Histoires recueillies et adaptées par Solandieu et illustrations de Eugène Reichlen.

En tant qu’écrivain et poète, sous le pseudonyme de «Solandieu», Albert Duruz a «célébré le Valais traditionaliste et pittoresque». Il a également réuni et collecté les légendes et contes valaisans, dont l’ouvrage qui porte le titre de Légendes valaisannes, en 1919. Il n’est pas l’auteur originel de ces légendes, mais «il a eu, du moins, le grand mérite de les recueillir et de les présenter au public lettré sous la forme simple et attrayante que comporte ce genre de récit», dit de lui Don Sigismond de Courten qui a préfacé l’ouvrage. BH

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St Théodule une cloche à ses pieds (à dr.), et un pied de vigne à sa gauche, côtoie saint Maurice (centre) sur cette fresque qui borde l'oratoire du Christ-Roi situé au-dessus de Lens (VS) | © Bernard Hallet
27 juillet 2025 | 17:00
par Bernard Hallet

De nombreux contes et légendes de Suisse, souvent effrayants, intègrent des éléments religieux. Pour l’été, un temps propice à la rêverie, cath.ch rappellent quelques unes de ces éminentes fantasmagories.

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