Sainte Vérène et le diable boiteux de Soleure
Il fait presque nuit lorsque Vérène rejoint son ermitage en ce mois de mai 301. Alors qu’elle arpente les gorges boisées à proximité de la ville de Soleure, elle aperçoit au milieu du ruisseau une grande forme noire cornue munie de deux yeux rouges qui la fixent, remplis de haine.
C’est Satan, évidemment, qui attend la sainte de pieds fermes (bien que mouillés). Le prince des ténèbres tient à bout de bras un gros rocher avec lequel il compte bien écrabouiller la pauvre femme. Le Grapin est horripilé par la grâce et les conversions que répand Vérène autour d’elle. Il a malheureusement encore une fois sous-estimé le pouvoir de la foi. L’ermite exécute un signe de croix et voilà que le diable perd toute force. Il se lâche par conséquent sa pierre sur les pieds. Ayant compris la leçon, il déguerpit. Il sera par la suite aperçu quelques fois rôdant dans les parages, mais trainant la patte. Il en prendra le surnom de «boiteux».
Camarade de nombreux saints
Sainte Vérène fait encore aujourd’hui l’objet d’une importante vénération en Suisse alémanique et dans la région de Soleure. Un bel exemple d’intégration et d’acceptation pour une immigrée d’Afrique du Nord. Née probablement vers 260 en Haute-Égypte, elle est baptisée par un certain Chérémon, qui deviendra également saint, comme nombre de personnes qu’elle côtoiera. À Thèbes, elle devient très attachée à son cousin Victor, lui-même militaire de carrière converti au christianisme et également futur saint. Ce dernier est sous les ordres d’un certain Maurice, chef de la Légion thébaine, qui n’échappera pas non plus à la canonisation.
Convertisseuse en série
Vérène accompagne donc son cousin dans ses pérégrinations, cela jusqu’en Helvétie. Comme une autre légende le raconte, toute la troupe est passée au fil de l’épée par des camarades qui n’acceptaient pas que ces chrétiens ne veuillent pas rendre le sacrifice à l’empereur de Rome. Le massacre se déroule à Agaune, actuellement en Valais, près d’où s’élève la célèbre Abbaye de Saint-Maurice.
Mais Victor et sa cousine, accompagnés d’un certain Ours (futur saint, lui aussi), parviennent à échapper aux décimations successives. Ils s’enfuient alors à Soleure, où les deux hommes retrouvent leur destin et sont exécutés. Vérène mène à partir de ce moment une vie de recluse dans la grotte située derrière la chapelle de Saint-Martin, au sein des gorges qui portent aujourd’hui son nom.
Bien qu’ermite, elle maintient une certaine vie sociale en accompagnant les malades et les nécessiteux. Elle prodigue également son enseignement à des jeunes filles pour les amener vers la religion chrétienne. Une socialisation limitée puisqu’elle restera toujours vierge, raison pour laquelle elle est représentée avec les cheveux détachés, symboles de sa pureté.
Pêche miraculeuse
De nombreux événements surnaturels entourent la bienveillante sainte, qui a tout de même une fâcheuse tendance à s’attirer des antipathies. Outre Satan lui-même, un gouverneur soleurois est l’un de ceux qui se retrouvent irrités par la renommée de Vérène et les miracles qu’elle réalise un peu partout. Il la fait donc jeter en prison. Elle y est réconfortée par une apparition de saint Maurice, qui l’encourage à poursuivre sa voie. Une fois libérée, elle quitte Soleure sur une meule de moulin, dont on ignore la matière, mais qui flotte très bien sur l’Aar. Remontant le Rhin, elle accoste à Bad Zurzach, en Argovie. Elle y réside dans la maison d’un prêtre, où elle continue à prendre soin des pauvres et des malades. Son iconographie comporte ainsi fréquemment une cruche et un peigne, qui marquent ses activités charitables.
Mais le domestique du prêtre, jaloux, accuse la malchanceuse d’avoir volé un anneau qu’il a lui-même jeté dans le Rhin. L’objet est miraculeusement retrouvé dans un poisson pêché et l’affaire se voit réglée.
Vérène meurt dans la bourgade argovienne en 344. Outre les gorges de Soleure, la Thébaine est donc également vénérée à Bad Zurzach, où une chapelle qui lui est dédiée est un haut lieu de pèlerinage. L’église est notamment fréquentée par la communauté copte locale, puisque la sainte est considérée comme appartenant à cette Église orientale.
Pierre qui ne roule plus n’amasse pas mousse
La «pierre du diable» se trouve toujours au milieu du ruisseau qui s’écoule à proximité de l’ermitage de Sainte-Vérène, près de Soleure. Les marques laissée par les mains de Lucifer y sont encore visibles. Sur les deux côtés du rocher, la mousse ne pousserait pas depuis des siècles. Dans un article de 2014 de l’agence catholique alémanique Kipa sur les lieux de pèlerinage de Suisse, Hans-Rudolf Hug, vice président de la Société de l’ermitage de Sainte-Vérène, admettait avec un sourire complice que les membres du groupe devaient régulièrement venir ôter la végétation aux deux endroits de la pierre. (cath.ch/arch/rz)