Le Jardin des Roses, à l’Université catholique centraméricaine (UCA), à San Salvador, où furent exécutés les six jésuites  | © Jacques Berset
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Salvador: Il y a 30 ans, le massacre commandité des jésuites de l’UCA

Il y a tout juste 30 ans, durant la nuit du 16 novembre 1989, des membres d’Atlacatl, un «bataillon d’élite» de l’armée salvadorienne, assassinaient de sang-froid six prêtres jésuites de l’Université catholique centraméricaine (UCA), à San Salvador, ainsi que leur cuisinière Elba Julia Ramos, et sa fille de 16 ans Celina. Ces soldats, formés aux Etats-Unis, étaient en service commandé.

L’assassinat des Pères jésuites avait été planifié les jours précédents par le Centre des opérations conjointes de la Force armée (COCFA), en présence du président Alfredo Cristiani, du parti ARENA (extrême-droite), et de conseillers militaires américains. (*) Des 25 soldats qui ont participé à ce massacre, 19 avaient été formés et étaient diplômés de l’Ecole des Amériques (SOA), une école de l’armée américaine basée à Fort Benning, dans l’Etat américain de Géorgie.

L’Eglise dans le collimateur

Le Salvador, petit pays d’Amérique centrale (20’742 km2 pour une population de 6,2 millions d’habitants), a vécu une terrible guerre civile qui a fait plus de 100’000 morts. La violence s’est déchaînée en 1980, année au cours de laquelle une répression généralisée s’est abattue sur la population pauvre qui demandait justice. La guerre s’est intensifiée après l’assassinat de Mgr Oscar Romero, le 24 mars de cette année-là. Trois ans plus tôt, le Père jésuite Rutilio Grande était assassiné par des «escadrons de la mort» d’extrême-droite avec deux compagnons, le 12 mars 1977 à Aguilares.

Salvador L’Eglise solidaire des pauvres a été persécutée sous la dictature militaire | © Jacques Berset

Pendant les 12 années de guerre civile (1980-1992) et les années précédentes, des prêtres, des religieuses et des personnes liées à l’Eglise catholique ont été assassinés. Mgr Ricardo Urioste, président de la Fondation Monseñor Romero, a déclaré qu’au moins 16 religieux sont morts violemment durant cette période. Tous représentent une génération de prêtres et de religieux engagés jusqu’à la mort dans la cause des pauvres et des populations opprimées par la dictature militaire des années 1980.

Les Etats-Unis obnubilés par la «subversion»

A cette époque, le gouvernement des Etats-Unis, obnubilé par la «subversion», apportait au régime salvadorien un soutien militaire, stratégique et financier considérable.

Washington menait une politique décidée de «contention du communisme», qui allait entraîner la mort de dizaines de milliers de civils en Amérique centrale. Parmi eux, une foule de chrétiens et de militants, considérés comme subversifs à cause de leur engagement pour la justice. Avec leur «option préférentielle pour les pauvres», les jésuites assassinés étaient dans la même ligne que celle que défend aujourd’hui le pape François, lui aussi jésuite. Les jésuites s’engageaient alors au Salvador pour une solution négociée de la guerre civile qui ensanglantait le pays.

L’Université catholique centraméricaine «José Simeón Cañas» (UCA), fondée à San Salvador en 1965, devait célébrer ses vingt-cinq ans de vie en 1990. L’équipe de jésuites qui la dirigeait alors était très unie. Elle avait réussi à faire grandir l’Université, qui était devenue l’une des plus importantes d’Amérique centrale.  Les jésuites assassinés s’étaient distingués par leur action en faveur d’une solution pacifique au conflit armé salvadorien et par leur dénonciation des injustices sociales envers les groupes majoritaires du pays d’Amérique centrale. En raison de leur leadership spirituel en faveur du peuple et de leur voix qui dénonçait les exactions, ils gênaient la puissance politique et militaire de l’époque.

«Ils remplissent l’histoire de lumière»

«Les jésuites n’ont pas participé à la guerre, ils étaient engagés dans la construction de la paix, mais pour beaucoup, demander la paix en temps de guerre était une sorte de menace pour eux», estime le Père José María Tojeira, qui fut recteur de l’UCA de 1997 à 2010.

Père jésuite José Maria Tojeira, directeur de l’Institut des droits humains de l’UCA, à San Salvador | © Jacques Berset

Le religieux jésuite se dit convaincu qu’un jour, les Forces armées demanderont publiquement pardon «pour un crime qui était institutionnel dans les Forces armées». Les jésuites de l’Université centraméricaine «José Simeón Cañas» ont placé les commémorations du «XXXe anniversaire des martyrs de l’UCA» sous le leitmotiv: «Ils remplissent l’histoire de lumière». JB

La nuit du 16 novembre 1989

Le 16 novembre 1989, les prêtres jésuites espagnols Ignacio Ellacuría, recteur de l’Université, Ignacio Martín-Baró, psychologue et vice-recteur, Segundo Montes, directeur de l’Institut des droits de l’homme, Armando López, professeur d’éthique, Juan Ramón Moreno, professeur de théologie, et le jésuite salvadorien Joaquín López, ont été froidement exécutés par des soldats gouvernementaux après avoir été mis à genoux dans le jardin de leur résidence, à l’intérieur du campus de l’Université centroaméricaine «José Simeón Cañas».

Des personnalités engagées pour la paix

Ces jésuites, dans le collimateur du pouvoir, étaient des personnalités connues, engagées dans la lutte contre la pauvreté et pour une solution négociée de la guerre civile qui ravageait le pays depuis des années. Lors de l’attaque de l’UCA, les militaires avaient également ravagé le Centre Monseigneur Romero, consacré à la mémoire de l’archevêque de San Salvador assassiné le 24 mars 1980 par un tueur mandaté par des milieux d’extrême-droite. Depuis, la Compagnie de Jésus et l’UCA essaient d’obtenir justice. En vain. Des personnalités civiles et militaires trop influentes sont impliquées dans cet assassinat. Les auteurs intellectuels de ce crime n’ont pas été inquiétés, à l’exception du colonel Inocente Orlando Montano, réfugié aux Etats-Unis en 2001 avec de faux papiers, et extradé à la demande de la justice espagnole.

Un seul assassin devant la justice

Le Tribunal de l’Audience nationale, à Madrid, devait analyser le 13 novembre 2019, si elle allait prolonger la détention provisoire du colonel Inocente Orlando Montano, déjà en préventive depuis deux ans en attendant son procès pour son rôle décisif dans les assassinats des six prêtres jésuites de l’UCA, ainsi que de la cuisinière et de sa fille. Il est le seul des 17 anciens militaires salvadoriens dont l’Espagne a demandé l’extradition à être traduit devant les tribunaux. Le système judiciaire salvadorien a rejeté à deux reprises la remise des accusés résidant dans le pays d’Amérique centrale. (cath.ch/be)

(*) Cf. «Una muerte anunciada: El asesinato de los jesuitas en El Salvador», Marta Doggett, UCA Editores 1994.  

Le Jardin des Roses, à l’Université catholique centraméricaine (UCA), à San Salvador, où furent exécutés les six jésuites | © Jacques Berset
14 novembre 2019 | 17:01
par Jacques Berset
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