Salvador : un peuple «super-chrétien» (050488)

Témoignage des zones de guerre

Fribourg, 5 avril (KIPA) Le Salvador vient de vivre des élections qualifiées par le Père Rutilio Sanchez, un proche de Mgr Oscar Roméro, d’ «anecdotiques» et de «produit destiné à l’exportation». A l’occasion de la

commémoration du huitième anniversaire de l’assassinat de l’archevêque de

San Salvador, le Père Rutilio Sanchez et une femme médecin française, le

Dr. Dominique Servais, ont rendu compte de la réalité salvadorienne dans

plusieurs communautés chrétiennes de Suisse romande. Tous deux ont vécu durant plusieurs années dans les zones sous contrôle de la guérilla salvadorienne du FMLN. Dans une interview accordée à l’agence APIC, ils parlent

des expériences contrastées qu’ils ont faites de l’Eglise et du christianisme dans ce pays.

«Tout le monde est super-chrétien», «s’il y a un prêtre qui arrive en

tournée, c’est la folie deux jours avant», affirme le Dr. Servais, qui a

vécu jusqu’en octobre 87 dans les zones sous contrôle de la guérilla, notamment dans le Chalatenango et dans la zone du Volcan de Guazapa, à une

trentaine de kilomètres de la capitale San Salvador. Dans des villages ou

ne vivent le plus souvent qu’un catéchiste et un responsable des célébrations de la Parole, la population reçoit les rares prêtres de passage avec

des fleurs et des chants.

Ancien directeur de la Caritas de l’archidiocèse de San Salvador à l’époque de Mgr Roméro – il est entré dans la clandestinité quelques mois après

l’assassinat de l’ «évêque des pauvres», car les «Escadrons de la Mort»

avaient déjà «éliminé» une dizaine de prêtres engagés – le P. Rutilio Sanchez a vécu également plusieurs années dans les zones de guérilla. Il définit la pratique religieuse dans ces zones comme «normale», mais il met en

avant un autre aspect du christianisme salvadorien, qui va au-delà de la

simple pratique religieuse. Pour lui, construire une école, refaire un chemin, soigner un blessé, partager son pain avec plus pauvre que soi, c’est

de façon aussi que le peuple manifeste quotidiennement sa foi.

Des signes d’ambiguïté

«Lorsqu’un prêtre ou une religieuse se trouvent dans un village contrôlé

par la guérilla, on évite d’aborder certains thèmes, la contraception par

exemple», affirme quant à elle la doctoresse française. Elle affirme que

les guérilleros adoptent cette attitude par respect de l’Eglise et également pour ne pas heurter le clergé. Il est cependant difficile de vraiment

savoir de quel côté, du point de vue politique, se situent les nouveaux

prêtres – et ils sont nombreux à vouloir travailler pastoralement dans ces

zones dangereuses – qui s’établissent depuis 1987 dans les campagnes

contrôlées par la guérilla, estime-t-elle. Leurs discours, décortiqués de

tous côtés, sont plutôt prudents.

Les guérilleros

Interrogé sur les guérilleros, le Père Sanchez affirme :»De nombreux

guérilleros ne sont pas marxistes, ils sont analphabètes; ils sont chrétiens aussi. Ils proviennent le plus souvent de villages ou ont eu lieu des

massacres perpétrés par l’armée gouvernementale. Si l’occasion se présente,

certains guerilleros vont à la messe». Le Père Rutilio Sanchez va jusqu’à

dire : «Si j’ai la foi, c’est parce que je l’ai apprise d’eux».

Le lourd héritage de l’Eglise salvadorienne

Il y a deux éléments qui pèsent lourd sur l’Eglise au Salvador aujourd’hui, affirme le prêtre salvadorien qui vit actuellement en exil. D’abord, «l’Eglise catholique hiérarchique s’est toujours prononcée en faveur

de la Démocratie chrétienne». L’histoire aussi, relève-t-il, marque le

présent : «Complices des Espagnols, les missionnaires ont longtemps soutenu

tacitement le pouvoir contre le peuple indien. Marquée par cet héritage, la

hiérarchie catholique laisse aujourd’hui un peu de côté le combat entrepris

pas Mgr Roméro; Mgr Rivera y Damas et Mgr Gregorio Rosa Chavez, son auxiliaire, ne suivent plus tout à fait la même ligne que lui».

Quels chemins pour le Salvador ?

Interrogé sur l’avenir au Salvador, Rutilio Sanchez répond : «Il y a un

espoir de paix». Il résume ainsi sa conviction : «La paix ne naît pas de la

paix, la paix naît de la justice, et la justice naît de la liberté». Et

pour lui, la liberté, c’est la fin de l’ingérence étrangère au Salvador et

un gouvernement vraiment au service de la majorité deshéritée du peuple.

(apic/ym)

5 avril 1988 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 3  min.
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