Sauveuse de «sorcières»

Papouasie: Une religieuse suisse se bat pour les femmes accusées de sorcellerie

Port Moresby, 22 février 2013 (Apic) Sœur Gaudentia Meier, une religieuse catholique suisse, vient aide aux femmes de Papouasie-Nouvelle-Guinée (PNG) accusées de sorcellerie. Le journal australien en ligne «The Global Mail» a décrit le 15 février sa difficile mission, ainsi que l’ignoble phénomène des lynchages de «sorcières» qui ronge cet Etat du pacifique. Début février 2013, une femme de 20 ans a été torturée et brûlée vive en public à Mount Hagen, dans l’ouest du pays.

Kepari Leniata, a été immolée sur un bûcher de vieux pneus par des villageois qui l’accusaient d’avoir tué un garçon de six ans par sorcellerie. La police aurait été empêchée d’intervenir par la foule. En 2009, une affaire semblable s’était déjà produite dans la même ville. Une jeune femme accusée de sorcellerie avait été dénudée et brûlée vive.

Les personnes marginalisées prises pour cible

La religieuse Gaudentia Meier, 74 ans, sœur de la Divine Providence, a quitté il y a 40 ans son couvent de Baldegg, dans le canton de Lucerne, pour travailler comme infirmière dans une clinique des Highlands de la PNG. Elle vient en aide aux femmes régulièrement accusées de sorcellerie dans la région. Le plus souvent, elle ne peut qu’accueillir et soigner, dans sa clinique, les victimes de ces atrocités. Mais lorsqu’elle a vent d’un «procès de sorcière», elle alerte immédiatement les autorités, ou tente, au péril de sa vie, de s’interposer physiquement pour empêcher le méfait.

La sorcellerie est une croyance très répandue dans ce pays très pauvre, spécialement dans les communautés rurales. Les «jugements» de sorcellerie se déroulent souvent d’après le même scénario: suite à des morts «inexpliquées» dans une communauté, une personne marginalisée, le plus fréquemment une femme vivant seule, est désignée comme adepte de la magie noire et responsable des décès. La personne est emmenée de force pour subir un simulacre de procès où elle est interrogée, torturée et parfois exécutée devant une foule incluant souvent un grand nombre d’enfants.

Des actes de plus en plus violents

Malgré un manque de données en la matière, une commission parlementaire créée en 2012 pour enquêter sur le sujet a conclu à une augmentation des cas depuis les années 80.

«Je suis en Papouasie depuis 1969, explique Sœur Gaudentia. Nous avons toujours connu la ’sanguma’ (répression traditionnelle de la magie noire), mais pas si extrême, pas comme elle est aujourd’hui». Récemment, la religieuse a reçu dan sa clinique une prétendue sorcière dont les parties génitales avaient été brûlées au fer rouge.

Le docteur Philip Gibbs, un prêtre catholique anthropologiste et spécialiste des questions de sorcellerie, conforte l’idée que les attaques sont devenues plus brutales. «Dans le passé, les personnes accusées étaient projetées d’une falaise, ou quelque chose comme ça. Bien sûr, elles étaient tuées, mais il n’y avait pas de torture, pas comme maintenant. L’interrogatoire, l’exécution publique, les enfants qui regardent, c’est devenu un spectacle», relève le prêtre. Des enquêtes réalisées par des organisations de défense des droits de l’homme, ont également révélé que les pratiques de «chasse aux sorcières» se sont répandues même dans les régions où il n’existe pas de tradition à ce sujet.

Une jeunesse perdue

L’anthropologiste de l’»Australian National University» Richard Eves explique que l’intérêt pour les pratiques de sorcellerie décline en général en même temps que la modernisation des sociétés. Pourtant, en Mélanésie, et plus particulièrement en PNG, cela ne semble pas être le cas. «Dans cette partie de l’Océanie, la tradition s’est transformée en pratiques sadiques, voyeuristes et malsaines. Le phénomène est intensifié par un alcoolisme et une toxicomanie rampants. Il faut ajouter à cela le désespoir d’une jeunesse en perte de repères, les désordres sociaux provoqués par un développement rapide et la déchéance du secteur agricole. L’éducation a également tendance à faire sortir les femmes du silence et du retrait dans lesquels elles étaient traditionnellement confinées. Les hommes n’arrivent souvent plus à trouver leur place dans cet environnement instable. Ils réagissent avec amertume, rancune et brutalité, spécialement à l’égard des femmes», relève Richard Eves.

La PNG vit actuellement un «boom» minier. Mais cette nouvelle prospérité ne profite qu’à une infime minorité. A l’heure actuelle, 70 à 90% des jeunes sont sans emploi, indique le Père Jan Jaworski. Le prêtre catholique polonais mène un programme de lutte contre la répression de la sorcellerie, initié par le diocèse de Kundiawa. «Ces jeunes ont été à l’école, mais ils n’ont aucun avenir. Ils ne peuvent plus revenir travailler dans les plantations des villages», explique le Père Jarowski.

Sursaut de l’Etat?

La police est souvent forcée d’assister aux «punitions de sorcières» sans pouvoir intervenir. Les forces de sécurité de la PNG sont mal payées, mal entraînées, trop peu nombreuses et parfois trop corrompues pour contrer le phénomène. De plus, nombre de ses membres sont imprégnés des mêmes croyances tribales que celles qui animent les tortionnaires. Cette mentalité est même présente au plus haut sommet de l’Etat.

C’est ainsi que le parlement papouasien-néo-guinéen a voté, en 1971, une loi qui reconnaît l’existence de la sorcellerie et qui punit aussi bien ceux qui la pratiquent que ceux qui attaquent ses présumés auteurs. Selon Philip Gibbs, cette loi ambivalente a encouragé le phénomène en permettant aux «chasseurs de sorcières» de perpétrer leurs actes dans une relative impunité. Devant la multiplication des atrocités, une commission parlementaire créée spécialement pour lutter contre le phénomène, a cependant récemment proposé l’abrogation du texte. Le Premier ministre de la PNG, Peter O’Neill, a également sévèrement condamné l’exécution de Kepari Leniata. Peut-être un signe que la société papouasienne n’est plus prête à tolérer ces pratiques.

Des actions de l’Eglise efficaces

La défaillance de l’Etat reste cependant patente, et les associations de défense des droits de l’homme, les Eglises et les congrégations sont souvent les seules institutions qui peuvent agir contre le phénomène, relève Philip Gibbs. Outre le travail de Sœur Gaudentia, le programme de sensibilisation contre la sorcellerie institué par Mgr Anton Bal, évêque catholique de Kundiawa, dont fait partie le Père Jarowski, en est un exemple. La campagne vise en particulier à démontrer aux populations que les morts «inexpliquées» ont la plupart du temps des causes facilement identifiables, autres que la magie noire. L’anthropologiste australien relève «les effets substantiels» de ces actions auprès des populations. «Dans les faits, la pression des autorités civiles ou de l’Eglise peut être suffisante pour protéger une personne accusée de sorcellerie», souligne-t-il. (apic/ag/rz)

22 février 2013 | 14:59
par webmaster@kath.ch
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