Sénégal: Le clergé de Ziguinchor «peiné» par la mort de l’abbé Diamacoune Senghor
«L’abbé rebelle» de la Casamance critiqué pour son engagement
Dakar, 15 janvier (Apic) Le clergé diocésain de Ziguinchor, dans le Sud du Sénégal, auquel appartenait l’abbé Diamacoune Senghor, s’est déclaré «peiné» par sa mort. Le décès de «l’abbé rebelle» de la Casamance est survenu samedi 13 janvier 2007 à l’hôpital du Val-de-Grâce à Paris. L’Eglise locale lui a cependant reproché son engagement politique.
Mgr Maixent Coly, évêque de Ziguinchor, a demandé «pardon à Dieu» pour les «manquements» de l’abbé rebelle. «C’est avec beaucoup de peine que j’ai appris la nouvelle (de sa mort), parce qu’il s’agit d’un membre de mon clergé diocésain, et de l’Eglise notre famille, cela nous peine beaucoup», a-t-il déclaré dimanche à la radio publique sénégalaise, tout en déplorant l’engagement politique du défunt prélat. Car, a-t-il souligné, «la législation de l’Eglise catholique ne permet pas à un ecclésiastique jusqu’au niveau où il a été, laissant ce soin aux fidèles laïques».
Demande de pardon au Seigneur
Pour cela, il a demandé «pardon au Seigneur» en son nom et pour tous, souhaitant que le décès de l’abbé Diamacoune Senghor aide à «apaiser complètement la Casamance, à y ramener la paix, de manière profonde, durable et définitive». Sa disparition laisse un vide au MFDC (Mouvement des forces démocratiques de Casamance), «mais puisque je ne suis pas de ce mouvement, il ne m’appartient pas de le combler», a fait remarquer l’évêque de Ziguinchor. Il a appelé le mouvement indépendantiste à s’organiser pour que ce vide ne persiste pas trop longtemps, «afin d’aller aux négociations, et d’arriver à un accord de paix définitive en Casamance».
L’abbé Diamacoune Senghor était secrétaire général du MFDC depuis 1993. Il avait ressuscité ce mouvement créé en 1947, au début des années 80, pour, disait-il livrer à la Casamance son indépendance du Sénégal.
Engagement pour la paix
«Je demande à tous de travailler pour la paix, avec beaucoup de courage», déclarait l’abbé Diamacoune Senghor, dans une ultime interview à un organe de presse, accordée il y a trois semaines avant sa mort. Figure charismatique et fondateur du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC, opposition armée), il est décédé samedi 13 janvier 2007 à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce à Paris, à l’âge de 78 ans.
Il y était hospitalisé depuis octobre dernier, suite à la dégradation subite de son état de santé. Sa mort suscite beaucoup d’inquiétude pour l’avenir du processus de paix en Casamance, enclenchée en 2004, ainsi que pour le MFDC.
«Le développement économique et social de la région passe par la paix»
«Le développement économique et social de la région passe par la paix, une paix qui ne se bricole pas, et ne se bâtit pas sur les sables mouvants de l’irréalisme et de l’arbitraire», soulignait l’abbé Diamacoune Senghor dans cette ultime interview à la radio SUD FM, recueillie sur son lit d’hôpital.
Cependant, estimait-il, la voix cassée et tremblante, «il ne peut y avoir de paix, sans la justice, il ne peut y avoir de justice sans la vérité par la connaissance et l’application correcte de la loi de Dieu dans ses données fondamentales». Selon lui, «chaque fois qu’on ne veut pas suivre ce que Dieu vous donne comme instruction, pour aller dans la direction du bonheur et de la paix, on perd».
A l’annonce de son décès, la toutes les radios sénégalaises ont changé leurs programmes habituels, diffusant en lieu et place des émissions. Toutes les interventions sur les antennes des ces stations ont reconnu la sagesse et la forte personnalité de l’abbé Augustin Diamacoune Senghor.
Né le 4 avril 1928 à Sengalène dans le département d’Oussouye (ouest de la Casamance), dans un milieu animiste, il s’est très tôt converti au christianisme, faisant son entrée dans le vie ecclésiale, le 6 novembre 1939, après son admission au pré-séminaire de la ville d’Oussouye. Il est entré au grand séminaire de Popenguine (sud de Dakar), le 18 octobre 1949, avant d’être ordonné prêtre le 4 avril 1956. Le 3 novembre 1959, il a rejoint la mission catholique de sa ville d’Oussouye. Il a été par la suite, secrétaire de Mgr Augustin Sagna, à l’époque évêque de Ziguinchor. Pendant 10 ans (1958-1968), il a enseigné dans un collège catholique de Ziguinchor, en tant que professeur de français, d’histoire, de géographie et d’instruction civique. Il a aussi été animateur d’une émission culturelle à la radio de Ziguinchor, entre 1975 et 1980, en même temps que son ministère sacerdotal.
Son dernier acte fondamental a été la revitalisation, en 1980, du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC). Créé en 1947 par d’anciens hommes politiques de la région, le mouvement s’était dissout dans le parti de feu le président Léopold Sédar Senghor, et ses fondateurs ont été nommés à de hautes fonctions politiques.
A la suite du déclenchement de la première manifestation sécessionniste à Ziguinchor, en décembre 1982, Diamacoune Senghor a été arrête, considéré qu’il était comme l’instigateur des troubles au cours desquels les manifestants avaient réussi à descendre le drapeau national du Sénégal, à la gouvernance de Ziguinchor, chef lieu de la Casamance, pour le remplacer par celui de la «Casamance indépendante».
Les évènements de décembre 1982 ont été le point de départ de la lutte armée pour l’indépendance de la région de Casamance, séparée du reste du Sénégal par la République de Gambie (anglophone), et limitée au sud par la Guinée-Bissau (lusophone).
L’abbé Diamacoune Senghor a été plusieurs fois arrêté et libéré, entre 1982 et 1990, pour «atteinte à la sûreté de l’Etat». Il a été proclamé secrétaire général du MFDC en 1993, et a dirigé, dans ce cadre, toutes les négociations avec le gouvernement sénégalais avec lequel il a signé plusieurs fois des accords de paix pour mettre fin au conflit en Casamance. Le dernier, un accord de paix général, a été paraphé par les deux parties en décembre 2004. (apic/ibc/be)