Appel à l’application de la loi islamique
Sénégal: Les musulmans lancent une offensive pour un nouveau code de famille
Ibrahima Cissé, correspondant de l’Apic en Afrique de l’Ouest
Dakar, 13 avril 2003 (Apic) Les confréries et mouvements islamistes du Sénégal réclament un nouveau code de la famille basé sur la charia (loi islamique). Il sera appliqué aux seuls musulmans du pays. L’entrée en vigueur d’une telle loi rencontrerait d’énormes difficultés, met en garde le quotidien «Wal Fadjri».
Les confréries et mouvements ont mis en place un Comité pour la Réforme du Code de la Famille du Sénégal (Circofs), présidé un ancien homme politique, l’avocat Babacar Niang.
C’est un code du Statut Personnel que revendique ce collectif, à la place du code de la famille actuel, en vigueur depuis 1972. Ce nouveau texte, dont le contenu n’a pas été révélé par ses initiateurs, est approuvé par toutes les familles maraboutiques du Sénégal. Il devrait régir aussi bien le droit extra-patrimonial que le droit patrimonial de la famille sénégalaise. Il s’appliquerait à toutes les questions relatives au mariage et à la succession. Sa mise en oeuvre nécessite la création de nouvelles juridictions spécialement chargées de l’application du droit de la famille.
Le code actuel, «d’inspiration étrangère»
Le Circofs justifie son action par le fait que la majorité des Sénégalais sont de confession musulmane. Il demande que le code actuel de la famille ne soit appliqué qu’aux chrétiens et animistes. Les membres du comité ont saisi le président Abdoulaye Wade, avec des copies en français et en arabe des exemplaires de leur projet de «code du statut personnel». Des exemplaires ont également été envoyés au président de l’assemblée nationale et aux différents groupes parlementaires. Ce sont au total 15 grandes familles et organisations religieuses islamiques du Sénégal qui réclament ce nouveau code, sur la base du coran et de la sounah. Elles souhaitent que les musulmans du pays ne soient plus jugés, selon un code «d’inspiration étrangère», mais suivant le droit musulman et par les tribunaux musulmans.
Lors d’une conférence de presse, le 9 avril, Babacar Niang a dénoncé l’actuel code de la famille. Il a insisté sur l’urgente nécessité d’une adoption, par les hautes autorités de l’Etat, de leur projet de code du statut personnel qu’ils jugent plus conforme à la charia. Les membres du Circofs ont annoncé leur volonté d’entreprendre une campagne nationale de vulgarisation du nouveau code pour activer son adoption par l’assemblée nationale. «Il n’y a pas au Sénégal un seul et même type de famille, mais plusieurs types de familles selon que les époux sont musulmans ou non musulmans», ont-ils souligné.
Selon eux, «une loi élaborée, adoptée et promulguée sans tenir compte des convictions et des aspirations des populations concernées n’a aucune chance d’être acceptée et appliquée» par ces dernières.
Attention aux excès
La mise en oeuvre de la réforme préconisée par les religieux sénégalais ne se fera pas sans difficultés, a souligné le quotidien «Wal Fadjri» (L’Aurore), qui cite toute une série de questions à résoudre et met en garde contre les excès que cette loi entraînerait.
Le journal rappelle que ce code ne permettra pas l’accès au droit à la succession à un enfant né hors mariage. Ses parents risqueraient une peine de mort, si le texte d’inspiration intégriste était adopté.
En outre, le divorce par la répudiation, interdit par le code actuel, pourrait refaire surface. La répudiation est considérée par la loi en vigueur comme une injure grave rendant intolérable le maintien du lien conjugal et le divorce peut être prononcé sur la demande de l’épouse, aux dépends du mari. La théorie de l’enfant endormi dans le sein de sa mère pourrait devenir applicable. Cette théorie voudrait qu’un enfant né neuf ans après le divorce de sa mère est rattaché à l’ex-époux, si la maman ne s’est pas remariée entre-temps, précise le quotidien Wal fadjri.
Sur un autre plan, il faudra trouver les conditions dans lesquelles s’appliquerait cette loi. Par exemple, il faudrait définir la qualité de musulman, dans un pays laïc. «Serait-ce celui qui est issu d’une famille musulmane ou celui qui a professé sa foi par la formule requise (et devant qui) ou celui qui pratique l’islam?», s’est encore interrogé le journal sénégalais.
Des tribunaux spéciaux pour musulmans et pour chrétiens?
Une autre difficulté reste liée à la création de nouvelles juridictions, au moment où celles qui existent connaissent des moments difficiles. En plus, la création de tribunaux musulmans devrait nécessairement entraîner celle de cours pour les chrétiens qui ne trouvent pas tout leur compte dans l’actuel code, par exemple en matière de divorce.
«Après, il faudra aussi penser à l’application de la charia au droit des affaires pour le bonheur des ménages. Autant pour le droit du travail, de la sécurité sociale, etc. Mais là aussi une autre difficulté survient du fait que les investissements n’ont pas de religion et les investisseurs n’en ont qu’une seule: le profit. La marge de manoeuvre est vraisemblablement étriquée», conclut le quotidien sénégalais.
Le Circofs rassemble toutes les confréries du pays, l’association des imams et oulémas du Sénégal, ainsi que d’autres organisations islamiques. Il travaille depuis 1995 à la proposition d’un nouveau code de la famille qui s’appliquerait aux musulmans. (apic/ibc/bb)