la paix et la sauvegarde de la Création
Séoul : rassemblement mondial pour la justice, (140290)
Genève, 14février(APIC) Plus de mille participants s’apprêtent à tenir du
5 au 12 mars dans la capitale sud-coréenne, Séoul, au milieu du village
olympique, le Rassemblement mondial pour la justice, la paix et la sauvegarde de la Création (JPSC). Les menaces qui pèsent sur la survie de la
planète y seront analysées et les délégués dépasseront leurs différences
pour s’engager concrètement en faveur du désendettement des pays déshérités, de la démilitarisation et d’un coup d’arrêt à «l’effet de serre».
Contrairement à ce qui s’était produit à Bâle en mai 1989 lors du
Rassemblement oecuménique européen «Paix et justice», l’Eglise catholique
romaine n’enverra pas de délégués officiels, mais seulement vingt
consulteurs.
On attend à Séoul plus de 800 participants, 500 délégués munis du droit
de vote, dont 300 représentants officiels des Eglises membres du Conseil
Oecuménique des Eglises, d’autres Eglises, d’organisations et mouvements
oecuméniques, ainsi que des invités, des conseillers et des représentants
d’autres religions.
Le 13 février, 160 journalistes étaient déjà accrédités, sans compter
les médias coréens. Avec le personnel du COE, on compte au total plus de
1’000 participants. Les délégués suisses, qui représentent la Fédération
des Eglises Protestantes de la Suisse (FEPS), sont Madeleine Strub-Jacot,
coordinatrice du Comité oecuménique suisse JPSC, et le pasteur Pierre Genton, membre du Conseil de la FEPS. Parmi les vingt consulteurs catholiques
romains figurent deux Suisses : Mgr Amédée Grab, évêque auxiliaire du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg et Nicolas Buttet, collaborateur du
bureau JPSC du COE.
«Le processus conciliaire sur la justice, la paix et la sauvegarde de la
Création est l’un des plus ambitieux projets jamais entrepris par le Conseil Oecuménique des Eglises (COE)», a déclaré son secrétaire général, Emilio Castro. «J’espère que ce projet aura un retentissement comparable à celui de la Conférence mondiale d’Eglise et société, tenue à Genève en 1966».
Ce processus, comparable à un concile itinérant – avec consultation permanente de la base – avait été lancé par la VIe Assemblée du COE à Vancouver, en 1983. Il associe les 307 Eglises membres du COE dans plus de cent
pays, dans un effort sans précédent pour trouver réponse à toutes les menaces qui pèsent sur la vie : inégalités socio-économiques, famine, pollution
de la terre, des eaux et de l’atmosphère, armes et énergie nucléaires,…
Déjà, hormis celle de Bâle, plusieurs réunions continentales ont eu lieu
dans le Pacifique, en Asie, en Amérique latine et en Afrique; leurs recommandations ont été intégrées dans le deuxième projet de document. Au niveau
national ou régional, des réunions se sont déroulées en Suisse (Kirchentag
zurichois), en République fédérale d’Allemagne, en République démocratique
allemande, aux Pays-Bas, au Lesotho, au Ghana, à Tonga, à Fidji, en Equateur,…
Les femmes et les jeunes tiendront des rassemblements préalables à Séoul, où les Eglises organiseront aussi un grand forum populaire pour
associer les Coréens à ces assises mondiales.
«Entre le déluge et l’arc-en-ciel», tel est le titre du deuxième projet
de document qui sera soumis aux participants à Séoul. Sur 50 pages, ce document aborde dans une première partie les méfaits de l’injustice et de la
violence, la désintégration de la Création, ainsi que l’étroite interdépendance des différents aspects de la crise actuelle. Il propose de renforcer,
face à ces graves problèmes, la «communauté d’alliance» que forment tous
les chrétiens. La deuxième partie du document affirme la souveraineté de
Dieu sur tous les peuples et toutes les facettes de la Création. C’est dans
la troisième partie que sont esquissés les trois actes d’engagement concret
qui seront proposés aux délégués dans les trois domaines d’un ordre économique juste, de la démilitarisation et de l’abolition des causes de l’effet
de serre».
Le président du Comité préparatoire du Rassemblement de Séoul, la Suissesse Marga Bührig, l’un des sept présidents du COE, a exprimé l’espoir que
ce sommet d’Eglise entérinera une nouvelle doctrine de la Création, où
l’être humain ne s’arrogera plus le droit de «dominer» et d’exploiter la
nature, mais s’en fera le fidèle intendant, soucieux de sa conservation
pour les générations à venir.
La participation catholique
A l’origine, le Comité central du COE avait convié le Vatican à être coinvitant et co-organisateur du Rassemblement mondial pour la justice, la
paix et la sauvegarde de la Création, invitation que le Saint-Siège avait
déclinée, précisant que «la nature différente des deux organismes, l’Eglise
catholique et le COE, a constitué une des difficultés pour l’acceptation de
l’invitation». Puis la proposition avait été faite à l’Eglise catholique
romaine d’envoyer 50 délégués avec droit de vote sur 550. En novembre 1989,
le Vatican déclinait cette offre, annonçant qu’il n’enverrait que vingt
consulteurs qui n’auront pas le droit de vote. Le pasteur Emilio Castro a
déclaré au sujet de ce recul du Vatican : «le COE regrette que l’Eglise
catholique romaine, après sa décision de n’être pas co-invitante au Rassemblement, juge aujourd’hui impossible d’envoyer le nombre attendu (50) de
frères et soeurs catholiques romains comme participants réguliers au Rassemblement mondial JPSC, mais limite au contraire sa présence à vingt consulteurs».
Situation particulière des Eglises de Corée
Contrairement aux autres pays asiatiques, la Corée compte une forte proportion de chrétiens (14% de protestants et 3,5% de catholiques). Engagées
dans la lutte contre l’occupant japonais dans la première moitié de ce siècle, les Eglises se sont acquis une popularité indéniable. Certains secteurs des Eglises se sont aussi élévés contre les dictatures de Park Chunghee et Chon Doo-hwan, notamment la mission industrielle et urbaine, soutenue par le COE.
Les Eglises de Corée se sentent investies d’une mission pour le monde,
tant par leur théologie populaire (Minjung, une sorte de «théologie de la
libération» asiatique) que par leurs missionnaires et leur production phénoménale de bibles : la Société biblique coréenne fait imprimer des millions de bibles dans 119 langues et pour 91 pays. Par année, elle utilise à
cette fin 420 tonnes de papier.
Les Eglises protestantes de Corée du Sud ont aussi pris position clairement pour la réunification du pays. Le COE a mis en route en 1984 une procédure de rapprochement qui a déjà permis deux rencontres historiques dont
celle qui s’est déroulée en 1986 à Glion, en Suisse, où des représentants
du Conseil des Eglises de Corée et de la Fédération des chrétiens de Corée
du Nord se sont rencontrés pour la première fois depuis la guerre de Corée
(1950-1953).
Une autre première pour l’histoire oecuménique a été la présence de délégués de Corée du Nord à une réunion du Comité central du COE en juillet
1989 à Moscou.
Le mur de Berlin part en morceaux. Est-il possible d’imaginer un
processus semblable pour les deux Corées, qui sont toujours séparées au 38e
parallèle par un mur de dix mètres de haut qui court le long des 225 km de
la zone démilitarisée ?
La Corée du Nord entretient, selon l’Institut international d’études
stratégiques, 1’040’000 hommes de troupe, la Corée du Sud 650’000, dont
40’000 soldats américains. Quelque dix millions de familles coréennes
restent divisées par cette survivance de la guerre froide.
Les Eglises de Corée du Sud ont décidé de passer à l’offensive, malgré
le risque qu’elles courent à parler de la réunification. Pour 1995 – 50 ans
après la libération du joug colonial japonais, 50 ans après la partition elles proposent d’observer «l’année de jubilé pour l’unification». Pour s’y
préparer, elles mettent sur pied une campagne très étendue et célèbrent le
15 août une journée annuelle de prière pour la paix.
Une société polarisée
L’orientation pro-occidentale et anti-communiste de la République de
Corée est donnée dès sa création. Son système économique est étroitement
lié au monde capitaliste. Elle a atteint le statut de pays nouvellement
industrialisé, avec des taux de croissance entre 7 et 11% par an pendant
les vingt dernières années.
La politique économique des gouvernements successifs a mis l’accent sur
l’exportation qui, entre 1965 et 1985, s’est accrue de 25% par an en moyenne. Ce développement économique s’est fait dans une large mesure aux dépens
des salariés, qui sont soumis à des conditions de travail dignes du XIXe
siècle : lieux de travail exigus, salaires si bas que les heures supplémentaires deviennent une nécessité pour survivre (selon l’Organisation Internationale du Travail, l’OIT, l’horaire hebdomadaire sud-coréen est le plus
élevé du monde avec 54,3 heures en moyenne, avec plus de 60 heures dans les
petites et moyennes entreprises, et des pointes de 80 heures), interdiction
des grèves, absence de syndicats indépendants des entreprises de l’Etat,
absence de sécurité sociale, répression des mouvements sociaux.
Les entreprises géantes coréennes SAMSUNG, HYUNDAI, DAEWOO et LUCKYGOLDSTAR et les multinationales étrangères, japonaises, américaines, suisses, y ont en revanche trouvé leur compte, bénéficiant de très larges avantages, de zones d’exportation libérées de taxes douanières, des franchises
d’impôts,…
Politiquement parlant, la société sud-coréenne est de plus en plus polarisée. Lors des dernières élections générales, en 1987, l’ex-général Roh
Tae-woo l’a emporté avec 37% des voix après s’être donné un profil plus démocratique, le chef des troupes qui en 1980 ont écrasé l’insurrection de
Kwangju.
L’opposition divisée présentait deux candidats, Kim Young-sam, chef de
la deuxième formation d’opposition et Kim Dae-jung, chef du principal parti
d’opposition. Ce dernier a dénoncé comme un «coup d’Etat» déguisé l’alliance annoncée au début de 1990 entre les partis de MM. Roh Tae-woo, Kim Jongpil (président du troisième parti d’opposition) et Kim Young-sam. Le journal «Le Monde» présentait la manoeuvre ainsi dans son édition du 24 janvier
1990 : «La fusion des formations gouvernementales et centristes en un grand
parti conservateur, le Parti démocratique libéral, annoncée le lundi 22
janvier par le président sud-coréen M. Roh Tae-woo, vise à stabiliser la
vie parlementaire. Il s’agit, en instaurant un bipartisme imparfait sur le
modèles japonais, d’exclure de fait l’alternance par la création d’un parti
dominant qui monopolise le pouvoir, et qui contrôlera les trois quarts des
sièges au Parlement».
Tenir un rassemblement aussi engagé que JPSC dans un tel contexte est
une gageure, qu’ont relevée les Eglises membres du COE : Eglise méthodiste
de Corée, Eglise presbytérienne de la République de Corée. A l’heure actuelle la question des visas est loin d’être résolue pour tous les participants. (apic/Théo Buss/cor)