Guérir d'une maladie des yeux au sanctuaire de Notre-Dame de l'Epine, à Berlens

Série Apic: Lieux de pèlerinage moins connus de Suisse (5)

Berlens, 9 juin 2013 (Apic) «Mon enfant, allez à Berlens et vous serez guérie…» C’est ainsi que vers 1810, rapporte la chronique, «une belle Dame» répondit aux supplications d’une jeune fille presque complètement aveugle: Marie Raboud, de Villarsiviriaux, sur les pentes du Gibloux. S’étant rendue avec sa mère au sanctuaire de Notre-Dame de l’Epine, après avoir reçu la «bénédiction des yeux» qui a fait durant des siècles la renommée de ce sanctuaire, elle recouvra la vue.

Depuis le Moyen Age, des pèlerins se rendent à Berlens, à quelque quatre kilomètres de Romont, pour implorer la Vierge miraculeuse afin qu’elle guérisse leurs yeux malades. Après Notre-Dame de Bourguillon, sur les hauts de Fribourg, Notre-Dame des Marches, à Broc, Notre-Dame de Compassion, à Bulle, le pèlerinage au saint Crucifix, à Belfaux, Notre-Dame de l’Epine est, dès le XVIIe siècle, l’un des cinq lieux de pèlerinage d’importance régionale du canton de Fribourg (1). Le premier dimanche de septembre, Berlens accueille aujourd’hui encore son pèlerinage annuel, qui culmine avec la procession de Notre-Dame de l’Epine et la «bénédiction des yeux».

Des vitraux contemporains dus au maître français Jean Bazaine

Certes, la petite chapelle de Berlens n’a pas la prestance de l’imposante basilique gothique de Notre-Dame de L’Epine, située dans un petit bourg de la Marne, à quelques encablures de Châlons-en-Champagne. Elle peut cependant s’enorgueillir de ses vitraux contemporains dus au maître français Jean Bazaine, dont l’œuvre datant de 1980 s’inspire du buisson épineux dans lequel la Vierge serait apparue jadis, si l’on en croit la tradition.

En 1504, Rome accorde à perpétuité une indulgence de 100 jours aux fidèles qui feront à l’église de Berlens une aumône ou une visite. Cette faveur prouve la notoriété du lieu, qui disposait déjà depuis un siècle de deux prêtres desservants, qui seront plus nombreux à certaines époques, pour faire face à l’afflux des pèlerins. Plusieurs paroisses s’y rendaient en procession chaque année. A la Révolution française, Berlens a accueilli de nombreux prêtres émigrés.

Une tradition populaire ancienne, remontant au Moyen Age

«C’est une tradition populaire ancienne, remontant au Moyen Age, qui veut que la Vierge soit apparu ici. Certes, il n’y a jamais eu une reconnaissance officielle de Rome, mais l’endroit était très fréquenté, selon les époques». Ancien curé d’Yverdon-les-Bains, et actuel curé modérateur de l’Unité pastorale Bienheureuse Marguerite Bays, qui chapeaute 17 paroisses de la Glâne, l’abbé Martial Python nous reçoit dans le cimetière de la chapelle, au pied d’une imposante aubépine dont la cime dépasse le toit de la vénérable bâtisse reposant sur des fondations romanes.

C’est dans un tel buisson, selon la tradition, que la Vierge se serait manifestée. Derrière le tronc de cet arbre, dont les rameaux à portée de main sont régulièrement emportés par des pèlerins avides de souvenirs «sacrés», une grande niche dans le mur de la chapelle est protégée par une grille de fer dissuasive. Surmontée de cette inscription en latin et en français: «Vous êtes ce que nous étions, vous serez ce que nous sommes», elle abrite des crânes et des tibias blanchis… De quoi faire réfléchir le pèlerin!

Tenant dans sa main le petit ouvrage de l’abbé Jeunet, un livre sorti en 1875 de l’Imprimerie catholique suisse à Fribourg, l’abbé Martial Python rappelle que juste derrière le sanctuaire se trouve le bois de la Faye, ou «Bois de la prêtresse», une forêt aux sources abondantes peuplée de hêtres et de chênes.

Etape sur le chemin d’Einsiedeln

Un endroit certainement propice au culte, aux temps celtiques et gaulois. «La tradition populaire a toujours voulu que la Vierge se soit manifestée ici, dans un buisson d’aubépine». Aux XVIIe-XVIIIe siècles, des pèlerins venant des villages de la Glâne, après s’être arrêtés non loin de là, à l’église de Grangettes, pour y prier devant le «bois de la Sainte Croix de Jésus» ramené de Terre Sainte, convergeaient vers le sanctuaire de Berlens. Ils y faisaient étape sur le chemin d’Einsiedeln, en Suisse centrale.

«Ce long voyage à pied se faisait au mois de mai, avant les foins, et c’était un membre de la famille qui portait les prières des siens à Notre-Dame des Ermites, à Einsiedeln… Les gens s’arrêtaient à Berlens, car c’était un lieu de piété populaire connu loin à la ronde», confirme l’abbé Python, qui préside la Fondation «Notre-Dame de l’Epine», en charge du sanctuaire marial.

La ferveur pour les pèlerinages a redoublé à l’époque de la Révolution française, puis lors des troubles du Sonderbund, ensuite au temps des querelles du Kulturkampf, à la fin du XIXe siècle. «On ressentait alors le besoin de faire pèlerinage, cela avait un aspect réparateur, c’était une sorte de configuration au Christ souffrant…», note ce spécialiste de Marguerite Bays, la bienheureuse «Goton de la Pierraz» (2).

L’abbé Martial Python relève par ailleurs que la paysanne glânoise, béatifiée le 29 octobre 1995 par le pape Jean Paul II, venait très souvent à Berlens, «un lieu qui lui était très cher!» Si la ferveur des siècles passés a largement fait place aujourd’hui à la tiédeur et à l’individualisme, le pèlerinage annuel à Berlens, le 1er dimanche de septembre, attire encore les fidèles, qui remplissent, tout à côté, les bancs de l’église paroissiale. Eglise dont on a fêté, le jour de la Fête-Dieu, le 30 mai dernier, le 50ème anniversaire de la bénédiction.

(1) Cf. p.90 «Chapelles fribourgeoises», de l’historien et journaliste Serge Gumy (avec le Père Jean-Bernard Dousse et Ivan Andrey) Editions La Sarine, Fribourg, 2003

(2) L’abbé Martial Python a déjà publié, aux Editions «Parole et Silence», deux ouvrages sur la bienheureuse: «Vivre le chemin de croix avec Marguerite Bays» et «La vie mystique de Marguerite Bays»

Encadré

Le canton de Fribourg compte de nombreux lieux de pèlerinage ou de dévotion particulière. Parmi eux, trois sanctuaires dédiés à la Mère de Dieu, patronne du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, sont particulièrement fréquentés: Notre-Dame des Marches, à Broc, Notre-Dame de Bourguillon, et Notre-Dame de Tours, près de Payerne, dans le district de la Broye.

Encadré

De nombreux saints sollicités pour la guérison des yeux

Au Moyen-Age, la médecine, qui n’était de toute façon pas à la portée de toutes les bourses, n’était pas toujours efficace pour soigner les maux qui décimaient la population. Les gens du peuple se sont tournés depuis la nuit des temps vers des intercesseurs, des guérisseurs, des saints thaumaturges, pour se soigner des maladies ou des infections.

Dans nos régions, nombre de sources, puits et fontaines, qui étaient des lieux de culte privilégiés à l’époque celtique, ont été ensuite christianisés. Souvent des églises ont été construites dans leurs parages, devenant des lieux de pèlerinage. Des saints à la réputation de guérisseurs sont devenus des protecteurs contre toute une panoplie de maladies.

Pour guérir leurs yeux malades, selon les époques et les régions, ils n’avaient que l’embarras du choix, à commencer, en vrac, par les saints à la vie plus ou moins légendaire: Raphaël archange, Saint Clair d’Albi, Saint Hervé, Saint Léger, Saint Gérard de Brogne, Saint Cyriaque, Saint Hélier, Saint Lô, Saint Ouen, Saint Martin, Saint Félix de Nole, Saint Fulcran, Saint Fursy de Lagny, Saint Génitour du Blanc, Saint Guinefort, Saint Guirec, Saint Jacques le Majeur, Saint Jean du Doigt…Les saintes ne sont pas moins nombreuses: Sainte Lucie, Sainte Odrade, Sainte Wivine, Sainte Spérie, Sainte Geneviève, Sainte-Claire d’Assise, Sainte-Colette, Sainte Odile, Sainte Maxellende, Sainte Renelde, Sainte Faure, Sainte Flamine, Sainte Anne, et la liste n’est pas exhaustive!

Encadré

De l’évolution des pèlerinages au cours des âges

Les premiers pèlerinages chrétiens au sens propre concernent les tombeaux des saints. On y vénère les martyrs comme saint Maurice et ses compagnons, auxquels on reliera divers personnages, Ours et Victor de Soleure, Félix et Regula de Zurich, note l’abbé Jacques Rime dans son ouvrage «Lieux de pèlerinage en Suisse – Itinéraires et découvertes» (Editions Cabédita 2011).

Les tombes des moines étaient également fréquentées, ainsi Gall et Otmar à Saint-Gall. Une centaine de saints est propre à la Suisse. Remontant pour la plupart au début du Moyen Age, beaucoup sont entourés de légendes et leur culte demeure souvent très local, poursuit le jeune curé de Grolley et de Courtion, dans le canton de Fribourg (opus cité, p, 9). «Au Moyen Age apparaissent les pèlerinages de la Vierge, comme Lausanne au XIIe siècle, mais c’est surtout la fin de la période médiévale qui est documentée. On vénère le Christ – pèlerinages à la Croix de Jésus, dévotions eucharistiques – Marie bien sûr, et les saints».

On ne recule pas devant les «légendes de fondation»

Il ne faut pas oublier les invocations à sainte Anne, la mère de la Vierge Marie, à saint Antoine du désert, appelé aussi saint Antoine l’ermite, et à saint Wendelin, protecteurs des troupeaux, ou aux quatorze «saints auxiliaires», réputés pour être particulièrement efficaces pour répondre aux invocations qui leur étaient adressées. Jacques Rime relève que l’on ne recule pas devant les «légendes de fondation» pour expliquer l’origine d’un sanctuaire.

Au temps des Lumières, certaines autorités civiles et religieuses tentèrent de limiter les pèlerinages en raison des excès qu’ils pouvaient engendrer, comme des rixes lors de processions en dehors des villages, rappelle ce spécialiste des lieux de pèlerinage. Ils recommencent de plus belle au XIXe siècle. Ils deviennent alors un moyen de «mobilisation des masses pour lutter contre le libéralisme et défendre l’idée d’une Eglise forte et rassembleuse».

Le sens des pèlerinages, de nos jours, a considérablement changé et ils relèvent davantage d’une démarche individuelle, de recherche personnelle, de contact avec la nature, avec des «lieux d’énergie». Certains regrettent qu’ils soient devenus plus «folkloriques», vidés en grande partie de leur substance religieuse, mais, insiste l’abbé Rime, ces lieux transmettent quelque chose, et de toute façon, «on ne peut pas juger les cœurs…»

Encadré

Notre-Dame de l’Epine, sur le «sentier du vitrail»

Au départ du Vitromusée de Romont ou de sa gare CFF, après avoir admiré la Collégiale Notre-Dame de l’Assomption et ses vitraux anciens et contemporains, un balisage conduit le pèlerin ou le touriste sur le «sentier du vitrail». Cet itinéraire passe par l’Abbaye cistercienne de la Fille-Dieu, le sanctuaire de Notre-Dame de l’Epine et la Chapelle St-Joseph, à Berlens, l’église Saint-Maurice à Grangettes, et l’église de Saint-Pierre-aux-Liens à Mézières. Ce circuit permet la découverte de très beaux vitraux ornant les édifices religieux de la région. Le «sentier du vitrail» est balisé entre Romont – Berlens – Grangettes et Mézières: environ 16 km. 4h30 de marche – environ 6h avec les visites. (apic/be)

8 juin 2013 | 18:05
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 7  min.
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