Fribourg: Messe en rite guèze avec les Erythréens orthodoxes de Suisse
Sistres et tambours dans la nuit à Ste-Thérèse
Fribourg, 23 octobre 2011 (Apic) Des mélopées rythmées par les sistres et les tambours ont égayé toute la nuit de samedi à dimanche l’église Ste-Thérèse à Fribourg, transformée pour quelques heures en un petit coin d’Erythrée.
Plus de 300 membres de la communauté orthodoxe Tewahedo d’Erythrée, venus des quatre coins de la Suisse, s’étaient rassemblés autour d’Abune Atnatiwos, l’évêque pour les Erythréens d’Europe basé à Francfort. Ils étaient venus à Fribourg à l’occasion de la fête de saint Aregawi, un des neuf saints qui ont implanté le christianisme à la fin de 5e siècle dans cette région de la Corne de l’Afrique.
Aujourd’hui, on compte plus de 10’000 Erythréens installés en Suisse, dont un certain nombre depuis plusieurs années. Ils sont toujours plus nombreux à fuir le régime dictatorial en place à Asmara, tentant aussi d’échapper à un très long service militaire.
De longues mélopées dans la nuit
L’Eglise orthodoxe Tewahedo, majoritaire dans le pays – elle est la première communauté religieuse avant l’islam sunnite – est depuis 1993 autocéphale, c’est-à-dire indépendante de l’Ethiopie, dont elle partage le rite guèze (ge’ez), un rite oriental que l’on trouve également en Ethiopie. La célébration, pendant laquelle est également utilisé le tigrinya – une langue parlée aussi dans la région du Tigré, au nord de l’Ethiopie – sera marquée à l’aube par la sortie par l’évêque du «tabot», cette planchette sacrée qui représente les tables de la Loi. Pour l’instant, comme au pays, il est placé dans un sanctuaire de toile masquant l’autel.
A l’entrée, surprise: les femmes drapées de la «gabbi» ou de la «chama», la traditionnelle toge de cotonnade blanche qui leur couvre la tête, sont regroupées dans les travées de droite, tandis que les hommes, séparés, se rassemblent sur la gauche. Tous ont ôté leurs chaussures devant les portes de l’édifice.
Dans la foule absorbée par les chants monotones, des mères tiennent leur enfant endormi dans les bras, d’autres sortent pour préparer de la nourriture pour le repas qui va suivre. Ils sont venus de la diaspora érythréenne de plus en plus nombreuse en Suisse (voir infra), qui compte, outre les communautés musulmanes et catholiques, 13 paroisses orthodoxes: Fribourg, Genève, Lausanne, Neuchâtel, Bienne, Berne, Bâle, Zurich, Olten, Soleure, Lucerne, St-Gall et Lugano.
A la recherche d’un lieu de prière
Depuis deux décennies en Suisse, Daniel Sium, de Matran, travaille comme aide-cuisinier à l’Hôpital cantonal de Fribourg. Membre du conseil de la communauté érythréenne, il se fait l’écho des paroissiens de l’Eglise Tewahedo: les fidèles demandent un lieu où ils pourraient s’installer tant pour prier que pour maintenir leur culture. «Nos enfants, qui vivent ici, ne devraient pas se couper totalement de leurs racines, et de la foi de leurs ancêtres !»
Les Erythréens vivant en Suisse ont très à cœur de transmettre à leurs enfants la tradition de leur liturgie en guèze – variante du rite copte, elle compte parmi les plus anciennes liturgies chrétiennes – et de les familiariser avec les fêtes de leur calendrier liturgique.
Pendant ce temps, les fidèles, prient, très concentrés. Dans cette foule vêtue de blanc, de nombreux requérants d’asile: certains d’entre eux ont récemment fui la Libye en guerre. Ils cherchent la chaleur de la communauté. Le spectateur découvre ici une foi qui est passée à travers les siècles par l’épreuve des persécutions dans cette région troublée de l’Afrique.
A la fin de la longue cérémonie, à la salle de la paroisse, ils mangeront ensemble l’injera, la traditionnelle crêpe que l’on trouve aussi en Ethiopie ou en Somalie. Dans une ambiance joyeuse, tous vont alors remplir leur assiette de légumes qui seront ensuite enveloppés dans cette crêpe ronde fermentée, au goût acide, fabriquée à partir du teff, une sorte de mil. Une forte nostalgie de patrie perdue plane sur l’assemblée, beaucoup ont fui la dictature qui perdure dans leur pays.
Encadré
Les chrétiens forment, à égalité avec les musulmans, la grande majorité des quelque 4,5 millions d’Erythréens. Au sein de la population, les catholiques ne sont qu’une minorité de quelque 3,5%, auxquels il faut ajouter un petit pourcentage de fidèles de l’Eglise évangélique luthérienne et d’autres obédiences protestantes.
La Suisse représente la première destination des requérants d’asile érythréens en Europe, la Suisse hébergeant une des plus importantes diasporas érythréennes du continent. Sur les 2’042 demandes d’asile déposées en Suisse en septembre dernier (313 demandes de plus qu’en août), l’Office fédéral des migrations (ODM) précise que les principaux pays de provenance des demandeurs d’asile restent comme en août l’Erythrée (250 personnes), la Tunisie (186) et le Nigeria (170). Actuellement, la diaspora érythréenne compte plus d’un million de personnes dans le monde, ce qui signifie qu’un quart au moins des Erythréens ont quitté leur pays d’origine.
L’Erythrée se compose de multiples ethnies. Le premier groupe est formé par les Tigriniens, originaires du haut plateau. Ils sont membres de l’Eglise orthodoxe. Le deuxième groupe ethnique est constitué par les Tigrés qui vivent principalement dans la partie ouest du pays et sont de confession musulmane. Les autres groupes ethniques de l’Erythrée sont les Afars, les Hedarebs, les Bilens, les Kunamas, les Naras, les Rashaidas et les Sahos. (apic/be)