Une mesure de plus dans la guerre de l’information
Site internet d’Al-Jazira plus accessible au public, attaqué par une Cybermilice US
Paris, 28 mars 2003 (Apic) L’administration américaine l’avait annoncé depuis longtemps: elle mènera contre l’Irak une guerre dans tous les domaines, en particulier dans le domaine de l’information, sous la bannière de la «liberté de la presse». Après avoir exclu la chaîne de télévision du Qatar Al-Jazira de la Bourse de New York, voilà qu’une étrange «Patriot, Freedom Cyber Force Militia» occupe depuis jeudi les sites internet en langue anglaise d’Al-Jazira: www.aljazeera.net et http://english.aljazeera.net.
C’est une carte des Etats-Unis, que recouvre un drapeau américain, et un slogan «Que Dieu bénisse nos troupes!», qui accueillait jeudi l’internaute ne voulant pas se contenter des «news» de BBC World ou de CNN, deux canaux d’information appartenant aux nations qui portent la guerre au coeur de l’Irak. L’apport d’Al-Jazira au pluralisme de l’information, pour faire contrepoids aux sources anglo-saxonnes dont on n’exigera pas une objectivité parfaite en temps de guerre, est nécessaire à la liberté de la presse. Selon des informations recueillies par Reporters sans frontières, c’est la seule chaîne exclue du New York Stock Exchange (NYSE).
Jeudi, au camp d’As Sayliya, au Qatar, le chef des troupes britanniques, l’Air Marshal Brian Burridge, s’en est violemment pris à la chaîne de TV indépendante arabe. Il a accusé Al-Jazira d’avoir violé les Conventions de Genève en montrant des soldats prisonniers et tués alliés (il n’y a pas eu de protestations de ce type quand il s’agissait d’Irakiens!) et de faire le jeu de la propagande de Saddam Hussein. La veille, c’était le Premier ministre Tony Blair qui s’en prenait vivement à la station qatarie.
La conquête des esprits et des coeurs
Il faut noter qu’en février 2002, le New York Times révélait que le ministre américain de la défense Donald Rumsfeld mettait sur pied un bureau de propagande destiné à fournir des informations – dont de fausses informations – aux médias, l’Office of Strategic Influence (OSI), dépendant du Pentagone. Après le scandale dans la presse américaine, l’OSI a été dissous, mais Rumsfeld avait suggéré que cette disparition de nom ne signifiait pas qu’un travail de ce genre serait totalement abandonné. On peut supposer que les manipulations de l’information vont bon train ces jours-ci. L’administration américaine veut persuader l’opinion publique internationale que les missiles tombés sur le marché du district de Shaab, à Bagdad, et faisant 14 morts civils, sont en fait des retombées de la DCA irakienne.
Pour tenter de gagner les coeurs du peuple irakien que les armées américano-britanniques affirment vouloir libérer, il faut éviter les pertes civiles parmi la population. Il faut donc minimiser le plus possible les «effets collatéraux», ou alors en faire porter la responsabilité sur les ennemis. Parmi les autres armes de persuasion des masses arabes, l’administration a mis sur pied une station en langue arabe, «Radio Sawa» (ensemble, en arabe), destinée aux 250 millions d’habitants du monde arabe. Elle mêle la pop musique occidentale et arabe et les émissions sont entrecoupées régulièrement de bulletins de nouvelles. Actuellement, elle met l’accent spécialement sur l’Irak.
Interviewé jeudi par l’APIC, l’Américain Ronald Koven, représentant européen du Comité mondial pour la liberté de la presse (World Press Freedom Committee/WPFC) à Paris, était plutôt gêné par la censure imposée à Al-Jazira. «Je voudrais souligner notre attachement à la liberté d’expression et à la liberté de la presse et dans ce contexte nous considérons que l’exclusion de la télévision indépendante arabe Al-Jazira de la Bourse de New York est une mesure de censure inacceptable dans un pays attaché à la liberté de la presse».
Interrogé sur la raison de l’absence de position et de communiqué officiel de la WPFC sur ce cas grave, Ronald Koven s’est contenté de dire que son quartier général se trouvait aux Etats-Unis et que c’est à ses responsables là-bas de prendre une décision. Quant à l’inaccessibilité aux sites internet d’Al-Jazira, R. Koven déclare ne rien savoir. Il faut noter que ce même Koven et son organisation américaine qualifient les organisations qui légifèrent pour interdire par exemple la pornographie infantile ou l’incitation à la haine raciale sur internet – comme le Conseil de l’Europe!- «d’ennemis de la liberté de la presse.»
Le plus piquant, c’est que Ronald Koven a été élu, lors de la conférence préparatoire (PrepCom-2) à Genève du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI) à la tête du «media caucus». Ce groupe de journalistes et lobbyistes des médias est l’une des dix «familles» (*) de la société civile qui produit des documents à l’intention des délégations présentes au SMSI et qui préparent le sommet de l’ONU qui se tiendra à Genève du 10 au 12 décembre prochain. (apic/be)