Soeur Lorena et Christina une 'sorcière' survivante, en Papouasie Nouvelle Guinée | © Bettina Flitner/Missio Aachen
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Sœur Lorena lutte contre la chasse aux sorcières en Papouasie

Depuis près de 40 ans, Sœur Lorena Jenal, travaille sur le Plateau de Nembi en Papouasie Nouvelle-Guinée. La religieuse de Baldegg d’origine grisonne s’engage en particulier auprès des victimes de la chasse aux sorcières. Elle travaille aussi comme médiatrice de paix dans les querelles tribales. En congé en Suisse, Sœur Lorena recevra le Prix des droits humains de la ville allemande de Weimar le 10 décembre 2018. Elle raconte sa lutte à kath.ch.

Lorsqu’on entend parler de chasse aux sorcières, au sens premier du terme, on est très surpris Quelle est la situation en Papouasie Nouvelle-Guinée ?
Sœur Lorena Jenal: Cette chasse aux sorcières est liée à une illusion. Il s’agit toujours de trouver un bouc émissaire. J’illustre cela par un exemple: le 28 juin dernier, un de nos élèves de l’école de la mission, Aleidscha, 13 ans, a disparu. La communauté a attaqué la mère et l’a accusée d’avoir tué son propre enfant, car c’était une ‘sorcière’.

Les gens ont commencé à la harceler, ils voulaient la brûler. Sous la torture, elle a crié dans son désespoir: «Non, ce n’est pas moi, c’est ma tante». Puis la tante, qui vivait également dans le village, a été enlevée et torturée de deux à trois heures dans la nuit. Nous avons d’abord trouvé la mère, qui n’était finalement pas trop abîmée, mais la tante était dans un état lamentable. Je l’ai fait conduire à l’hôpital principal et la mère est venue pendant une semaine au poste de la mission.

Ces chasses aux sorcières suivent-elles un schéma pré-établi?
Oui, il s’agit toujours d’une grande détresse économique, familiale ou sociale pour laquelle on cherche un coupable. Le père affecté était en grande difficulté. Bon employé, il avait soudainement perdu son emploi et n’avait plus assez d’argent pour sa famille.

Sr. Lorena s’occupe des femmes accusées de sorcellerie en Papouasie Nouvelle Guinée | © Bettina Flitner/Missio Aachen

Alors il faut un coupable…
Oui, on croit qu’un esprit maléfique a pris possession de la femme, et qu’il ne peut être chassé que par le feu. Dans cette pensée archaïque, le pouvoir purificateur du feu est extrêmement important. D’où la torture et le meurtre de sorcières par les flammes.

Vous expliquez qu’au cours des dernières années, une nouvelle dimension a été ajoutée à ces attaques par le recours à la violence sexuelle.
Il s’agit d’un nouveau développement qui provient surtout la pornographie omniprésente. Le monde numérique a également trouvé son chemin en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Aujourd’hui, chacun a un smartphone, même s’il ne possède rien d’autre.

Il arrive donc que les femmes persécutées comme sorcières soient également humiliées sexuellement. Elles sont déshabillées et attachées par les mains, leurs seins sont brûlés et ainsi de suite.

Que deviennent ces «sorcières» après leur sauvetage?
Je prends l’exemple de Margret. On lui a reproché la mort d’une autre femme. On l’a entièrement déshabillée devant une foule enragée et torturée au fer rouge. Elle m’a dit après son sauvetage : «Je ne retournerai plus jamais au village parce qu’ils m’ont déshabillée.» C’est la pire forme de dégradation pour ces femmes. Elles se sentent sans défense et totalement à la merci des autres.

Soeur Lorena soigne une femme blessée dans une hutte, en Papouasie Nouvelle Guinée | © Bettina Flitner/Missio Aachen

Récemment, vous avez vous-même été menacée.
Oui, l’an dernier, par un policier de haut rang. Et le 10 novembre, quatre jours avant mon vol pour mon congé en Suisse, un villageois a voulu me tuer avec un pistolet après une tentative d’immolation de sorcière, la veille.

La situation s’est donc aggravée dernièrement?
Enormément. Il faut imaginer que depuis novembre 2017, 17 cas de persécution de sorcières ont eu lieu dans le diocèse de Mendi. J’ai constaté 44 cas de chasse aux sorcières et de brûlures. Je m’occupe toujours de ces victimes et je les accompagne. En plus de ces 44 cas, notre équipe bien formée a réussi, au cours des trois derniers mois, à mettre six femmes en sécurité avant que quelque chose ne leur arrive.

Vous avez fait votre première profession chez les Sœurs de Baldegg en 1973. Formée comme éducatrice, vous êtes partie pour la Papouasie Nouvelle-Guinée, dans le Pacifique, en 1979. Vous y êtes toujours aujourd’hui.
Après deux ans en Papouasie Nouvelle-Guinée, je savais que ce serait la tâche de ma vie. Ma principale activité dans le diocèse de Mendi, qui comprend la province des Hautes Terres méridionales et la province de Hela, est de travailler avec les familles, en particulier avec les mères et les enfants. Le pays, avec ses nombreux groupes ethniques, a souffert et souffre encore de la violence entre clans rivaux. Les mères et les enfants sont particulièrement touchés.

Soeur Lorena Jenal médiatrice de paix en Papouasie Nouvelle Guinée | © Bettina Flitner/Missio Aachen

Au cours des quarante dernières années, quels conflits tribaux graves avez-vous connus?
Il s’agit principalement de conflits fonciers, de pouvoir politique et de richesse. Les combats pour les femmes sont également très importants. Il s’agit de savoir qui peut épouser une femme. Au début, les divers clans se battaient avec des arcs et des flèches. Dans le deuxième conflit, les hommes utilisaient des fusils artisanaux. Ensuite sont venues des armes modernes comme le fusil d’assaut M16, connu sous le nom ‘d’arme de police’. Et aujourd’hui, les fusils à lunettes sont les armes les plus modernes.

Allez-vous continuer à travailler en Papouasie-Nouvelle-Guinée?
Bien sûr, je ne rêve pas de rentrer en Suisse! (rires). Avant tout, j’ai encore devant moi l’important projet d’une maison pour femmes, que j’appelle volontairement «maison de la liberté» et non pas «maison de refuge». Je suis très heureuse quand des femmes viennent me voir et me disent: «Grâce à toi, je peux souffler et revivre». C’est un devoir pour moi et pour notre communauté. (cath.ch/kath.ch/bb/mp)


Le Prix Weimar des droits de l’homme

Chaque année, la ville de Weimar, dans le land allemand de Thuringe, décerne son Prix des droits de l’homme. Cette récompense est remise à des personnes, groupes ou organisations particulièrement attachés à la protection et au respect de ces droits fondamentaux. Le prix honore également le travail pour l’humanité et la tolérance entre les peuples et les nations. Un autre critère important est la promotion de la démocratie.

Par ce prix, la ville de Weimar, qui abrita le siège du Reich allemand de 1919 à 1933 et où s’érigea la dictature des nazis, entend aussi faire face à son passé. (cath.ch/kath.ch/bb/mp)

Soeur Lorena et Christina une 'sorcière' survivante, en Papouasie Nouvelle Guinée | © Bettina Flitner/Missio Aachen
6 décembre 2018 | 17:16
par Maurice Page
Temps de lecture: env. 4 min.
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