Sr Maïa El Beaino (à g.) avec ses élèves au patriarcat d'Antioche des Maronites, à Bkerké | DR
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Sœur Maïa: «La capacité d’écoute du pape m’a surprise»

Au cours de son voyage au Liban, le pape Léon XIV a eu l’occasion de rencontrer des jeunes sur le parvis du patriarcat d’Antioche des maronites, à Bkerké. Sœur Maïa, présente avec une quarantaine de jeunes de l’école qu’elle dirige, a pu rencontrer le pontife. Au-delà de la joie de cette rencontre en privé, elle témoigne de la difficulté de vivre dans un village proche de la frontière avec Israël, en pleine guerre, avec le soucis de voir les chrétiens déserter le sud Liban.

Luc Balbont, pour cath.ch

«Il [le pape] nous a posé des questions sur notre situation et nous a demandé comment nous vivions cette guerre», témoigne Sœur Maïa El Beaino, directrice de l’école des Saints-Cœurs. A l’invitation lancée par le comité d’organisation du voyage papal au Liban, les Saints-Cœurs de Ain Ebel ont répondu positivement, et la directrice de l’établissement s’est inscrite aussitôt pour la rencontre du 1er décembre au patriarcat de Bkerké entre le pape Léon XIV et la jeunesse libanaise. Une rencontre qui, sans conteste, reste pour beaucoup d’observateurs – avec sans doute la messe finale du 2 décembre, sur le port de Beyrouth, lieu de la terrible explosion du 4 août 2020 – le seul contact entre le pape et les citoyens, forces vives du monde de demain.

Les Libanais ont fui le sud du pays

Sœur Maïa, 45 ans, dirige l’École des Sœurs des Saints-Cœurs depuis 2020 à Ain Ebel, au sud Liban. Un village de 1’500 habitants situé à cinq kilomètres seulement de la frontière israélienne. «1’500 âmes l’hiver, mais plus de 2’000 l’été», précise la religieuse. Une région en pleine tourmente, minée par une guerre entre Israël et les islamistes palestiniens du Hamas et du Hezbollah libanais, qui n’en finit pas, malgré un soi-disant cessez-le feu signé en octobre 2025. Maisons détruites, villages rasés, deuils en série. «Chaque jour, des innocents meurent, notamment des femmes et des enfants. Si l’école des Sœurs des Saints-Cœurs de Ain Ebel devait fermer ses portes, les chrétiens déserteraient la région», prévient-elle.

Puis, d’une voix alerte et sur un ton dynamique, Sœur Maïa énonce deux chiffres … qui font froid dans le dos: «Notre école qui comptait plus de 1’000 élèves, moitié chrétiens, moitié musulmans chiites avant la guerre ouverte en octobre 2023 – entre Israël et les islamistes du Hamas en Palestine et ceux du Hezbollah au Liban –, a vu fondre la moitié de son effectif.» Elle ne compte plus que 500 élèves aujourd’hui, «car beaucoup de villages de notre région ont été rasés par les drones et les obus israéliens, et les habitants ont dû se reloger précipitamment au nord Liban, dans leur famille ou chez des amis», s’émeut Sœur Maïa.

Photo souvenir des jeunes qui ont suivi la Sœur Maïa El Beaino à la rencontre du pape | DR

Rencontre entre le pape et plus de 10’000 jeunes

Depuis son indépendance en 1943, le Liban a souvent été une étape obligée pour les papes. Successivement, Paul VI, Jean Paul II, Benoît XVI et aujourd’hui Léon XIV, élu en 2025, sont venus au Pays du Cèdre. Pour des raisons politiques (gouvernement libanais vacant, guerres et état de santé délicat), le pape François qui voulait tant venir n’a pas pu s’y rendre. La raison majeure de cette attirance de Rome pour ce petit pays, c’est que le Liban est le seul pays arabe en Orient où les chrétiens ont encore un certain pouvoir, une liberté d’action politique et sociétale, une parole qui compte.

«Nous sommes partis de l’école le 1er décembre au matin avec 40 élèves, filles et garçons âgés de 16 à 18 ans, raconte la religieuse. Nous avions choisi deux groupes, dont celui inspiré par l’encyclique Fratelli tutti du pape François, rendu publique en octobre 2020 et portant sur la fraternité. Trois heures de route jusqu’à Beyrouth.»

Le soir, vers 18 heures, plus de 10’000 jeunes (12’000 selon certaines sources) et leurs accompagnateurs se sont rassemblés autour du patriarcat. Faute de place, un grand nombre n’ont pas pu rentrer pour voir le pape, et surtout écouter son message d’espérance, de paix et de vivre ensemble.

«Demandez-vous pourquoi le Liban n’a jamais désespéré»

«Sur cette terre libanaise, et notamment au Sud, affirme Sœur Maïa, les chrétiens et les musulmans ont toujours vécu ensemble. Dans notre école chrétienne, la moitié de nos élèves sont musulmans chiites, leurs parents apprécient notre mission, nos valeurs et la qualité de notre enseignement.» Mais ce qui a le plus étonné la directrice de l’école d’Ain Ebel, c’est la manière dont le pape à amener ces jeunes à s’interroger avec cette simple demande: «Depuis le début de son histoire, a-t-il lancé, le Liban a traversé des périodes souvent dramatiques: guerres civiles, occupations étrangères, crises économiques, épidémies, et pourtant, il s’est toujours miraculeusement reconstruit. Vous êtes-vous demandé pourquoi?»

Une rencontre privée

Grâce à l’entremise du nonce apostolique, Mgr Paolo Borgia, le pape Léon a accepté de recevoir en privé la religieuse et quatre de ses élèves. Sœur Maïa a porté son choix sur deux filles et deux garçons, venus de quatre villages chrétiens différents: Eddy Abou Elias du village de Kawzah, Hadi Naddaf de Debel, Celia Hajj de Rmeich et Jana Andraos de Zin Ebel.

Sr Maïa a pu rencontrer le pape en privé avec quatre de ses élèves | DR

Une rencontre sans tapage, sans présence de la presse, intime. «Il nous a posé des questions sur notre situation, confie la sœur, et nous a demandé comment nous vivions cette guerre; j’ai été surprise par sa connaissance sur les gens du Sud; le nonce avait dû sans doute l’informer. C’est aussi sa capacité d’écoute qui m’a surprise. Tout ce que j’espère c’est que sa visite aura un effet positif sur notre Liban et sur les chrétiens de la région. Au final, cette visite aura montré combien Rome est sensible à notre situation.»

Durant sa visite, Léon XIV ne s’est pas rendu au Sud, à cause sans doute de l’insécurité régnante dans la région. Beaucoup lui ont reproché cette absence. A l’heure où un grand nombre de jeune libanais émigrent à l’étranger, et où le pays perd une grande partie de sa jeunesse si talentueuse, l’accueil des élèves de l’école des Sœurs des Saints-Cœurs est le signe d’un soutien qui redonne de l’espérance.

Les élèves de Sœur Maïa sont revenus de Beyrouth pleins de souvenirs heureux. Mais en passant près de l’aéroport de la capitale, d’où le pape devait repartir le 2 décembre pour Rome, «les visages se sont à nouveau assombris en entendant les avions et les drones israéliens survoler le ciel libanais», a déploré Sœur Maïa. (cath.ch/lbo/bh) 

Une vie dévouée à l’enseignement
Sœur Maïa El Beaino est née en 1980, dans la région de Jounieh, près de Beyrouth, au sein d’une famille maronite très croyante. Licenciée en informatique, en sciences religieuses, en travail social, et titulaire également d’un master en gestion scolaire, elle prononce ses vœux définitifs, à l’âge de 23 ans, avec deux modèles: saint François d’Assise et Mère Teresa. Au plus fort des combats, un ordre écrit de l’armée israélienne tombé sur les réseaux sociaux le 1er octobre 2024, donne 40 minutes aux habitants d’Ain Ebel pour quitter leur village. Elle se réfugie alors dans un lieu plus sûr. Un exil de courte durée, puisqu’elle reprend très vite son poste de directrice, pressée qu’elle est de poursuivre sa mission, qu’elle qualifie d’existentielle. LBo

Sr Maïa El Beaino (à g.) avec ses élèves au patriarcat d'Antioche des Maronites, à Bkerké | DR
3 décembre 2025 | 17:00
par Rédaction
Temps de lecture : env. 5  min.
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