Soeur Cécile Renouard enseigne au Centre Sèvre, à Paris | © Raphaël Zbinden
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Sr Cécile Renouard: «The Economy of Francesco, un souffle pour demain»

Quelque 2’000 jeunes du monde entier ont participé, du 19 au 21 novembre 2020, à «The Economy of Francesco», un événement lancé par le pape François pour renouveler l’économie à la lumière de saint François d’Assise. Sœur Cécile Renouard, religieuse de l’Assomption et enseignante au Centre Sèvres, explique pourquoi un tel événement permet d’encourager les changements de demain.

Sœur Cécile Renouard enseigne, depuis 2006, au Centre Sèvres l’éthique sociale et la philosophie morale et politique. Elle dirige également à l’ESSEC Iréné (un institut de recherche et d’enseignement sur la négociation) le programme de recherches CODEV (Entreprises et développement). Elle étudie les différentes contributions des entreprises au développement, et les conditions d’une transformation des modèles économiques, par la fiscalité aussi bien que par l’engagement social et sociétal, en vue d’une justice des communs.

De formation initiale économique et commerciale, des études de théologie et de philosophie l’ont conduite à écrire une thèse de philosophie politique sur la responsabilité éthique et politique des entreprises multinationales dans les pays du Sud. Elle a participé en tant qu’experte à une des nombreuses tables rondes de l’événement, diffusé en direct d’Assise, intitulée «les expériences dans les communautés en transition sociale et écologique».

Quel regard portez-vous sur cet événement mondial qu’est «The Economy of Francesco»?
Sœur Cécile Renouard: C’est un très beau prolongement de l’encyclique Laudato si’ et de l’appel du pape à mettre en cohérence nos modèles économiques et nos modes de vie avec les grands enjeux de la transition écologique et sociale. Je trouve cela très fort que le pape François s’adresse tout spécialement aux jeunes pour faire avancer concrètement la transition. J’ai pu participer à une table ronde avec des jeunes chercheurs, entrepreneurs ou enseignants des quatre coins du monde et j’ai une nouvelle fois été touchée par la force de leur enthousiasme et de leurs capacités créatives et d’initiatives.

«’The Economy of Francesco’ a donné un souffle très important à toutes les initiatives qui germent à travers le monde.»

Cet événement planétaire qui a permis de partager les expériences et les témoignages est très heureux. Dans un monde où les difficultés et les inerties s’accumulent, où l’on a tendance à ne raisonner qu’à court terme sans prendre réellement la mesure du défi écologique, «The Economy of Francesco» a donné un souffle très important à toutes les initiatives qui germent à travers le monde.

Chaque génération de jeunes est habitée par la volonté de changer le monde. Aujourd’hui, l’Eglise est-elle en train de leur proposer des instruments pour y parvenir?
Oui, je le crois. Beaucoup de jeunes souhaitent aujourd’hui que leur mode de vie et leur vie professionnelle soient cohérents avec leurs convictions personnelle et collective. Or, on constate à l’échelle internationale un décalage permanent entre le niveau d’ambition affiché par les pouvoirs publics et la mise en œuvre effective de la transition.
L’Eglise prend au sérieux la voix des jeunes qui se disent prêts à réviser leur zone de confort. Il y en a! Je vous renvoie notamment au Manifeste pour un réveil écologique [signé par plus de 30’000 étudiants et rédigé par des élèves de HEC (l’école des Hautes études commerciales) Paris, AgroParisTech, CentraleSupélec, Polytechnique et de l’ENS (l’Ecole normale supérieure) Ulm, ndlr].
Ces jeunes ont conscience du fait que la transition implique de vivre différemment. Pour les générations plus âgées, habituées à un certain confort, c’est peut-être plus difficile à entendre.

Est-on en train d’assister à une sorte de révolution pour une écologie intégrale?
Révolution? Le terme n’est sans doute pas adapté. Toute la jeunesse, qu’elle soit chrétienne ou non, n’est pas impliquée dans ce mouvement. Pour beaucoup de jeunes qui sortent de bonnes écoles, il est difficile de ne pas se faire rattraper par le système. Toutefois, ce n’est pas le nombre qui compte nécessairement. Serge Moscovici a montré que les changements sont initiés par les «minorités actives». Lorsque quelques acteurs très impliqués dans une cause arrivent à se coordonner, ils sont capables de faire émerger des changements. «The Economoy of Francesco» compte parmi les événements qui permettent la rencontre et la coordination. Il fait vivre concrètement l’idéal partagé par des jeunes fortement mobilisés à travers le monde.

Certes, ce mouvement est à l’œuvre mais il ne faut pas négliger les obstacles considérables auxquels ces minorités actives se heurtent. Il est très difficile de sortir d’un modèle qui pousse à son paroxysme la logique d’efficacité et de performance à court terme.

Comment dépasser cette difficulté?
Dans Le Manuel de la grande transition, nous fournissons des outils de réflexion et de discernement pour trouver des solutions. Je crois qu’il y a urgence à regarder notre réalité différemment en commençant par nous poser des questions sous un angle qui ne nous est pas habituel. Nos indicateurs et nos outils d’évaluation de la performance doivent changer pour opérer la transformation de notre modèle économique. Il n’est pas possible de continuer d’évaluer des projets avec les indicateurs d’aujourd’hui car ils sont en contradiction avec la transition recherchée.

«Avec d’autres acteurs, l’Eglise doit pouvoir aider à la transition spirituelle qui nous permet de réaliser qu’on peut «vivre plus» en vivant avec moins.»

Plus généralement, ce travail de transformation doit s’effectuer à plusieurs échelles; dans la vie quotidienne des personnes mais aussi, de manière plus systémique et structurelle, au niveau des politiques publiques avec un changement des règles du jeu. Et puis un changement intérieur doit aussi s’opérer. C’est notamment à ce niveau-là que l’Eglise a un rôle décisif à jouer. Avec d’autres acteurs, elle doit pouvoir aider à la transition spirituelle qui nous permet de réaliser qu’on peut «vivre plus» en vivant avec moins. Ce rôle, elle le joue pleinement avec Laudato si’ ou bien «The Economy of Francesco».

Durant la table ronde à laquelle vous avez participé, vous avez suggéré de regarder notre réalité en prenant les «lunettes» des plus vulnérables. N’est-ce pas là une définition de l’économie de François?
Absolument. Et lorsqu’on parle des plus vulnérables, on pense évidemment aux êtres humains les plus défavorisés d’un point de vue monétaire, mais pas seulement. Et puis il s’agit de se soucier plus généralement de la dignité de tous les êtres vivants qui, de fait, ne peuvent élever la voix. C’est un des grands apports de l’encyclique Laudato si’ : la nécessaire reconnaissance de la dignité du vivant qui nous entoure. Il ne s’agit pas d’accorder moins de valeur à l’être humain mais de souligner que nous sommes frères et sœurs de la nature et que nous avons aussi la responsabilité de protéger sa dignité.

C’est ce que vous essayez de vivre au sein du Campus de la transition fondé en 2017 en Seine-et-Marne…
Oui, l’intuition de départ était de former des jeunes d’une manière un peu différente de ce qui se pratique actuellement dans les grosses structures que sont les universités et les Grandes écoles. Il s’agit d’un « éco-lieu » ancré dans un territoire et au service d’un projet de formation, de recherche et d’expérimentation de la transition. Une trentaine de jeunes vit sur place. Ceux qui forment le noyau dur de ce projet sont engagés pour au moins un an, d’autres s’y impliquent pour six mois et d’autres encore quelques semaines. Des sessions de formation plus ou moins longues donnent à des étudiants, chefs d’entreprise ou décideurs publics les outils et méthodes pour penser et mettre en place la transition écologique et sociale. (cath.ch/imedia/hl/bh)

Soeur Cécile Renouard enseigne au Centre Sèvre, à Paris | © Raphaël Zbinden
22 novembre 2020 | 10:29
par I.MEDIA
Temps de lecture: env. 5 min.
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