Stérilisations forcées au Pérou: le gouvernement péruvien

admet une campagne «agressive» pour réduire la natalité

Son objectif 1998, de 165’000 stérilisations, freiné par les pressions

Par Pierre Rottet, de l’Agence APIC

Lima, 17 juillet 1998 (APIC) Le scandale déclenché à la suite des révélations sur la campagne de stérilisation forcée, imposée depuis quelques années par le gouvernement péruvien, semble faire reculer le président Alberto Fujimori. Semble? Un rapport des autorités de Lima remis en juillet à New-York à une Commission de l’ONU, le CEDAW, reconnaît une «politique agressive» du gouvernement péruvien en matière de contrôle de natalité. Il nie cependant toutes formes de violations et toutes discriminations à l’égard de la femme.

Dans une enquête publiée le 19 mai, l’APIC décrivait comment plus de 100’000 femmes, pour la seule année 1997, avaient été stérilisées à leur insu, et comment plusieurs milliers de femmes de culture et de langue quetchuas, analphabètes pour la plupart, «campesinas» des Andes et de la sierra péruvienne, ont trouvé la mort.

Devant le tollé provoqué par l’affaire, le gouvernement péruvien s’est aujourd’hui vu dans l’obligation de reconnaître qu’il s’était engagé dans une politique agressive dans sa campagne contre la natalité. Il l’admet dans un rapport remis par les autorités de Lima au Comité chargé de suivre l’application de la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination de la femme (CEDAW), une Commission de l’ONU réunie à New York du 22 juin au10 juillet.

Le gouvernement péruvien se voit donc aujourd’hui obligé d’admettre ce qu’il a tenté de masquer. Dans un document publié début mai déjà, dans le but de préparer le terrain, commente-t-on à Lima, il indiquait que toute personne soumise à une «opération contraceptive volontaire» devra préalablement participer à deux sessions d’explications et de conseils. Dorénavant, assurait-il, le ou la «patient(e)» aura 72 heures pour réfléchir entre le consentement et l’opération.

Enfants fractionnés

Dans son rapport, le gouvernement péruvien reconnaît avoir mis en route une campagne de forte réduction de la natalité, sans toutefois reconnaître les violations des droits de la femme, violations pourtant dénoncées ces derniers mois par nombre de médias et par la Conférence des évêques du Pérou, confirmées entre-temps par de nombreuses victimes et témoins. Le document explique que, pour 70% de la population qui vivent dans les zones urbaines, le taux de fécondité, égal à 2,8 enfants par famille, «est acceptable», alors que pour les autres 30% qui vivent dans les zones rurales, l’indice de fécondité, de 3,5 enfants par famille, est «encore trop élevé».

Selon le gouvernement péruvien la plus grande partie des femmes péruviennes ne désirent pas plus de deux enfants. Ce chiffre est considéré comme idéal par la campagne gouvernementale.

80’000 en 96, 100’000 en 97…

Entre 1990 et 1997, 282’000 femmes ont été stérilisées, dont 100’000 pour la seule année 1997, et 80’000 en 1996, admet aujourd’hui le gouvernement. Le nombre prévu pour 1998 était de 165’000 stérilisations. L’objectif ne devrait cependant pas être atteint en raison du scandale provoqué un peu partout dans le monde, y compris au Congrès américain, ou des péruviennes, victimes de stérilisation, sont allées témoigner le 23 février dernier. Près d’un mois auparavant, le 19 janvier, une commission du Congrès des Etats-Unis, emmenée par Grover Joseph Rees, responsable du sous-comité pour les opérations internationales et des droits de l’homme, s’était rendue durant cinq jours au Pérou afin d’enquêter sur les cas de stérilisations. Mais aussi et surtout pour établir la relation entre les faits et le financement, par l’Agence internationale pour le développement (AID) à Washington, pour de telles campagnes de stérilisation en Amérique latine, au Pérou et en Bolivie notamment.

Mis au banc des accusés, le Pérou du président Fujimori admet maintenant que sa campagne de contrôle de la natalité est agressive, mais ne semble faire aucun cas des atrocités commises, ni des multiples violations commises à l’encontre de femmes et d’hommes. Et pourtant: les 100’000 stérilisations en 1997 ont coûté la vie à 1’000 femmes, mortes faute d’assistance post-opératoire. Sans parler des 10’000 vasectomies forcées opérées sur des «campesinos», dont plusieurs dizaines l’ont payé au prix de leur vie.

1 ’000 morts: une «moyenne acceptable»

Mis en cause par plusieurs journaux péruviens, Eduardo Yong Motta, ministre de la Santé de 1994 à 1996 et principal inspirateur – inconditionnellement soutenu par le président Fujimori -, tentait récemment encore d’expliquer l’inexplicable: «Les dénonciations sur les violations des droits des femmes dans la campagne de stérilisation sont réelles. Mais les faits ne sont pas aussi graves qu’on veut bien le dire. 1’000 femmes décédées sur 100’000 opérations, la campagne est un succès. Cela signifie que des erreurs chirurgicales ont été commises sur moins de 1% des interventions. Il s’agit là d’une moyenne acceptable, si l’on pense aux conditions médicales précaires dans lesquelles doivent travailler certains médecins dans les campagnes. Compte tenu du nombre d’interventions pratiquées, c’est là un coût social relativement modeste», devait-il commenter dans une déclaration reprise par le «SELAT» (»Servicios latinoaméricainos»).

Promesses et mensonges

Selon Juan Valverde, de «Terre des Hommes» au Pérou, «l’Etat se charge de l’intervention chirurgicale. Mais lorsque cela se passe mal, il s’en lave les mains. Les toubibs opèrent de manière brusque, sinon brutale, sans s’entourer des précautions sanitaires nécessaires. Plus d’une femme a été menacée de se voir interrompre le programme du «verre de lait». Chaque équipe médicale a un nombre d’opérations à effectuer mensuellement. Celles qui respectent les objectifs sont récompensées sous forme d’avancement ou d’argent. Les autres se voient pénaliser dans leur carrière professionnelle, confiait-il encore à l’APIC en mai dernier.

«Un nettoyage ethnique»

Dans une déclaration faite le 3 mars dernier à l’Agence espagnole EFE, Mgr Eduardo Velazquez, évêque auxiliaire de Huaraz, à quelque 400 km au nord de Lima, s’en était pris avec une terrible violence au président Fujimori. «Sous prétexte de promouvoir une supposée campagne de contrôle de la natalité, le gouvernement pratique un véritable nettoyage ethnique. Ce nettoyage ethnique, avait-il clamé haut et fort, n’a d’autre but que d’en terminer avec la race andine». (apic/pr)

20 avril 2001 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture: env. 4 min.
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