Comment réagir à la perte d’importance des religions établies ?
Suisse: L’attachement aux Eglises faiblit, les religions non-chrétiennes en pleine croissance
Berne, 4 octobre 2007 (Apic) Deux tendances marquent le paysage religieux suisse: d’un côté, l’affaiblissement de l’attachement de la population aux Eglises et, de l’autre, l’importance croissante de certaines religions non-chrétiennes et des communautés chrétiennes alternatives. Ces deux tendances remettent en question l’ordre religieux traditionnel qui en Suisse était transmis de générations en générations.
Afin que l’Etat laïc puisse réagir à ces défis de manière adéquate, le Fonds national suisse vient de lancer, sur mandat du Conseil fédéral, les travaux du Programme national de recherche «Religions en Suisse» (PNR 58). La recherche part du constat que le paysage religieux suisse est en plein bouleversement, dont il est encore difficile de mesurer les répercussions sur l’Etat et la société.
Concurrence face aux formes chrétiennes traditionnelles
Le bouleversement évoqué plus haut se caractérise par deux évolutions opposées: la «pluralisation» et la laïcisation. D’un côté, la «pluralisation» du paysage religieux (la «pluralisation» religieuse est généralement considérée comme un trait dominant de la modernité) est étroitement liée à l’augmentation de la migration en Suisse. Ce phénomène est aussi lié au besoin grandissant de nombreuses Suissesses et Suisses de vivre leur religiosité d’une manière différente des formes chrétiennes traditionnelles.
En Suisse, on ne pratique plus seulement la foi réformée, catholique ou juive, mais aussi de plus en plus la foi musulmane, hindouiste ou bouddhiste, ainsi que certaines formes non-occidentales du christianisme.
De nombreux migrants construisent leur identité en intensifiant leur attachement religieux. Toutefois, ces nouvelles collectivités religieuses ne réussissent souvent qu’à s’organiser de manière insuffisante, estime Christian Mottas, coordinateur de programme du PNR 58. Il leur manque l’adhésion de certaines franges de la population suisse, des locaux appropriés et des érudits religieux formés de manière adéquate pour constituer la collectivité organisée à laquelle ils aspirent. Par ailleurs, la ghettoïsation des collectivités religieuses présente un danger de radicalisation.
Progression des communautés évangéliques et des courants spirituels alternatifs
D’un autre côté, les chercheurs du Fonds national suisse constatent que la laïcisation du paysage de la foi en Suisse a un impact sur la coexistence sociale. Elle concerne en principe toutes les religions, mais en première ligne celles qui restent les plus grandes collectivités religieuses, à savoir les Eglises catholique-romaine et réformées reconnues de droit public et de droit privé. Depuis les années 1970, l’attachement des membres à leurs Eglises va en s’affaiblissant. L’influence de ces dernières sur la formation de l’opinion publique s’amenuise.
En même temps, on observe une «pluralisation» des religions chrétiennes, de plus en plus marquées par les communautés évangéliques et les courants spirituels alternatifs. Hors des Eglises également, les croyances ésotériques ou relevant de la religion naturelle rencontrent une approbation croissante.
Au vu de cette nouvelle situation, une question se pose pour l’Etat de droit démocratique: comment doit-il réagir à la perte d’importance des religions établies et aborder les exigences, ainsi que les besoins des nouvelles collectivités religieuses? Comment peut-il garantir l’égalité de traitement des différentes confessions et servir d’intermédiaire entre croyants et non-croyants?
La religion est instrumentalisée par certains milieux politiques
Pour les chercheurs, la réponse est d’autant moins simple que le climat actuel n’est guère propice à une discussion objective de ces questions. Souvent, les problèmes liés à certaines difficultés d’intégration sociale et économique, ou encore à la discrimination des migrants, sont débattus en termes religieux. La religion est instrumentalisée pour justifier certaines inégalités sociales et revendication politiques.
Le PNR 58 contribuera au cours des trois prochaines années à clarifier cette situation confuse avec un montant de dix millions de francs. Les projets de recherche sont menés en Suisse dans certaines universités, et hautes-écoles spécialisées, ainsi que dans des bureaux privés. Ils étudient les changements dans le paysage religieux suisse et cherchent des réponses pertinentes et concrètes.
Les instances politiques, les autorités et les écoles doivent pouvoir réagir de manière adéquate aux défis actuels et réussir à créer les conditions nécessaires pour une compréhension mutuelle et une coexistence pacifique entre les différents groupements religieux et non-religieux. Enfin, le PNR 58 vise une objectivation du débat public sur les sujets religieux. Il étudie l’ensemble des attitudes et des pratiques religieuses en Suisse, entre autres dans une perspective sociologique, historique, théologique, comme du point de vue des sciences des religions et des sciences des médias.
Par ailleurs, les religions chrétiennes et non-chrétiennes, ainsi que les forme de religiosité non-rattachées à une église sont prises en considération de la même manière. Le PNR 58 s’interroge sur la façon dont l’enseignement public aborde les différentes religions, sur l’image que les différentes collectivités religieuses ont de l’Etat de droit démocratique et sur le rôle que jouent les religions au niveau de la socialisation dans les collectivités religieuses, mais aussi dans les familles et entre personnes du même âge, ainsi que dans l’espace public. Une attention particulière est portée à la transmission et à la fonction des religions dans le domaine de la santé et des médias. Sur cette base, le PNR 58 élaborera des recommandations concrètes pour une future politique religieuse de l’Etat. (apic/com/be)