Suisse: Le burkinabé Joseph Ki-Zerbo présente «A quand l’Afrique», sa nouvelle publication

La libération du continent noir sera panafricaine ou ne sera pas

Pour l’Apic, José-Vicky Ngeng Sona

Genève, 1er Mai 2003 (Apic) L’historien burkinabé Joseph Ki-Zerbo a présenté mercredi 30 avril à Genève sa nouvelle publication  » A quand l’Afrique», dans le cadre du Salon du livre. Dans son ouvrage paru aux éditions «En bas», l’historien aborde la problématique de l’Afrique face à la mondialisation. Et présente clairement la reconquête de l’identité africaine, et l’unité du continent noir comme les ferments de son (re)développement.

«A quand l’Afrique» est avant tout un cri du coeur d’un témoin privilégié et d’un acteur majeur d’une grande partie de l’histoire africaine du siècle passé. Cri du coeur, mais également angoisse profonde face à la situation de plus en plus préoccupante de l’Afrique. Une Afrique qui, même si à l’évidence est mal partie, pour reprendre l’expression de René Dumont, n’en a pas moins les capacités pour «redevenir acteur du monde». Et c’est là la véritable toile de fond de ce livre qui se décline sous la forme d’un long entretien avec René Holenstein, coordinateur du programme de développement suisse en Bosnie Herzégovine.

Le vrai visage de la mondialisation

Pour Joseph Ki-Zerbo, il ne fait aucun doute que «la mondialisation est l’aboutissement logique du système capitaliste de production». Par la mondialisation, poursuit-il, «le capitalisme sort du cadre purement national pour adopter des dimensions planétaires voire cosmiques». Une mondialisation dans laquelle l’Afrique a été embarquée avant la lettre: par la traite des Noirs et l’esclavage, l’Afrique a contribué à propulser l’Europe dans l’industrialisation.

Si l’historien définit et analyse ainsi ce concept, c’est parce qu’il est à son avis, du moins pour le continent noir, synonyme de dépendance, d’humiliation, de stagnation, d’agression et de (re)colonisation. Il en veut pour preuve l’obligation pour le capitalisme et son avenant la mondialisation, d’écraser deux ou trois êtres humains pour en promouvoir un seul. Même s’il ne partage pas forcément la conception marxiste du dépérissement du capitalisme, il ne pense pas moins qu’un «tel système ne peut être que voué à l’échec». Parce qu’il «produit non seulement la pauvreté, mais aussi la paupérisation».

Pour le Professeur Ki-Zerbo, il ne faut pas considérer que la pauvreté de l’Afrique est la cause du sous développement, mais plutôt le produit du système actuel en lien avec la mondialisation, fille adultérine du capitalisme. Ce système, dit-il, fait que la production des matières premières qui représentaient hier le salut de l’Afrique, se rétrécit de plus en plus, parce qu’on a de moins en moins besoin de matières premières naturelles. Toutefois, poursuit-il, les «directeurs de consciences» que sont les institutions de Brettons Wood poussent les pays africains à des productions qui rapportent des dollars pour rembourser la dette.

A ses yeux, cela s’inscrit dans la continuité des humiliations de toutes sortes dont sont victimes les peuples noirs depuis la nuit des temps. Un groupe humain qui, de mémoire d’historien, a été le plus instrumentalisé et chosifié de la planète.

L’indispensable unité du continent noir

Ce constat froid et presque cinglant de la situation actuelle de l’Afrique ballottée dans la spirale de la mondialisation, ne porte cependant en son sein aucun germe pessimiste. Bien au contraire. «A quand l’Afrique» de Joseph Ki-Zerbo est surtout une croyance et une foi

en l’Afrique, en son réveil, en sa capacité à «prendre valablement part au banquet de l’édification du monde». Pour l’Afrique «qui a pour ainsi dire inventé l’homme, puis la première grande civilisation de l’humanité (la civilisation égyptienne)», il ne saurait et ne devrait en être autrement. Pour cela, estime-t-il, il faut certains préalables. Tout d’abord que l’Afrique retrouve son identité, son être. A ses yeux, sans identité, l’Afrique restera un objet de l’histoire, un instrument utilisé par les autres, un ustensile. «C’est par son être que l’Afrique pourra vraiment accéder à l’avoir. A un avoir véritable et authentique; pas à un avoir de l’aumône, de la mendicité».

Ensuite, poursuit-il, il faut réussir à infrastructurer les cultures africaines. Selon lui, une culture sans base matérielle n’est que vent qui passe. Un des problèmes majeurs de l’Afrique étant la lutte pour l’échange culturel équitable. De l’avis du Pr. Ki-Zerbo, l’Afrique doit s’unir. «La libération et le (re)développement du continent noir seront panafricains ou ne seront pas».

«A quand l’Afrique» résonne aussi comme un souhait: que l’Occident se résolve à connaître l’Afrique, tant il est vrai qu’on ne peut aider efficacement quelqu’un que si on le connaît. Souhait aussi de voir l’Occident prêter davantage l’oreille à l’Afrique. «Pas seulement en tant que pourvoyeur de folklore, mais aussi et surtout en tant que pourvoyeur de sagesse». JV

Encadré

Joseph Ki-Zerbo en bref

Né le 21 juin 1922 à Toma en Haute-Volta aujourd’hui Burkina Faso, le Professeur Joseph Ki-Zerbo est un historien et un homme d’action burkinabé. Après des études secondaires à Dakar au Sénégal puis à Bamako au Mali, il s’envole pour la France où il devient le premier africain agrégé d’histoire.

Compagnon de lutte de Kwame Nkrumah, Sékou Touré, et Patrice Lumumba, pour les indépendances en Afrique, il est un intellectuel engagé qui n’a cesse de militer pour l’unité du continent noir. Pour lui, c’est le sauf conduit indispensable pour une participation efficiente de l’Afrique à la marche du monde. Témoin privilégié d’une grande partie de l’histoire africaine du siècle passé, Joseph Ki-Zerbo estime que l’Afrique doit être fière de sa contribution à l’aventure humaine, et (re) conquérir son identité.

Auteur prolixe, il a entre autres publié «Histoire de l’Afrique noire (Hatier), dirigé deux volumes de le monumentale «Histoire générale de l’Afrique» (Unesco) et «La natte des autres:pour un développement endogène en Afrique» (Karthala).

Sur le plan international, Ki-Zerbo a récemment étendu son engagement à la lutte pour la reconnaissance de l’esclavage et de la traite des Noirs comme crimes contre l’humanité et pour que l’Afrique reçoive des réparations.

En 1997, il a obtenu le Prix Nobel alternatif pour ses recherches sur des modèles originaux de développement. En 2000, Joseph Ki-Zerbo a reçu le Prix Kadhafi des droits de l’homme et des peuples. En 2001, il a été fait docteur «honoris causa» de l’université de Padoue, en Italie. (apic/jv)

1 mai 2003 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
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