Suisse: Premiers résultats de la Consultation oecuménique sur l’avenir social et économique
Malgré «Dominus Iesus», poursuite de la coopération œcuménique
Berne, 19 septembre 2000 (APIC) Les questions de société et les défis qui se présentent aux grandes Eglises chrétiennes en Suisse, catholique et réformées, «ne peuvent être relevés que si nous agissons ensemble», a déclaré mardi à Berne Thomas Wipf, président du Conseil de la Fédération des Eglises protestantes de la Suisse (FEPS). Malgré les violents remous suscités par le récent document du cardinal Ratzinger «Dominus Iesus», la coopération œcuménique vécue au quotidien va se poursuivre en Suisse, précise-t-on tant du côté catholique que protestant.
Le pasteur Wipf présentait mardi à la presse, en compagnie de Mgr Amédée Grab, président de la Conférence des évêques suisses (CES), les premiers résultats de la Consultation oecuménique sur l’avenir social et économique de la Suisse. Proposé il y a déjà 5 ans et lancé officiellement en janvier 1998, la Consultation est actuellement le projet le plus important sur lequel travaillent l’Eglise catholique et les Eglises réformées au plan national.
«Message des Eglises» présenté sur «l’Arteplage» de Morat
Toute la population avait été invitée à s’exprimer sur les questions de société et à faire connaître ses visions de l’avenir pour construire une société «où la vie est digne d’être vécue». Le processus de la Consultation oecuménique sur l’avenir social et économique de la Suisse va – comme prévu – aboutir le 1er septembre 2001 à la publication commune d’un «Message des Eglises» qui sera présenté sur «l’Arteplage» de Morat dans le cadre de l’Expo.02, où les Eglises chrétiennes seront présentes avec le projet «Un ange passe». Ce message sera ensuite lu dans toutes les paroisses le jour du Jeûne fédéral.
Le souci numéro 1 des Suisses: dégradation du climat social et manque de solidarité
Quelque 40’000 exemplaires du dossier servant de base de discussion ont été demandés aux organisateurs. Près de 1’200 individus et groupes (2/3 des réponses, élaborées lors d’échanges dans des paroisses, mouvements, syndicats, etc.) ont finalement fait parvenir leurs réponses. Toutes ces prises de position – l’équivalent de 6’000 pages A4! – sont disponibles intégralement sur CD-ROM.
Ces dernières ont été répertoriées par mots-clés et synthétisées dans un rapport d’évaluation de plus de 150 pages, intitulé «Quel avenir voulons-nous?». On y découvre le portrait d’une Suisse inquiète par la dégradation du climat social, le manque de solidarité, le fossé qui se creuse entre riches et pauvres, l’exclusion sociale, le chômage de longue durée frappant certaines catégories sociales et les difficultés des jeunes sur le marché du travail, la consommation effrénée, le stress et la flexibilisation du travail, la concurrence entre salariés, mais aussi la claire volonté de replacer l’être humain au centre de la société.
Les participants à la Consultation prônent davantage de justice, en particulier entre les hommes et les femmes, une meilleure reconnaissance du travail non rémunéré et du bénévolat, la nécessité d’une intégration sociale des plus pauvres, l’instauration d’un revenu minimal garanti. Si l’on veut, dans une société considérée comme hostile aux enfants, davantage de soutien à la famille – toujours perçue comme la cellule de base de la société et de l’Etat, pas question cependant de défendre l’idée d’un retour de la femme au foyer pour s’occuper exclusivement des enfants. La Consultation révèle également le souhait que les valeurs, considérées comme le fondement de la société, retrouvent une place centrale. On attend précisément de la part des Eglises qu’elles contribuent activement au développement d’un système de valeurs.
La Consultation n’a pas la valeur d’un sondage «scientifique»
Certes, a d’emblée précisé Hans Ulrich Germann, collaborateur scientifique de l’Institut social de la FEPS à Berne, les réponses à la Consultation ne peuvent en aucun cas être considérées comme représentatives au sens statistique du terme. Il ne s’agit pas d’un sondage d’opinion «scientifique», mais d’un échantillonnage «naturel» de personnes qui se sont laissées stimuler par la sollicitation des Eglises. Etant donné la forme – la base de discussion est un document écrit – on peut estimer que certaines catégories sociales comme les enfants et les jeunes, mais aussi certains groupes de la population (étrangers maîtrisant mal l’une des langues nationales, personnes illettrées), n’ont pas beaucoup participé à la discussion. Hans Ulrich Germann est pourtant d’avis que la Consultation a permis l’expression de gens que l’on n’entend pas ordinairement. Si l’on aperçoit dans les réponses un certain pessimisme, c’est qu’il s’agit souvent de personnes qui, dans le processus de développement social actuel, sont laissées au bord du chemin. Il ne s’agit pas des gagnants de la nouvelle économie ou des leaders d’opinion. «C’est le devoir des Eglises d’entendre aussi les gens qui d’habitude n’ont pas voix au chapitre».
L’Eglise doit s’engager sur le plan politique et social et prendre parti pour les défavorisés
Malgré ses limites, ce travail considérable donne des pistes pour l’action à des Eglises qui peinent parfois à maintenir leur crédibilité sociale. «On leur demande de mettre en pratique les idées qu’elles défendent, par ex. en tant qu’employeur, ou vis-à-vis de la femme et de sa place dans l’Eglise; on l’interroge sur sa pratique de la démocratie et de la participation ou sur ses placements financiers», souligne la théologienne lucernoise Béatrice Bowald, coordinatrice de la Consultation œcuménique. Qui précise que les gens considèrent toutefois comme important l’apport des Eglises dans le domaine de l’éthique et des valeurs.
Une majorité des réponses montre que les Eglises, reconnues comme instances importantes de la société civile, doivent s’engager sur le plan politique et social et prendre parti pour les plus défavorisés. Mgr Grab a ajouté que «d’un point de vue catholique romain» la volonté de dialoguer avec le monde moderne et de s’engager dans les problèmes du monde est en parfaite cohérence avec ce que voulait le Concile Vatican II pour qui l’Eglise doit s’adresser à tous les hommes de bonne volonté.
Mgr Grab a relevé que les participants à la consultation insistent, dans une société à l’individualisme croissant, sur le maintien du lien social et des droits humains. Certes, a-t-il convenu, ce n’est pas aux Eglises comme telles de dire comment doit fonctionner l’économie d’un point de vue strictement technique, mais elles doivent affirmer le primat de l’homme sur toutes les contraintes économiques ou autres. «On demande qu’une plus grande place soit faite dans la société aux relations humaines et que les questions de compétitivité, de rendement et d’efficience soient ordonnées aux relations humaines», relève le président de la CES.
Dialogue œcuménique plus que jamais d’actualité
Faisant lui aussi allusion aux tensions œcuméniques actuelles suite aux récentes prises de position vaticanes, Mgr Grab a précisé que la continuation de ce projet commun avec la FEPS «non seulement n’est pas remise en cause, mais se poursuivra pour des raisons de conviction chrétienne, de foi, de fidélité au Christ». L’évêque de Coire précise que cette Consultation est l’expression réjouissante d’une coopération œcuménique intensive plus que jamais d’actualité. (apic/be)