La mort en diamant sur l’anneau de mariage
Suisse: Une entreprise transforme les cendres des défunts en diamant
Pierre Rottet, Apic
Transformer en diamant les cendres d’un défunt est possible. Le procédé était à l’étude. Il est aujourd’hui entré dans sa phase de production. Une première en Europe! Restent les questions éthiques ou morales qui se posent autour de la paix des morts, notamment. Contactés, des gens d’Eglise avouent leur stupéfaction face à ce procédé. Ils ne condamnent pas, mais émettent des réserves sur la démarche.
Finies ou presque les funérailles d’antan, avec la bière portée en terre. Finie ou presque l’urne funéraire scellée dans une niche appropriée au cimetière. ou placée sur la commode du salon de grand-maman. Désormais les cendres des morts peuvent être transformées. En diamant. créé à partir du carbone extrait des cendres, grâce à un procédé physico-chimique (v. encadré). Un diamant synthétique, certes, mais un diamant tout de même. Pour une sorte de repos éternel et scintillant du corps terrestre.
Depuis un peu plus de deux mois maintenant, après un an et demi de recherches et d’adaptation, une entreprise basée aux Grisons est active dans ce nouveau marché: produire un diamant, de 0,5 à 1 carat généralement, à partir des cendres du cher disparu. L’entreprise rayonne aujourd’hui partout en Europe. Cela à l’heure où en Suisse comme dans nombre de pays européens, plus de 70% des corps sont incinérés.
L’information a fait l’objet de plusieurs éclairages. Pour la première fois cependant, l’Apic a pu s’entretenir avec une cliente de cette société. Elle est l’une des premières au monde – sinon la première – à avoir transformé les cendres de son défunt mari en diam. Qu’elle envisage de porter, monté sur l’anneau de mariage, mis au doigt il y a 16 ans.
Au 3e étage d’un bâtiment sis en pleine ville de Coire, les bureaux de la société «Algordanza» – terme rhéto-romanche pour désigner le «Souvenir» – ne ressemblent en rien à une entreprise de pompes funèbres, dont se réclament pourtant les directeurs, Veit Brimer et Rinaldo Willy. Leur but? Offrir une alternative à ce qui se pratique aujourd’hui: le cimetière ou la crémation, et ainsi s’engouffrer dans la brèche juridique, qui laisse aujourd’hui à la famille le choix de disposer des cendres du défunt en cas de crémation, y compris de les disperser à tous vents, où de les ramener à la maison. C’est dire que le procédé, unique en Europe, de l’entreprise du «Souvenir» est légal. «Algordanza» occupe actuellement une quinzaine de collaborateurs à l’étranger, ainsi que deux ingénieurs. L’un d’eux est Russe, Vladimir Blank, de l’Académie des Sciences à Moscou. Il est l’un des inventeurs de la machine à fabriquer des diams synthétiques, directement transférée de Moscou à Neuchâtel (v. encadré).
Son mari porté sur l’anneau de mariage
Madame X a demandé à garder l’anonymat. La quarantaine, chimiste de profession, protestante non pratiquante, cette habitante d’une grande ville située à l’Est de l’Allemagne a perdu son mari il y a quelques semaines, au cours d’une balade à moto. Aujourd’hui, elle attend de recevoir le diamant qui sortira ces jours de la machine à Neuchâtel, comme pour défier la grande faucheuse. «Mon père, confie-t-elle à l’Apic, avait entendu parler de cette société basée à Coire. J’ai tout de suite été séduite par l’idée. Dans le cercle familial, mes proches ont tous été favorablement réceptifs, sauf une amie, dont les réflexions n’ont pas réussi à me convaincre». La chimiste qu’elle est n’est pas non plus demeurée insensible à l’idée de voir les cendres de son défunt mari prendre l’aspect du diamant. «C’est une partie de lui que je conserverai près de moi, avec moi. Cet objet, assure-t- elle, scellera quelque peu le symbole de notre union». Et puis, ajoute notre interlocutrice, «pourquoi ne pas comparer ma décision à l’acte de parents, qui conservent la première dent de leur enfant.»
Un jour peut-être, éloignée du deuil et du chagrin, Madame X refera-t- elle sa vie avec un autre compagnon: «J’enlèverai alors mon anneau du doigt, pour le conserver dans un coffret». Le prix payé et la grandeur du diamant? Elle n’en soufflera mot. «Cela ne m’intéresse pas. Seul l’aspect symbolique compte à mes yeux».
Ce monde en mouvement.
Plus de concession de tombes ou de niches pour les urnes à payer. Et par les temps qui courent, à une époque où les places dans les cimetières se font rares. Un argument que les initiateurs de la firme grisonne n’ont pas manqué d’exploiter. Un constat: le diamant monté sur un socle, et livré comme tel par «Algordanza» ne prend guère plus de place qu’un petit cube transportable à souhait, d’une pièce à l’autre, y compris d’une ville à l’autre. Et c’est peu dire. «C’est vrai, admet l’un des deux directeurs, Veit Brimer, un informaticien allemand de 38 ans, les gens sont de plus en plus appelés à déménager souvent. Sans parler des personnes âgées qui n’arrivent plus à se déplacer pour se rendre au cimetière».
Aujourd’hui les demandes affluent de partout. De Suisse en particulier, d’Allemagne et d’Autriche, de Grande-Bretagne et du Nord de l’Europe. Peu de France et pratiquement pas d’Espagne et d’Italie, pour l’instant. Selon Rinaldo Willy, l’autre jeune cadre grison de 24 ans, il n’est pas rare que des personnes prennent eux-mêmes des dispositions pour coucher sur leur testament leur désir de «finir» en diamant. «C’est maintenant aussi le cas de sidéens et de certains cancéreux en fin de vie, gravement atteints dans leur intégrité physique». Sans doute quelque peu rassurés à l’idée de donner pour leur repos éternel l’image d’un diamant. La notion du beau que le miroir ne pouvait leur restituer de leur vivant?
Croyants ou non croyants, le «client» type des personnes en quête de renseignements auprès du bureau de Coire a le profil de «Monsieur ou Madame tout le monde». Toutes conditions sociales confondues, les intéressés sont cependant plus proche de la soixantaine que de la trentaine, un âge où l’idée de la mort ne préoccupe guère. Parmi les sollicitations étranges, les directeurs de la société grisonne citent les arguments avancés par de pieux catholiques autrichiens, selon lesquels, «mieux vaut être dans l’attente de la résurrection sous la forme d’un diamant, plutôt que dans une tombe à la merci des vers». Mieux, assurent les directeurs de l’entreprise, l’idée de transformer les cendres en diamant a séduit jusque dans certains couvents autrichiens, selon lesquels les cryptes sont trop petites. D’autres affirment que ce diamant pourrait utilement orner un calice, Même des prêtres se sont mis en quête de renseignements. Au point qu’un des proches de la Conférence des évêques d’Autriche «est tombé du ciel», après avoir pris connaissance de ces arguments.
Le prix d’une pierre tombale
Les diamants proposés par «Algordanza» tendent à épouser une couleur bleutée plus ou moins prononcée. Ils peuvent dépasser 1 carat. Rare est la demande pour aller au-delà. Précision: il faut environ 100 grammes de cendres pour un carat de 0,2 gr, et entre deux et trois semaines pour sa fabrication. Monté sur un socle ou une bague, l’objet d’un carat ne dépassera pas un diamètre de 9 mm. Quant aux prix, ils oscillent entre 5’960 francs pour un objet taillé et poli de 0,5 carat, à un peu moins de 10’000 francs pour un carat. «Pas beaucoup plus cher qu’une pierre tombale», assure-t-on. Cela dépend évidemment des régions, réplique à Fribourg le directeur des Pompes funèbres générales, Claude Deschenaux, invité à s’exprimer sur ce phénomène. «Dans notre région, Il faut compter entre 5’000 et 8’000 francs. Et entre 700 et 1’000 francs pour la niche d’une urne funéraire». Pour le reste, notre interlocuteur confirme qu’en dehors d’une lettre exigée par le crématoire à la famille, autorisant la crémation du corps du défunt, libre à la famille de disposer comme elle l’entend des cendres. L’unique restriction consistant à ne pas enterrer l’urne en territoire public. Depuis 1963, année où l’Eglise catholique a admis la crémation, le nombre d’incinérations n’a cessé d’augmenter: plus de 70% des cas traités par Claude Deschenaux en 2003. «Algordanza» a donc de beaux jours devant elle? Surtout si l’on considère que des cendres placées depuis 10 ou 15 ans dans une urne peuvent encore être transformées. PR
Encadré
La machine à fabriquer des diamants synthétiques à partir de cendres ne dépasse guère 150 cm de hauteur. Une douzaine de pas à peine suffisent à en faire le tour. Son prix avoisine le million de francs. Il faut bien cela pour fabriquer des diams fussent-ils synthétiques, créés grâce à la formidable pression que la machine exerce: entre 50’000 et 60’000 kilobars, avec une température pouvant atteindre 1500 à 1700 degrés. La première étape de fabrication consiste à séparer des cendres les différents sels (80% du volume) du carbone (20%), grâce à un acide dans lequel les cendres sont plongées. Les sels s’échappent alors sous forme de gaz. Le carbone restant est alors purifié, puis chauffé et pressurisé durant une période de 3 à 4 semaines, le nombre de carats augmentant la durée de pressurisation. Cela sous l’oeil avisé des deux ingénieurs, dont l’inventeur, le professeur Vladmir Blank, de l’Académie des Sciences à Moscou. Ce chercheur travaille depuis 30 ans dans le domaine de la haute pression. Aujourd’hui il développe des projets en Suisse. Après quelque 18 mois d’adaptations, la machine «crache» ses diamants. «Les cristaux se développent là comme dans la nature, assure V. Brimer». Sauf que la méthode ne prend pas des millions d’années. Juste quelques semaines». Et comment être certain que le diamant correspond aux cendres du défunt? «L’un des techniciens en analyse la composition, et un certificat est donné aux proches, attestant l’origine». Le même procédé pourrait permettre la fabrication de diamants synthétiques à partir de cendres d’animaux. Une demande avait été faite pour un cheval. Elle fut refusée. PR
Encadré
A Fribourg, l’abbé Marc Donzé, curé des paroisses de Saint-Pierre et de Villars-sur-Glâne, marque sa surprise en prenant connaissance de ce procédé, dont il n’avait jamais entendu parler auparavant. Aucune condamnation de sa part, si ce n’est des questions: «Le diamant réalisé avec les cendres du défunt en posent, tant il est vrai que l’objet a une symbolique de richesse, de brillance, voire d’éternité». Pour l’abbé Donzé, cette «pierre précieuse» marque mal le caractère transitoire du corps et s’inscrit même en contresens. Le diamant, assure-t-il, est un bien que l’on aime posséder. Il est facile de l’avoir chez soi, sinon de le porter sur soi. En ce sens, il contredit la symbolique qui veut que l’on «laisse aller le corps du défunt». Même son de cloche du côté de Coire. Interrogé, le Père Andreas-Pazfikus Alkofer, théologien, professeur d’éthique à la Faculté de Théologie de Coire, exprime lui aussi ses réticences, moins dogmatiques qu’esthétiques et symboliques. «Le fait qu’il n’y a plus d’inhumation au cimetière, ou de moins en moins, provoque la disparition d’un lieu social du souvenir, où amis et parenté du défunt se recueillent». Aux yeux du théologien, cela constitue une étape supplémentaire «dans la privatisation de la mort. Ainsi la confrontation publique avec la mort disparaît». Le professeur d’éthique s’interroge enfin sur la représentation de l’au-delà par l’être humain, et se pose la question de savoir combien de temps le diamant sera objet de piété. lorsque les descendants directs du défunt ne seront plus. PR
La crémation en chiffres: 75% en Suisse, 71% en Grande-Bretagne, 22% en Autriche, contre 20% en France, 15% en Espagne et 7,5% en Italie. Aucun chiffre n’est donné pour l’Allemagne, qui compte 120 crématoires. A noter que dans des pays comme l’Allemagne et l’Italie, interdiction est faite de conserver à la maison une urne contenant des cendres. On estime enfin que la crémation laisse entre 1,2 et 1,8 kg de cendres. Et que seuls une centaine de grammes est nécessaire pour la confection d’un petit diamant. PR
Des photos peuvent être obtenues à l’Apic, tél.: 026 426 48 11 (apic/pr)