Brésil: Après Rio+20, les Indiens continuent leur combat contre la déforestation

Suliete veut acquérir les connaissances des blancs pour mieux se défendre

Rio de Janeiro, 28 juin 2012 (Apic) Une semaine après le Sommet de la terre de Rio de Janeiro (Rio+20), les milliers d’indigènes venus de toute l’Amazonie ont retrouvé leurs terres, souvent menacées par la déforestation. Parmi eux, Suliete Gervasio Monteiro, de la tribu Baré. Cette jeune militante indigène ne fera pourtant qu’une courte halte dans sa communauté, située au cœur de l’Etat d’Amazonas. Depuis deux ans et demi, elle étudie en effet l’ingéniérie forestière à Brasilia, la capitale. Son objectif ? «Acquérir les connaissances des blancs pour mieux se défendre.»

Dès la clôture du Sommet des Peuples de Rio de Janeiro, Suliete Gervasio Monteiro a entamé un long périple pour rentrer chez elle. Cette jeune femme de 25 ans, indigène de la tribu Baré, est née en effet dans une communauté composée d’une quinzaine de familles vivant sur les berges d’un affluent du Rio Negro, a plus de dix heures de bateau de Manaus, au cœur de l’Amazonie brésilienne.

C’est là qu’elle a grandi, au milieu d’une forêt dont elle a appris la richesse et les secrets. Se nourrir, se soigner, cultiver sans détruire l’environnement… Autant de valeurs et de connaissances transmises par ses parents et grands-parents et qui font aujourd’hui partie intégrante de sa culture. Un héritage pourtant menacé de disparaître face à la déforestation, due en particulier à l’avancée des monocultures et des extractions minières. Ce sont ces dangers qui ont poussé Suliete à devenir militante de la cause indigène. C’est pour cela surtout qu’elle ne restera que quelques jours seulement dans son village natal… avant de retourner à Brasilia, la capitale, pour y poursuivre ses études en ingéniérie forestière.

Désignée par la communauté

«Lorsque j’ai commencé à militer pour la défense des droits des indigènes, je me suis aperçue que notre lutte était certes louable et courageuse, mais qu’elle était uniquement politique. Il nous manquait parfois une expertise technique pour défendre et revendiquer le droit à la terre et pour réparer les outrages faits à la forêt face à des technocrates dont nous ne connaissions pas le langage», explique Suliete.

Les leaders indigènes qui représentent les communautés de cette région, regroupant une trentaine de peuples, ont fait la même réflexion. «Comme j’avais des facilités pour étudier, les responsables de l’assemblée des caciques (chefs de tribus) ont proposé de m’envoyer à Brasilia pour y étudier l’ingéniérie forestière.» Cette spécialité, enseignée dans une poignée d’universités à travers le pays, consiste à former des techniciens capables de «travailler dans le domaine de la production forestière, incluant le processus d’analyse et de mesure des écosystèmes forestiers dans le contexte de forêts natives ou plantées pour y appliquer une gestion forestière.» Autant dire une approche radicalement différente du savoir ancestral détenu par les indigènes.

Une autre vision de la nature

«J’ai d’abord dû préparer un concours d’entrée pour lequel deux places sur 600 postulants étaient réservées à des candidats issus de tribus indigènes.» Une fois l’examen réussi, Suliete commence ses études en mars 2010. Avec, à la clé la confirmation que «la vision technique et matérielle des blancs sur la nature était très éloignée de celle des indiens.» Plutôt réservée et observatrice au début, l’indigène de la tribu Baré prend peu à peu conscience que «sa» connaissance de l’environnement est au moins aussi respectable que celle, plus académique, de certains de ses professeurs. «Parmi les enseignants, explique t elle, il y a vraiment une scission entre ceux qui ouvrent la porte à d’autres formes de savoir et ceux qui ne jurent que par la science.» Pas de quoi étonner ou repousser la jeune femme qui garde clairement en tête ses objectifs et ceux des personnes qui se cotisent pour lui permettre de suivre ce cursus universitaire. «Je suis là dans le cadre d’une stratégie de défense des peuples indigènes qui consiste à savoir comment pensent les blancs, à acquérir leur savoir technique et leur langage pour pouvoir, le moment venu, défendre nos intérêts de la manière la plus efficace possible.»

Une stratégie de défense

Car il ne faut pas s’y tromper. «Si je suis là, martèle t elle, c’est pour défendre les miens.» A l’heure où Raoni, l’octogénaire cacique Kaiapo, qui a longtemps incarné la résistance des indiens contre la déforestation en sillonnant la planète pour multiplier rencontres officielles et conférences de presse est sur le point de se retirer, un triste constat s’impose : la forêt amazonienne est plus que jamais menacée et les peuples indiens n’ont guère les moyens de lutter contre des intérêts des multinationales.

Reste donc, comme dit Suliete, «à acquérir le mêmes armes que celles utilisées par nos ennemis.» Et les combats, Suliete le sait, ne manqueront pas. «Mon travail ne se limitera pas aux communautés de ma région, assure t elle. Même s’il y a beaucoup à faire en termes de reforestation par exemple. Plus au sud, dans des états comme celui du Mato Grosso du Sud, les extractions minières provoquent des catastrophes écologiques majeures. Il faudra donc être capable de travailler techniquement à la récupération de terres mutilées par les blancs.»

Une mission à laquelle se prépare Suliete avec la conscience que sa démarche est aussi insolite que cruciale pour son peuple. «Les indiens n’ont jamais détruit leur environnement», souffle-t-elle. Et pourtant, à l’image de Suliete, ils se préparent à le sauver. En tout cas à essayer. (apic/jcg/mp)

28 juin 2012 | 15:59
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
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