Sur le «pèlerinage des crèches» à travers Lausanne
«Vous voyez, le petit Jésus n’est pas là, parce qu’Il est encore dans le ventre de sa maman!» René Bugnion explique aux jumeaux dans la poussette la crèche qu’il a installée dans la vitrine de la pharmacie BENU, à Lutry.
Les bambins d’environ un an ne peuvent réellement verbaliser leurs impressions, mais leur gestuelle et leurs yeux écarquillés montrent bien leur émerveillement. Les parents en balade se sont arrêtés devant cette crèche de pharmacie, bien contents de trouver dans la rue quelque chose qui intéresse leurs enfants.
L’installation pieuse dans cette enseigne commerçante du centre de Lutry, à l’est de la capitale vaudoise, fait partie du «pèlerinage des crèches» créé par le laïc René Bugnion. cath.ch s’est laissé guider sur cet itinéraire de cinq étapes à travers le Grand Lausanne.
Une tradition à chérir
«Salut, salut, comment vas-tu?» Le septuagénaire est accueilli avec chaleur à l’intérieur de la pharmacie de Lutry, comme s’il visitait de la famille. Il connaît bien la gérante, Sylvia, qui par chance est sur les lieux en ce vendredi de novembre. Cela ne la dérange-t-elle pas d’afficher dans son magasin un signe ostentatoire de religion? En aucune façon. «Je ne vois pas pourquoi il faudrait se cacher de nos convictions et de notre culture chrétiennes. Les crèches non seulement rappellent la dimension spirituelle de Noël, mais égayent aussi cette période de l’année. C’est une belle tradition qu’il faut à tout prix garder.»
La pharmacie de Lutry met également en avant la valeur chrétienne de charité. Dans une plus petite vitrine annexe, des poupées de laine sont en vente, au bénéfice d’enfants de l’Himalaya. L’artiste ayant confectionné les poupées, Arianne Rossat, collabore d’ailleurs depuis le début avec René Bugnion dans le cadre du pèlerinage des crèches.
Jésus, Mowgli, et un ours polaire
L’itinéraire se poursuit vers Pully, toujours dans la banlieue est de Lausanne. Le magasin Rico-Sports a accepté d’y exposer la «crèche orientale», où le petit Jésus est attendu sous une tente. Comme beaucoup des créations de René Bugnion, le décor est éclectique. On peut notamment y voir une figurine de Mowgli sous une chute d’eau. L’imagier (artisan de crèche) prend garde de choisir des vitrines basses, afin que les enfants puissent facilement voir.
Un peu plus haut, à la Place de la Gare, la pharmacie AMAVITA abrite dans sa vitrine la plus grande structure du parcours, la «crèche universelle», eu égard aux multiples thèmes qu’elle présente. De nombreux personnages parsèment le plateau de plusieurs mètres de long. Avec des figures que l’on ne trouve pas forcément dans la Bible, tels que le professeur Tournesol ou Charlot.
Comme dans ses autres présentations, René Bugnion y a placé des éléments symboliques de ses combats et de ses préoccupations. Dans un coin, un ours polaire débarque sur une plage, victime du réchauffement climatique. Dans un autre, un village masaï.
René Bugnion entre sans autre dans la pharmacie en saluant à nouveau les employés sur son passage. Il profite d’être sur place pour déposer de nouveaux santons, dont un joueur de cor des alpes.
Heidi à la cathédrale
La prochaine étape est la cathédrale de Lausanne. L’édifice protestant a abrité, les années précédentes, une crèche de René Bugnion. Cela n’a cependant pas pu se faire cette année. Il tient toutefois à y ramener provisoirement la poupée Heidi et sa brebis noire et blanche «Erravi», qui étaient dans la crèche en 2024. Le Lausannois replace un moment l’héroïne suisse chevauchant fièrement sa monture devant le maître autel.

Car les santons de René Bugnion ont une vie propre. «Chacun a son histoire. Quand mes enfants étaient petits, nous en achetions deux ou trois à chaque Noël. Les voyages et la Providence nous en ont apporté d’autres.» Aujourd’hui, le «metteur en crèche» en possède tellement qu’il est obligé de procéder à un casting pour décider qui aura le droit d’habiter les cinq installations chaque année.
Une conversion du cœur
René Bugnion est tombé amoureux des crèches dès la petite enfance. «Je devais avoir quatre ou cinq ans, j’étais très malade, alité, et désespéré. À la tombée de la nuit, ma sœur est venue me donner une petite crèche en plastique, avec une simple étoile et la sainte Famille.» Le Lausannois décrit «un choc, une vision qui me reste encore si présente, le don de la Révélation, de la conversion du cœur, ou un rien devient Tout.»

La crèche l’accompagnera toute sa vie. Dans les divers endroits où le conduit son parcours professionnel, il place ses œuvres pour Noël, notamment dans plusieurs grandes banques et à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), où il occupe pendant 20 ans un poste de direction.
Crèche musulmane
Suite à un pèlerinage à vélo, de la cathédrale de Lausanne à Jérusalem, en 2019, il trouve du réconfort et du soutien dans le souvenir de ses crèches en famille ou en entreprise. «Je me suis dit que cela devait revivre.»
L’occasion lui en est donnée dès son retour, alors qu’un barbier musulman de Lausanne lui demande s’il peut réaliser une crèche pour sa boutique. Une requête pas si étonnante puisque Marie et Jésus sont des figures vénérées également dans le Coran. L’islam affirme en outre la naissance virginale de Jésus. Une employée de la pharmacie AMAVITA de Pully est d’ailleurs aussi musulmane. «Les musulmans ne sont pas choqués par les crèches. Ils comprennent très bien pourquoi les chrétiens le font. Les personnes opposées sont plutôt celles issues des milieux anticléricaux, qui raisonnent au nom d’une laïcité mal comprise», souligne René Bugnion.

Il salue pourtant la tolérance des Suisses en la matière, puisqu’il n’a lui-même essuyé que peu de critiques. Lorsqu’il entre dans un magasin pour proposer ses crèches en vitrine, il se dit toujours bien accueilli. Les refus sont peu nombreux et davantage pour des raisons pratiques.

Nourritures matérielles et spirituelles
En 2025, les santons de la cathédrale «se sont donc déplacés sur la Place de la Palud», chez AMAVITA NUTRIBIO en contrebas, explique le Lausannois. En ce ›Black Friday’, la rue commerçante fourmille de consommateurs pressés munis de sacs de boutiques.
La scène est entièrement composée des poupées en laine d’Arianne Rossat, qui les confectionne depuis de nombreuses années dans le Val Ferret. Les crèches de René Bugnion sont, pour la plupart, «dynamiques». C’est-à-dire qu’elles évoluent dans le temps de l’Avent, avec successivement le voyage vers Bethléem de la sainte Famille, l’adoration des mages, la fuite en Égypte… Dans plusieurs vitrines, la Vierge est représentée, juste quelques jours avant Noël, enceinte de Jésus.
La crèche, vitrine de l’Incarnation
C’est le cas de la dernière installation du pèlerinage, qui se situe à côté de la librairie Le Valentin, au-dessous de la basilique Notre-Dame. Dans une grande vitrine murale, la crèche, qui se décline sur plusieurs étages, est la seule permanente de l’itinéraire. Elle contient, comme les autres, des images pieuses et des poèmes calligraphiés réalisés par René Bugnion. «La crèche, ce monde, celui du tout petit, de tout en bas. Cela est ici comme si tu te voyais de l’au-delà. Le réel a le secret. Que l’enfant ne trahit pas, l’instant où il t’ouvre ses bras. Amen», proclame l’un de ces textes.

Pour le Lausannois, les crèches sont l’une des expressions les plus fortes du christianisme comme religion incarnée. Il rappelle la lettre apostolique Admirabile signum du pape François (2019): «La crèche est comme un évangile vivant qui découle des pages de la Sainte Ecriture.» «La puissance de cet art réside dans cette ›kénose’, cet abaissement de Dieu qui se fait homme. La crèche, par sa petitesse, son humilité, exprime, fait comprendre cette descente du divin sur terre.»
Au terme du pèlerinage, René Bugnion referme la grande vitre qui protège la scène de la Nativité. Dans ce coin discret de la capitale vaudoise, parmi la frénésie de biens matériels, l’imagier espère que cette histoire parviendra tout de même à attirer le regard et à toucher quelques cœurs. (cath.ch/rz)
Le pèlerinage des crèches de Lausanne est accueilli dans les lieux suivants: la pharmacie BENU grd Rue 26 à Lutry, Le magasin INTERSPORT Rico-Sports à Pully, la pharmacie AMAVITA à la Place de la Gare à Pully, AMAVITA NUTRIBIO à la Place de la Palud à Lausanne, la librairie Le Valentin à Lausanne. RZ







