Le "curé gaucho" juché sur sa sempiternelle mule "Malacara", à l'entrée de Villa Cura Brochero | © Jacques Berset
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Sur les traces du «curé gaucho», le premier saint argentin «pur jus»

«Le ‘curé gaucho’, c’est notre saint, le premier saint argentin ‘pur jus’, né et mort en Argentine», s’enorgueillit cet admirateur de José Gabriel del Rosario Brochero. Notre homme est venu en famille de Cordoba, la capitale provinciale, à quelque 150 km au nord-est, prier sur sa tombe en l’église de Nuestra Señora del Tránsito, à Villa Cura Brochero, un bourg de montagne d’une dizaine de milliers d’habitants.

Située à plus de 800 km au nord-ouest du Buenos Aires, cette petite ville s’appelait autrefois Villa del Tránsito. C’était avant que le gouverneur de Cordoba n’accepte la requête de la population de la rebaptiser Villa Cura Brochero en 1916, deux ans après la mort du célèbre prêtre né en 1840. Sa silhouette, juchée sur sa sempiternelle mule «Malacara» (»Mauvaise-Tête»), nous accueille à l’entrée de la ville.

Mort de la lèpre

Pour y arriver, nous venions de traverser la montagne par la majestueuse route des Altas Cumbres et de descendre dans la vallée de Traslasierra, quelques kilomètres après avoir traversé la petite ville touristique de Mina Clavero. Nous allions bientôt découvrir la vie de ce pasteur pénétré par «l’odeur de ses brebis», un véritable «chemineau de la foi qui se fit pauvre parmi les pauvres», pour reprendre des expressions du pape François. C’est d’ailleurs ce dernier, Argentin comme lui, qui a présidé, le 16 octobre 2016, la cérémonie de sa canonisation sur la place Saint-Pierre, à Rome, devant plusieurs centaines de milliers de fidèles.

Connu loin à la ronde dans les provinces de l’intérieur – Cordoba, Mendoza, Catamarca, San Luis et San Juan, etc. –, c’est ici, à Villa del Tránsito, souffrant de cécité, que José Gabriel del Rosario Brochero mourra de la lèpre contractée auprès de malades qu’il soignait, le 26 janvier 1914. Le «curé gaucho» est connu pour son «option préférentielle pour les pauvres» et son «inculturation» dans la rude réalité des montagnards des Sierras de Cordoba, dont il adoptera rapidement le langage rude et imagé. Son engagement pour les pauvres était alors en syntonie avec la préoccupation sociale de l’Eglise exprimée à l’époque par l’encyclique du pape Léon XIII «Rerum Novarum» publiée en 1891.

Villa Cura Brochero paralysée par le Covid-19

Depuis la mi-mars 2020 une chape de plomb est tombée sur la région: la pandémie du Covid-19 a forcé les municipalités de Villa Cura Brochero et Mina Clavero à y interdire l’entrée des touristes et des pèlerins, ainsi que l’exploitation des restaurants et des magasins. Villa Cura Brochero, qui aurait dû recevoir le 16 mars des milliers de visiteurs venus de différentes provinces argentines pour la fête patronale du saint curé, est depuis lors une ville morte. L’inauguration du parc thématique «Brochero Santo» a été remise à plus tard.  

L’inauguration du parc thématique «Brochero Santo» a été remise à plus tard | municipalidad Villa Cura Brochero

Au dernier moment, la «Cabalgata Brocheriana», qui mène durant plus de trois jours les pèlerins sur les traces du célèbre curé «gaucho» a également été supprimée pour des raisons sanitaires. Comptant cette année plus de 700 cavaliers et 400 marcheurs, la traditionnelle cavalcade était attendue le 15 mars à Villa Cura Brochero. Depuis quelques années, elle imite à travers les montagnes le parcours de 200 km qu’empruntait l’intrépide prêtre, juché sur sa mule, pour se rendre à Cordoba accompagné d’une cohorte de fidèles faire les exercices spirituels de saint Ignace de Loyola.

Mais aujourd’hui, tout est à l’arrêt: les entreprises de tourisme religieux, qui organisent à cette époque des «tours brochériens» et transforment la bourgade en musée à ciel ouvert, ont fermé leurs portes…

La pauvreté s’étend

Célébrant la messe à l’occasion du 180e anniversaire de la naissance du curé Brochero, patron du clergé argentin, le 3 mai, 4e dimanche de Pâques, dans le sanctuaire diocésain vidé de ses fidèles, Mgr Ricardo Araya rappelait que la pandémie allait certainement laisser derrière elle de nouvelles formes de pauvreté et de fragilité.

A l’exemple du Curé Brochero, l’évêque de Cruz del Eje a dit son espoir que «nous sortirons de cette période capables de prendre soin de la fragilité des plus petits, des plus faibles, des moins doués, des oubliés, des personnes âgées qui sont de plus en plus seules, des enfants à naître». L’évêque de Cruz del Eje nous confiait, peu avant l’éclatement de la pandémie, qu’il voulait s’inspirer de l’exemple du «curé gaucho», de son zèle missionnaire, de sa vie de pauvreté et d’engagement pour «rénover» son clergé. Car chez  Brochero, «la recherche de Dieu ne mène pas seulement à la prière: elle mène aux frères».  

Pour évangéliser, prêcher seulement ne suffit pas

Ce prêtre missionnaire qui parcourait à dos de mulet le département de San Alberto – plus de deux fois plus vaste que le canton de Fribourg – avait compris que pour évangéliser, prêcher seulement ne suffisait pas. La population de cette région montagneuse dépourvue d’infrastructures vivait dispersée, dans un dénuement matériel pitoyable, sans routes et sans écoles, isolée par les Sierras Grandes qui s’élèvent à plus de 2’000 mètres d’altitude.

Le Père José Barrera, recteur du sanctuaire de Nuestra Señora del Tránsito y San José Gabriel Brochero  | © Jacques Berset

Le Père José Barrera, recteur du sanctuaire de Nuestra Señora del Tránsito y San José Gabriel Brochero depuis décembre dernier, nous explique que le «curé gaucho» s’était rapidement rendu compte de l’état moral déficient de ses paroissiens et de l’indigence matérielle dans laquelle vivait cette population isolée des centres et s’abritant dans de pauvres cahutes d’adobe au toit de paille.

José Gabriel lui-même venait d’une famille de dix enfants et il savait dès son plus jeune âge ce que signifiait travailler pour gagner son pain. Ce campagnard de souche modeste, qui avait eu la chance d’étudier à l’Université et avait pu ainsi côtoyer l’élite politico-sociale de l’époque, a toujours su garder les pieds sur terre, utilisant ses relations pour améliorer le sort de la population marginalisée de la vallée de Traslasierra.

Un peuple «abandonné de tous mais pas de Dieu»

Le missionnaire comprit d’emblée qu’il ne suffisait pas de célébrer la messe et de parler de l’Evangile à la population, mais qu’il fallait lui apporter l’éducation et promouvoir la «Parole» en actes. A l’aide de ses paroissiens, le curé a ainsi construit plus de 200 kilomètres de routes travers la montagne, édifié plusieurs églises, a fondé des villages, organisé l’adduction d’eau pour la population et l’irrigation des champs. Il s’est préoccupé de l’éducation pour tous en créant des écoles, se souciant notamment de l’accès des filles à l’instruction, ce qui n’était pas commun en cette période, apportant aussi de l’aide aux malades sans ressources, dans une région dépourvue d’infrastructures sanitaires.

S’adressant aux autorités, il a obtenu que les pouvoirs publics installent des bureaux de poste et le télégraphe. Il a planifié la voie ferrée qui traverserait la vallée de Traslasierra pour rejoindre Villa Dolores et Soto afin, comme il disait, de sortir «son peuple montagnard bien-aimé» de la pauvreté, un peuple «abandonné de tous mais pas de Dieu».  

Au sanctuaire de Villa Cura Brochero, la dévotion populaire est toujours plus vive | © Jacques Berset


Une figure qui parle aux contemporains

Aujourd’hui encore, et surtout depuis sa canonisation qui l’a rendu encore plus populaire, estime le recteur, la figure du «curé gaucho» parle aux contemporains.

En ce jour de février où nous visitons le sanctuaire, le sinistre virus venu de Chine n’a pas encore provoqué la fermeture des lieux. Les gens se pressent devant la niche qui contient les reliques du «curé gaucho», l’ascétique buveur de maté adopté comme saint patron par les cavaliers et les gardiens de troupeaux de la pampa. Et se font photographier en famille au pied de la grande statue du saint curé au large poncho brun et ocre, avec bâton et chapelet dans la main. Dans son dos, le mur de l’église est tapissé d’ex-voto qui rappellent les interventions miraculeuses de ce «saint des périphéries» qui fut aussi un leader social qui s’engagea dans l’action politique vue comme forme supérieure de transformation sociale. (cath.ch/be)

Un autre saint argentin, fusillé en 1934 en Espagne
Si dans le cœur des fidèles saint José Gabriel del Rosario Brochero est le premier saint argentin, le pape Jean Paul II avait canonisé en 1999 un autre religieux argentin, Hector Valdivielso Sáez, mais ce dernier en mort en Espagne. Il n’a vécu à Buenos Aires que pendant quatre ans avant que sa famille n’émigre en Espagne.  Hector Valdivielso Sáez, en religion Benito de Jesus (1910 – 1934), a été fusillé le 9 octobre 1934 durant la Révolution asturienne avec huit autres Frères des écoles chrétiennes.

Le bienheureux Ceferino, un indigène de Patagonie
En Patagonie, dans le Sud de l’Argentine, où vivent encore des peuples indigènes, le plus populaire parmi les fidèles est «Ceferino», Zéphyrin Namuncurá, né en août 1886 en Patagonie et mort le 11 mai 1905 à Rome. Ce séminariste salésien indigène, fils du légendaire chef mapuche Manuel Namuncura, est devenu bienheureux au cours d’une cérémonie célébrée le 11 novembre 2007 dans son village natal de Chimpay, à 850 km de Buenos Aires. C’est le premier autochtone d’Amérique du sud à être béatifié. JB

Le «curé gaucho» juché sur sa sempiternelle mule «Malacara», à l'entrée de Villa Cura Brochero | © Jacques Berset
21 mai 2020 | 17:00
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 6 min.
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