L’évêque du diocèse de Doba témoigne

Tchad: Les Églises dénoncent les irrégularités de l’élection d’Idriss Déby

N’Djamena, 12 juin 2001 (APIC) Les Eglises chrétiennes du Tchad réagissent quinze jours après la diffusion des résultats des élections présidentielles remportées par Idriss Déby. De passage à Fribourg, Mgr Michele Russo, évêque de Doba, au sud du Tchad dénonce les «magouilles» pour empêcher les opposants de voter.

«La proclamation des résultats provisoires a profondément humilié, découragé quant à l’espoir de voir s’instaurer  » dans le pays «un véritable Etat de droit «, peut-on lire dans la «lettre aux chrétiens et aux hommes de bonne volonté», signée par Mgr Charles Vandame, président de la Conférence épiscopale du Tchad, par le pasteur Jérôme Altana, secrétaire général de l’Alliance évangélique des Eglises de la Pentecôte et par le pasteur Ngyrndeye Bako, secrétaire général de l’Entente des Eglises et des Missions évangéliques.

Les représentants religieux craignent une escalade de la violence et demandent à la population de garder «la conviction que c’est par le droit et la justice que l’on peut obtenir le changement dans la paix». Ils invitent les croyants des autres religions, les hommes politiques et les personnes exerçant des responsabilités à examiner leur rôle dans les situations de crise que traverse le Tchad. «Nous sommes en partie responsables de ce que nous vivons, par nos choix politiques, nos comportements instables et matérialistes, nos compromissions et nos faiblesses devant la corruption», poursuivent les dignitaires chrétiens.

Arrestation des opposants

Les élections présidentielles du 20 mai dernier ont fait l’objet de nombreuses plaintes pour fraudes et irrégularités. Après une semaine de rumeurs sur un probable ballottage entre le candidat de la Far (Fédération action républicaine) Ngarlejy Yorongar et Idriss Déby, le président a été soudainement proclamé vainqueur au premier tour, avec plus de 67% des suffrages.

Les candidats de l’opposition ont été arrêtés et interrogés à plusieurs reprises, après avoir signé un document de protestation. Ils ont été relâchés, mais des heurts entre manifestants et policiers ont coûté la vie à un jeune militant d’opposition.

Idriss Déby est au pouvoir depuis 1990, lorsqu’il a renversé le dictateur Hissène Habré. En 1996, il a organisé les premières élections multipartites et les a remportées au ballottage. Interrogé par le correspondant du journal «Le Monde», le président a dit ne se sentir aucunement gêné par le concert de protestations contre les irrégularités de son élection. «La soif de pouvoir des opposants est grande et ils sont impatients. J’ai noué autour de moi une alliance de vingt-huit partis dont chacun dans son fief a fait campagne pour moi.»

Une «grande mascarade»

L’évêque du jeune diocèse de Doba, Mgr Michele Russo donne une explication bien différente à la réélection d’Idriss Déby qu’il qualifie de «grande mascarde». Interrogé par l’agence APIC à Fribourg, il indique que le gouvernement n’a pas renouvelé les cartes d’électeur de 1996 et que les bulletins de vote n’ont été distribuées que dans les «zones préférentielles», les quartiers de mission de N’Djaména ou de Doba, par exemple, en étant privés. Les prêtres et les évêques par exemple, ont ainsi été éliminés du scrutin. Radio France, Lionel Jospin et le président de l’Afrique du Sud ont parlé de «magouille», ajoute le prélat. «Ce n’est pas une petite affaire car les «irrégularités» portent au moins sur 2 millions de votes, le nombre de cartes de vote rentrées dépassant d’un million celui des ayants droits. On comprend que 8 représentants de la commission de contrôle des élections se soient retirés».

Manipulation du corps électoral

Les Eglises n’ont pas boycotté les élections mais ont demandé au contraire à leurs membres, y compris les prêtres et les séminaristes, le courage de s’annoncer dans les bureaux de vote où ils étaient inscrits. Lors de la consécration de la cathédrale de Doba, Mgr Russo n’a pas hésité à parler de «manipulation» du corps électoral s’agissant de l’élection du président et des pressions pesant sur le Tchad pour l’exploitation du pétrole. «Cela n’a pas plu au préfet. Je lui ai répondu que j’avais simplement pris au mot le président passant par Doba pour faire sa campagne. Le chef de l’Etat avait invité les religions à ne pas faire de la politique mais a prié pour que tout se passe dans la transparence… (apic/mna/mjp)

12 juin 2001 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 3  min.
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