Tensions dans l’Église: le pape François ne craint pas de schisme
Le document Fiducia supplicans ouvrant la voie aux bénédictions de couples homosexuels «veut inclure, non pas diviser», affirme le pape François au quotidien italien La Stampa, dans un entretien publié en double page de l’édition du 29 janvier 2024. Il évoque aussi sa santé, ses futurs voyages, et le conflit israélo-palestinien.
Comme il l’a fait en recevant les membres du dicastère pour la Doctrine de la foi (DDF) le 26 janvier, le pape défend le document Fiducia supplicans. Il spécifie à nouveau qu’on «ne bénit pas l’union mais les personnes». «Ceux qui protestent avec véhémence appartiennent à des petits groupes idéologiques», constate-t-il.
Le pontife concède que les Africains, qui se sont désolidarisés du document dans une déclaration approuvée par Rome, «sont un cas à part». «Pour eux l’homosexualité est quelque chose de ‘mauvais’ du point de vue culturel, ils ne la tolèrent pas», reconnaît-il.
Un texte pour «inclure» et non «diviser»
«Quand je perçois des tensions autour de moi, j’essaie d’instaurer des dialogues et des confrontations», explique encore le successeur de Pierre, qui assure ne pas craindre de schisme. «Dans l’Église, il y a toujours eu des petits groupes qui exprimaient des réflexions de couleur schismatique… il faut les laisser faire et passer… et regarder de l’avant», déclare-t-il. Il est confiant sur le fait que «graduellement, tous se rasséréneront sur l’esprit de la déclaration Fiducia supplicans […] qui veut inclure, non pas diviser».
Au-delà de l’Afrique, plusieurs diocèses ont pris leur distance vis-à-vis de ce texte autorisant les bénédictions pour les couples de même sexe, comme les évêques bretons ou polonais. Des personnalités éminentes ont aussi vigoureusement critiqué la déclaration, à l’instar de l’ancien préfet du DDF, le cardinal Gerhard Müller.
Pas de «guerre juste» mais une «légitime défense»
Au fil de l’entretien, le pontife s’inquiète du conflit israélo-palestinien «qui est en train de s’élargir dramatiquement». Dimanche 28 janvier, des soldats américains sont morts en Jordanie, victimes de l’intensification des attaques des milices pro-iraniennes, en réponse aux bombardements israéliens sur Gaza. «Il y avait l’accord d’Oslo, si clair, avec la solution des deux États. Tant que cet accord ne sera pas appliqué, la vraie paix restera lointaine», regrette-t-il.
Le pape confie aussi son espérance d’une trêve, évoquant «des réunions confidentielles […] pour tenter de parvenir à un accord». Il souligne que les habitants de Gaza, qu’il distingue «du Hamas» ont «droit à la paix».
François désigne le patriarche latin de Jérusalem Pierbattista Pizzaballa, qu’il a créé cardinal le 30 septembre, quelques jours avant le déclenchement du conflit, comme une «figure cruciale» dans les initiatives diplomatiques du Saint-Siège. «C’est un grand. […] Il essaie avec détermination de négocier», poursuit-il.
Le rapatriement des enfants ukrainiens à l’ordre du jour
Le pape prend ses distances quant au terme de «guerre juste» – présent dans le Catéchisme de l’Église catholique – qui peut être «instrumentalisé». «Il est juste et légitime de se défendre, […] mais parlons de ‘légitime défense’, afin d’éviter de justifier les guerres, qui sont toujours mauvaises», insiste-t-il.
Le pontife mentionne la récente mission de médiation du cardinal Matteo Zuppi, président de la Conférence épiscopale italienne, sur le front ukrainien. Il assure que les pourparlers pour «le rapatriement des enfants ukrainiens amenés de force en Russie» se poursuivent avec Maria Llova-Belova, la commissaire russe aux droits de l’enfant. Dans un entretien à L’Osservatore Romano le 1er décembre dernier, le cardinal secrétaire d’État Pietro Parolin indiquait que cette initiative avait permis d’enquêter sur des dizaines d’enfants, et de rapatrier le jeune ukrainien Bogdan Yermokhin, la veille de ses 18 ans, in extremis avant qu’il ne soit obligé de prendre les armes contre son propre pays.
De futurs voyages en projet
Sur sa santé, le pontife de 87 ans reconnaît «quelques petits ennuis». «Mais maintenant je vais mieux, je vais bien», assure-t-il. Il affirme ne pas penser à sa démission. «Cela ne m’inquiète pas. Si et quand je n’y arriverai plus, je commencerai éventuellement à y réfléchir. Et à prier à ce sujet». Alors qu’il a dû annuler un déplacement à Dubaï en décembre 2023 en raison d’une bronchite aiguë, il confirme le projet de voyage en Belgique, et puis de déplacement au Timor oriental, en Papouasie Nouvelle-Guinée et en Indonésie en août. En Italie, l’évêque de Rome entend bien aller à Vérone en mai et à Trieste en juillet.
Le pontife garde un projet de voyage en Argentine comme «une hypothèse». Il relate par ailleurs qu’il rencontrera le président argentin Javier Milei, qui viendra à Rome à l’occasion de la canonisation de la religieuse argentine «Mama Antula«, le 11 février prochain. «Je sais qu’il a demandé un rendez-vous pour un entretien avec moi: j’ai accepté et nous nous rencontrerons. Et je suis prêt à entamer un dialogue – parler et écouter – avec lui», déclare le pape. Javier Milei l’avait pris pour cible, proférant contre lui des propos insultants, durant la campagne électorale qui avait mené à son élection le 19 novembre.
Curé d’une paroisse planétaire
Le pontife évoque par ailleurs le thème de l’Intelligence artificielle (IA) en pleine expansion – auquel il a consacré plusieurs messages –, rappelant que l’IA doit se développer «toujours en harmonie avec la dignité de la personne (…) S’il n’y a pas cette harmonie, ce sera un suicide».
Près de 11 ans après son élection – le 13 mars 2013 – le 266e pape se sent «comme un curé (…) d’une très grande paroisse planétaire, bien sûr, mais j’aime conserver l’esprit d’un curé». (cath.ch/imedia/ak/rz)