Tessin: Refus du mariage à l’église pour un homme déclaré inapte à copuler
Un principe à «biffer du droit canon»
Georges Scherrer, Apic / Traduction: Bernard Bovigny
Fribourg, 13 novembre 2008 (Apic) Pas de mariage à l’église pour des personnes qui ne sont pas aptes à copuler. Ce principe dépassé, reliquat du droit germanique dans le droit canonique, doit être aboli, estiment certains spécialistes, dont le professeur d’éthique Alberto Bondolfi. Un cas dans le canton du Tessin a abouti l’été dernier, après des rebondissements, à l’annulation d’un mariage catholique.
Une situation vraiment pénible. D’abord, l’évêché de Lugano refuse le mariage religieux à un paraplégique. La cérémonie et la fête, prévues pour le 12 juillet, sont annulées par le couple. Trois jours avant la date du mariage, le vicaire général de Lugano donne tout de même le feu vert. «Après toutes les discussions avec l’évêché, je ne pouvais plus convaincre ma femme de se marier à l’église», a affirmé à l’Apic le mari, que nous appellerons Matteo (*).
Ce dernier souhaite que l’Eglise se dote de lignes directrices claires sur ce qui doit se passer en cas de demande de mariage religieux de la part d’un handicapé. Il aimerait épargner à d’autres les rebondissements qu’il a connus.
Dans son cas, un jeune prêtre n’a pas voulu prendre seul le risque d’accepter de célébrer le mariage du couple. Il a demandé une autorisation à l’évêché, qui a d’abord répondu par la négative. S’il voulait avoir des enfants, le couple devait faire appel à la procréation artificielle, ce que l’Eglise n’accepte pas, ont expliqué à Matteo les autorités ecclésiales de Lugano, avant revenir sur leur décision.
L’actuel administrateur de la paroisse de Zollikon (Zürich), le curé Albin Keller, est très touché par ce qui s’est passé au Tessin. Il est un ami de longue date de Matteo. Il l’a même connu avant l’accident qui l’a cloué sur une chaise roulante. L’évêché de Lugano a également expliqué à l’abbé Keller que Matteo ne pouvait pas se marier à l’église car il n’était pas apte à procréer.
Les discussions ont de toute façon amené le couple à ne plus vouloir s’unir à l’église. «Et ça je peux tout à fait le comprendre», affirme Albin Keller. Les concernés ont vécu «des rebondissements cruels». «J’aurais en tous cas célébré leur mariage», lance l’abbé Keller. Mais l’évêché de Lugano lui a indiqué qu’il pouvait proposer au couple une célébration, mais sans le sacrement du mariage. Contacté par téléphone, l’évêché de Lugano n’a pas souhaité commenter cette affaire.
Consentement ou acte sexuel?
Le Code de droit canonique affirme dans le canon 1084,1 que «L’impuissance antécédente et perpétuelle à copuler de la part de l’homme ou de la part de la femme, qu’elle soit absolue ou relative, dirime (réd: «empêche») le mariage de par sa nature même». Deux considérations sont à prendre en compte face à cette règle de l’Eglise, affirme le professeur d’éthique Alberto Bondolfi, de l’Université de Lausanne: une considération juridique et une considération éthique du point de vue théologique. L’Eglise catholique connaît d’ailleurs deux traditions qui s’appliquent dans le mariage. La première se résume dans la locution latine: «consensus facit nuptias» (le consentement fait le mariage). Selon elle, c’est la volonté libre d’un homme et d’une femme d’accomplir ce pas qui est nécessaire pour la conclusion du mariage. Ce principe est issu du droit romain.
La deuxième tradition est basée sur le principe «copula facit nuptias»: l’accomplissement de l’acte sexuel constitue le mariage. Cette phrase est issue du droit germanique, explique Alberto Bondolfi, et elle est inspirée de l’ordre juridique médiéval.
«Aujourd’hui, ces dispositions ne sont plus mises en avant. Elles sont liées à un contexte historique et ne sont pas ancrées explicitement dans le Nouveau Testament», affirme le professeur d’éthique, tout en regrettant que ce principe controversé n’ait pas été biffé du Code de droit canonique lors de sa révision en 1983. Cette révision aurait dû mettre en application la conception du mariage définie par le Concile de Vatican II: «Mais ce qui me dérange le plus, c’est que la population pense que l’Eglise est fixée sur la sexualité», poursuit le professeur Bondolfi. L’Eglise réduirait donc l’amour à la sexualité, et la sexualité à l’acte sexuel.
Un paraplégique n’est pas stérile, mais inapte à copuler
Il est clair que l’amour vit de l’union corporelle, mais il n’est pas limité à cela. Et en plus, l’union corporelle peut connaître de nombreuses formes. La copulation mène à la procréation, mais elle n’est pas la seule forme de rencontre physique. Comme dans le cas de ce couple au Tessin où l’homme n’est pas apte à accomplir des relations sexuelles, il peut manifester de l’amour à sa femme, de la façon la plus intime, dans les limites que lui permet son handicap. Et de nos jours, la médecine permet de dépasser certaines limites de la stérilité. Le sperme de l’homme est prélevé, et peut permettre à la femme de devenir enceinte. En somme, un paraplégique n’est pas stérile, mais inapte à copuler.
L’Eglise est donc inconséquente, estime Alberto Bondolfi. Lorsque deux personnes de 80 ans veulent se marier, elles le font avec la bénédiction de l’Eglise, même si chacun sait qu’ils ne pourront pas avoir d’enfants. «J’espère que le Code de droit canon sera modifié, car il n’y a plus de véritables fondements théologiques qui justifient le maintien de ce canon». La justice civile a abandonné depuis longtemps la conception germanique du mariage. GS/BB
Encadré
Un cas similaire en Italie
Un cas comparable à celui du Tessin s’est passé l’été dernier en Italie. Un évêque a refusé de célébrer une union religieuse, pourtant planifiée, arguant que le futur marié, devenu paraplégique après un grave accident de la route, souffrait d’ «impuissance copulative».
L’histoire d’un jeune couple de Viterbe, une ville située à cent kilomètres au nord de Rome, a ému l’Italie. Les fiancés âgés de 25 et 26 ans étaient sur le point de se marier. Mais, un mois avant la célébration religieuse, un grave accident de la route a privé le jeune homme de l’usage de ses jambes. Une raison suffisante, aux yeux de l’évêque de Viterbe, pour annuler la célébration du mariage à l’Eglise.
Les amoureux ont présenté une déclaration dans laquelle ils disent assumer cette situation. La paralysie du jeune homme, et son impuissance, peuvent d’ailleurs ne pas être permanentes, d’après les spécialistes de l’hôpital de Rome où il a été soigné. Mais Mgr Lorenzo Chiarinelli est resté inflexible: pas de mariage à l’Eglise, par «prudence pastorale», lit-on dans le journal «Il Messaggero».
Une cérémonie civile s’est déroulée en juin à l’hôpital, en présence de médecins, d’infirmières, de patients… et d’un prêtre ami de la famille. Le Père Gianni Carparelli a béni les alliances. Et promis de procéder à leur union dès que possible. Cette fois, il l’espère, devant l’autel d’une église. BB
Indication aux rédactions: Des photos du professeur Bondolfi peuvent être commandées à: kipa@kipa-apic.ch. Prix pour publication: 80 Frs la première, 60 Frs les suivantes. (apic/gs/bb)