nouveau projet de la loi sur la prostitution

Thaïlande: controverse autour d’un (030292)

De notre correspondant à Bangkok, Richard Werly

Bangkok, 3 février(APIC) Approuvé mardi 28 janvier par le Conseil des ministres thaïlandais, un nouveau projet de loi visant à décriminaliser la

prostitution suscite actuellement la controverse dans l’ancien royaume de

Siam. Selon ce texte, qui doit être présenté prochainement devant l’Assemlée nationale, les prostituées âgées de plus de 18 ans pourront désormais

exercer légalement leur «profession». A la condition de se prêter à des

contrôles sanitaires réguliers gratuits. Et de posséder une «carte de santé

valide», dont la couleur variera en fonction des résultats de leurs précédents «Check ups».

Considérées jusque là comme des criminelles par la légalisation en vigueur, les prostituées devraient pouvoir ainsi échapper au harcèlement des

forces de police, soupçonnées d’être souvent de mêche avec les proxénètes.

Seuls resteront interdits, le raccolage sur la voie publique et la prostitution des mineurs. Ainsi que l’exercice du proxénétisme, désormais

sanctionné par des peines de prison beaucoup plus lourdes qu’auparavant.

Compte tenu de la réalité de ce pays – où la prostitution des jeunes

filles originaires des campagnes pauvres, attirées notamment par l’afflux

touristique (problème endémique) – les milieux progressistes thaïlandais

réclamaient depuis longtemps l’abrogation de la loi actuelle, qui date de

1960. Parfaitement hypocrite, comme en témoignent les centaines de bars «à

go go» et autres salons de massage de Bangkok, cette législation permet en

effet aux proxénètes de disposer d’un moyen de pression non négligeable sur

leurs «protégées», qu’ils menacent couramment de dénoncer à la police à la

première incartade.

Les carences de la nouvelle loi

D’après les autorités, ce nouveau projet de loi vise au contraire à lutter contre l’exploitation liée au «commerce du sexe». Celles-ci assurent

que des mesures très strictes seront prises pour obliger la police à concentrer son action sur les proxénètes et sur le démantèlement des réseaux

de prostitution clandestine. L’accent sera mis, par ailleurs, sur la répression de la prostitution des mineurs: un dossier cher à l’actuelle ministre de la Constitution féminine Saisures Chutikul, selon laquelle «des

peines vingt fois supérieures à celle prévues par la législation précédente

devraient être prononcées pour tout individu reconnu coupable d’avoir organisé ou profité de la prostitution d’une personne âgée de moins de 18 ans.

Selon la presse thaïlandaise en revanche, le texte de ce projet de loi

comporte, malgré son bien fondé apparent, des carences importantes. Justifié officiellement par la nécessité de «suivre régulièrement l’état de santé des prostituées», la future distribution de cartes roses (sujet sain) ou

marron (sujet porteur d’une maladie vénérienne) ne résoudra en rien,

d’après ses détracteurs, deux problèmes principaux: celui de la prévention

d’une part et celui du reclassemnent des personnes «contaminées» d’autre

part. Ce qui ne manque pas d’inquiéter, compte tenu de l’épidémie actuelle

du sida qui frappe la Thaïlande, où l’on dénombre déjà près de 600’000 séropositifs (un taux record en Asie du Sud-Est).

Faute de contrôle médical imposé aux clients, rien ne permettra, par

exemple, aux prostituées saines de disposer de données fiables sur l’état

de santé de leurs partenaires. Pire: la distribution de cartes de couleur

risque de provoquer chez les «consommateurs» potentiels un dangereux sentiment de sécurité. Comme l’explique un travailleur social de Patpong, le

quartier chaud de Bangkok: «Qui vous dit que le client acceptera d’utiliser

un préservatif si sa compagne ou son compagnon d’un soir lui prouvent

qu’ils sont en bonne santé? Dans bien des cas, l’effet obtenu risque d’être

à l’inverse de l’effet souhaité…»

Prisonnières d’un système

Pressées par leurs clients de ne pas recourir aux préservatifs, les prostituées saines seront alors encore plus exposées. Enfin, selon les milieux

médicaux, l’apparition tardive du virus HIV, porteur du sida, porte atteinte à la crédibilité des cartes sanitaires: Une fille peut très bien avoir

contracté le virus et conserver sa carte rose pendant les six mois suivants, affirme Summatra Troy, une activiste féministe thaïlandaise. Avant

de dénoncer le «vide» du texte en ce qui concerne le reclassement futur des

prostituées contaminées: «Le projet prévoit de traiter les malades jusqu’à

leur guérison, puis de les laisser réintégrer la prostitution. Mais cela

ne veut plus rien dire dans le cas du sida qui est, comme on le sait, une

maladie incurable».

Pas question donc de baisser pavillon: lancée ces deux dernières années

par des groupes activistes, les campagnes d’information sur le sida dans

les bars, maisons closes et autres salons de massage vont se poursuivre et

même s’intensifier. Car même protégées de leurs souteneurs par la loi, les

prostituées n’auront pas pour autant une vie meilleure: «Le milieu, lui, ne

changera pas», résume Mme Khunying Khanitha, dont le foyer de réinsertion

proche de l’aéroport de Bangkok accueille plusieurs dizaines d’ex-filles de

Patpong. Même libres en théorie, la plupart d’entre elles continueront

d’être prisonnières d’un proxénète ou de certains policiers corrompus qui

les exploitent parfois avec la complicité de leurs parents. Enchaînées par

la misère qui les a fait échouer dans ces maisons sordides. (apic/rw/pr)

3 février 1992 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
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