Les tabous tombent... mais pas tous
Thaïlande: le bouddhisme et les femmes (080793)
Bangkok, 8juillet(APIC) En Thaïlande aussi, les femmes tentent de s’affirmer, pour assumer de droit un rôle dans la société thaïlandaise, dans
les affaires et la politique du pays. Les tabous tombent, là également. Il
existe pourtant un domaine encore tabou où l’égalité des chances reste impensable, c’est l’institution monacale thaïlandaise. Un problème que soulève la dernière édition d’»Eglises d’Asie».
Depuis des siècles, les hommes sont éduqués à croire que le seul moyen
d’atteindre l’illumination est d’être ordonné moine. Les femmes, au contraire, ont été habituées par la tradition et par la loi à accepter leur
incapacité à parvenir à cet objectif, parce qu’elles ne peuvent pas être
ordonnées.
Il n’en fut pourtant pas toujours ainsi. En se référant à l’histoire,
force est de constater que le statut de moine était autrefois ouvert aux
deux sexes: les hommes devenaient bhikkhus et les femmes bhikkhunis. Mais
depuis lors les moniales ont disparu du bouddhisme thevarada, le plus largement pratiqué en Thaïlande.
Aujourd’hui, un groupe de bouddhistes féministes a fondé un mouvement
sous la direction de Chatsumarn Kabilasigh, pour rétablir une Sangha
bhikkhuni (Conseil de gouvernement du boudhisme) dans le pays. Même si cette croisade a souvent été accueillie avec scepticisme, voire avec des quolibets ironiques, Chatsumarn continue à croire au bénéfice social d’une
Sangha bhikkhuni. «Tout d’abord, l’occasion serait donnée aux femmes
d’avoir un statut dans la religion si elles désirent suivre leur foi», ditelle. Les femmes qui aujourd’hui veulent «quitter le monde» peuvent devenir
des nonnes bouddhistes, mais à cause du statut social très bas, elles ne
sont reconnues ni socialement ni religieusement. «Les nonnes bouddhistes ne
sont pas classées dans l’un des quatre groupes traditionnellement reconnus
par le bouddhisme. Les femmes qui veulent sérieusement pratiquer le
bouddhisme n’y trouvent pas d’image positive ou de modèle», explique-t-elle.
Nonne pour échapper à un échec social et non par conviction religieuse
Ces quatre groupes reconnus par le bouddhisme sont les bhikkhus, les
bhikkunis, les laïcs et les laïques. Selon Chatsumarn, une Sangha des moniales aiderait à la satisfaction spirituelle des femmes, mais contribuerait aussi à guérir un certain nombre de maladies sociales.
Mais le problème crucial posé par l’établissement éventuel d’une Sangha
bhikkuni est celui de son acceptation par les moines, relève le vénérable
Watra Songthamkalyanin: «Les bhikkunis ont disparu depuis longtemps du
bouddhisme thevarada, par conséquent, le statut ainsi acquis d’une bhikkuni
sera critiqué, spécialement si on insiste pour dire que les bhikkunis sont
égales en droit aux bhikkus, insiste le vénérable, doyen de la Faculté à
l’Université bouddhiste de Maha Chulalongkorn.
Dans le passé, l’accès au statut de bhikkuni exigeait une ordination
préalable par une assemblée de dix bhikkunis. L’ordination finale était ensuite conférée par une assemblée de moines. Si aujourd’hui l’ordination
d’une nouvelle bhikkuni est improbable, il reste possible de faire ordonner
des bhikkunis thaïlandaises par des bhikkunis taïwanaises appartenant à la
tradition mahayana, qui ont eux conserver cette ouverture. La bhikkuni Voramai est ainsi devenue la première et la seule femme thaïlandaise à avoir
été ordonné à Taïwan.
Le débat est sans doute à peine lancé. Il a cependant le mérite de faire
réfléchir. Même si les avis divergent. Plutôt que d’établir une Sangha
bhikkuni, qui pourrait créer des conflits, dit-on à Bangkok, il vaudrait
mieux avancer par étapes. La première priorité serait de donner davantage
d’éducation dhamma aux nonnes afin d’améliorer et élever leur statut. Ce
que n’admet pas Chatsumarn, qui affirme: «Les nonnes ont été négligées depuis si longtemps qu’elles ne peuvent pas former une organisation religieuse utile au développement social. Beaucoup d’entre elles ne font que des
corvées au service des moines». Une enquête récente révèle que 70% d’entre
elles sont devenues nonnes pour échapper à un échec social et non par conviction religieuse. (apic/eda/pr)