Le chanoine Antoine Salina a fait une "demande de pardon appuyée" aux victimes des abus sexuels, aux fidèles et aux proches de l'Abbaye de Saint-Maurice au nom de laquelle il a donné une conférence de presse à Bex | © Bernard Hallet
Suisse

St-Maurice: un délégué apostolique prendra la gouvernance de l’Abbaye

L’Abbaye de St-Maurice (VS) a annoncé le 23 novembre 2023 qu’un délégué apostolique désigné par le Vatican prendrait la gouvernance de l’institution. Lors d’une conférence de presse à Bex (VD), le retrait du chanoine Roland Jaquenoud de la direction provisoire de l’Abbaye a également été confirmé.

«Notre communauté voudrait demander pardon à toutes les victimes des agissements de certains de nos confrères chanoines», a assuré Antoine Salina lors de la conférence de presse. La requête est assortie aux fidèles, aux collégiens et à tous ceux qui ont fait confiance à l’Abbaye de St-Maurice. Antoine Salina se trouvait donc seul face à la vingtaine de journalistes réunis dans la Grande Salle du Parc, à Bex. Le conseil abbatial a désigné le chanoine de St-Maurice, aujourd’hui retraité, mais œuvrant encore comme auxiliaire dans les paroisses, pour porter sa parole.

La démarche fait suite au scandale provoqué par l’émission de la RTS Mise au Point du 19 novembre 2023. Le reportage a révélé neuf dossiers liés à des abus sexuels commis par des chanoines de l’Abbaye valaisanne, dont Roland Jaquenoud. Le prieur de l’Abbaye avait remplacé Jean Scarcella en septembre dernier, après que ce dernier ait été annoncé sous le coup d’une enquête canonique pour une agression sexuelle.

Prise en main de Rome

L’une des principales informations délivrées par Antoine Salina a été la décision de Rome d’assigner à l’Abbaye de St-Maurice un délégué apostolique. «Cette personne aura le pouvoir d’un Père-Abbé», précise Antoine Salina à cath.ch. Le délégué de Rome pourra notamment décider qui sera le prochain Père-Abbé, qui peut être quelqu’un de l’extérieur de l’abbaye, voire un religieux d’une autre congrégation.

Le délégué de Rome pourra notamment décider qui sera le prochain Père-Abbé, a précisé Antoine Salina | © Bernard Hallet

Le «porte-parole» de l’Abbaye a également annoncé que Roland Jaquenoud se retirait provisoirement de sa charge. «Le terme provisoire a été utilisé afin de ne pas lier sa démission au reportage de la RTS, a expliqué Antoine Salina. Mais il est clair que ce retrait sera définitif», a-t-il précisé. Le prieur se trouverait actuellement chez un membre de sa famille où il trouve du soutien.

Cas anciens

Antoine Salina a passé en revue les différents cas relevés par Mise au Point, tout en soulignant que de nouveaux avaient été révélés depuis par d’autres médias. Antoine Salina a souligné que la majorité des affaires concernaient des chanoines aujourd’hui décédés et des faits remontant parfois à plus de 60 ans. 

«Personne dans l’Abbaye ne peut avoir une vision exhaustive de ce qui s’y est passé depuis plus d’un siècle», a remarqué le «porte-parole». D’autres cas concernent des situations qui se sont soldées par des périodes de prison préventive et des peines de prison avec sursis.

Il a confirmé une information délivrée par le quotidien Le Temps le 23 novembre, selon laquelle un chanoine retraité s’était spontanément dénoncé à l’Abbaye pour un cas s’étant produit à Porrentruy dans les années 1980. Le religieux aurait pris une photo en slip d’un étudiant du Collège de St-Maurice, affilié à l’Abbaye. Antoine Salina, qui a enseigné 33 ans dans l’établissement, a expliqué avoir côtoyé l’auteur du cliché, dont la photographie était une marotte. Il a assuré n’avoir jamais pu soupçonner la personne de ce type de comportement.

Audit prévu

Antoine Salina a également évoqué un article du journal valaisan Le Nouvelliste sur la présence d’un système d’abus dans le noviciat de St-Maurice, dans les années 2000. Une accusation que l’Abbaye prend au sérieux, le chanoine indiquant qu’un audit externe a été décidé sur le mode de fonctionnement de l’institution.

Il a admis l’existence d’une «culture de l’omerta». «Aujourd’hui, tout cela n’est plus possible, à la fois grâce à une prise de conscience et à une pression médiatique bénéfique.» | © Bernard Hallet

Le «porte-parole» est revenu sur le cas de Mélanie Bonnard. La femme âgée aujourd’hui de 34 ans a affirmé dans Mise au Point avoir été agressée sexuellement par un chanoine de l’Abbaye alors qu’elle avait 12 ans. Tout en évoquant un «témoignage bouleversant» que les chanoines étaient «prêts à entendre», Antoine Salina a expliqué la difficulté pour l’Abbaye de traiter cette affaire. La justice a en effet émis un non-lieu à l’époque, et le chanoine accusé, dont le nom n’a pas été donné, nie toujours l’acte. «C’est la parole de l’un contre la parole de l’autre», a-t-il relevé.

Le chanoine accusé a été mis en retrait le 23 novembre, pour faciliter l’enquête.

Relation consentie?

Le cas de Roland Jaquenoud a été le plus commenté. Mise au Point a présenté le témoignage d’un ancien novice assurant que l’un de ses confrères avait subi en 2003 une relation sexuelle non consentie de la part de Roland Jaquenoud, qui était à l’époque maître des novices. Les auteurs du reportage ont également affirmé avoir parlé avec le novice présumément abusé, qui aurait confirmé les faits. »Si un ancien novice pense encore être une victime, comme exprimé par la presse, nous sommes disposés à accueillir son témoignage et le cas échéant le transmettre à la police», a assuré le «porte-parole».

Il a cependant précisé que le cas avait été examiné et jugé par Rome en tant que relation consentie entre deux personnes majeures. «La chose a été réglée selon les dispositions canoniques relevant de l’infraction au vœu de chasteté», a relevé le chanoine. Roland Jaquenoud avait alors été écarté du noviciat. Antoine Salina a assuré que le séjour de onze ans de Roland Jaquenoud au Kazakhstan, de 2004 à 2015, n’était en aucun cas une «punition», ni un éloignement, mais une réelle démarche missionnaire.

Antoine Salina a assuré que le séjour de Roland Jaquenoud au Kazakhstan n’était en aucun cas une «punition» | © Bernard Hallet

Antoine Salina a cependant admis que l’élection de Roland Jaquenoud au poste de prieur, en 2015, avait probablement été inappropriée. «A ce moment-là, il n’y avait pas 36 profils qui convenaient, assure le chanoine. Il est vrai que nous avons privilégié ses grandes compétences, par rapport aux problèmes qui pouvaient résulter de cette ancienne affaire. Cela a sans doute été imprudent.»

Lorsque Jean Scarcella a quitté sa charge en septembre, le prieur, en tant que ‘numéro deux’ de l’Abbaye, a remplacé ce dernier, conformément aux constitutions.

La police a rencontré Roland Jaquenoud

Le «porte-parole» de l’Abbaye a en outre relevé qu’il y avait eu d’intenses discussions quant à l’affectation de Roland Jaquenoud au poste d’enseignement au Collège. «Là également, nous avons sans doute été de l’ancienne école. Mais nous avons aussi agi selon les informations dont nous disposions, c’est-à-dire d’une affaire de relations consenties entre deux adultes, qui avait été réglée par Rome il y a 20 ans. Nous avons considéré que le dossier était clos et que Roland Jaquenoud était un excellent professeur». Antoine Salina remarque qu’aucune plainte n’a jamais émané de la période d’enseignement du prieur. Ce dernier a été suspendu de son poste au Collège de St-Maurice par le Service de l’éducation valaisan le lendemain de la diffusion du reportage.

«C’est plus qu’une déconvenue, il y a un sentiment d’horreur et de dégoût plus que légitime» | © Bernard Hallet

Les réactions de l’État valaisan, qui a notamment mis en place une commission spéciale pour traiter l’affaire, n’ont pas été commentées par Antoine Salina, qui a assuré de la pleine collaboration de l’Abbaye, notamment de la mise à disposition de ses archives. Il a confirmé que la police avait rencontré Roland Jaquenoud au matin du 23 novembre. La police a également réalisé un relevé «géographique» des archives afin de s’assurer qu’aucun document ne disparaisse.

Culture de l’omerta

La conférence de presse a mis un accent particulier sur la prise de conscience de l’Abbaye. «C’est plus qu’une déconvenue, il y a un sentiment d’horreur et de dégoût plus que légitime», a déclaré Antoine Salina. Malgré la profondeur du mal commis, le chanoine a considéré qu’il n’y avait pas eu de «système» pour couvrir ces agissements. Il a toutefois admis l’existence d’une «culture de l’omerta», mais qui «prévaut de moins en moins». «Aujourd’hui, tout cela n’est plus possible, à la fois grâce à une prise de conscience et à une pression médiatique bénéfique.»

«Nous sommes tous éclaboussés, mais notre souci, au-delà de la reconnaissance de la souffrance des victimes, se porte sur les cinq nouveaux confrères en formation», a assuré Antoine Salina. Tout en espérant que le scandale ne les décourage pas dans leur vocation, le chanoine a rappelé que l’objectif de l’Abbaye était à présent de «retrouver la profondeur de la mission de l’Eglise en faveur des plus faibles». (cath.ch/arch/rz)

Le chanoine Antoine Salina a fait une «demande de pardon appuyée» aux victimes des abus sexuels, aux fidèles et aux proches de l'Abbaye de Saint-Maurice au nom de laquelle il a donné une conférence de presse à Bex | © Bernard Hallet
24 novembre 2023 | 00:01
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 6 min.
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