Jeanne Pierson, première colocatrice de la maison Lazare de Vessy (GE) | © Lucienne Bittar
Suisse

Un dîner à la maison Lazare des femmes, colocation solidaire à Genève

La première maison suisse pour femmes de l’Association Lazare a été officiellement inaugurée à Genève cet automne. Dix jeunes femmes vivent ici en colocation: cinq ‘jeunes pros’, des femmes professionnellement actives portées par leur foi chrétienne, et cinq autres en situation de précarité, envoyées par des assistants sociaux de l’Hospice général. Rencontre le temps d’une soirée.

Située dans une zone résidentielle de Vessy, dans la campagne genevoise, la demeure se prête à merveille à cette grande colocation solidaire, placée sous le signe de l’amitié. La maison compte dix chambres et trois salles de bain, et les pièces communes – cuisine, salle à manger et salon – sont vastes. Chacune des colocataires dispose donc d’un espace personnel où se retirer quand le besoin se fait sentir et de salles propices à sa socialisation.

La parabole évangélique de Lazare (Luc 16,19-31)
Lazare, un homme très pauvre et couvert d’ulcères, probablement sans domicile fixe, se tenait devant la porte de la maison d’un homme riche qui ne fit rien pour l’aider. À leurs morts respectives, le riche se retrouva en proie aux tourments pour ne pas avoir accompli la volonté de Dieu, tandis que le pauvre trouva consolation auprès d’Abraham. LB

Le terrain abrite aussi un jardin et une dépendance, dans laquelle vivent Clément et Maïlys, le couple de responsables bénévoles de la maison, et leurs deux enfants, selon le schéma classique mis en place par l’Association Lazare (voir encadré).

Dans la cuisine, Jeanne, une des ‘jeunes pros’, et Emma* s’activent. Gratin aux légumes, verrines de yogourt au coulis de fruits rouges sur fond de biscuit: l’heure est à la préparation d’un repas de fête. Car ce soir d’octobre 2025 est celui du dernier dîner de ›coloc’ auquel participe Jeanne Pierson, 31 ans, première membre de cette colocation de femmes lancée à Genève par l’Association Lazare. Après plus d’un an passé ici, cette traductrice pour le Conseil œcuménique des Églises, active dans l’évènementiel chrétien, a décidé de déménager et de débuter un nouveau projet de vie.

Maître mot: l’amitié…

«Je suis quelqu’un de très sociable, explique-t-elle. J’habitais seule dans mon studio depuis plusieurs années et j’avais envie de sortir de ma zone de confort, de vivre de nouvelles amitiés avec des personnes que je n’aurais pas croisées par ailleurs. Et aussi de vivre ma foi chrétienne avec d’autres. Le projet Lazare m’a tout de suite parlé et je me suis engagée pour une année.»

Jeanne intègre la maison en août 2024, à son ouverture. Les débuts sont difficiles, car elle se retrouve deux mois toute seule dans la grande maison! Pas terrible pour une coloc… Elle entreprend avec la famille responsable des travaux de rafraîchissement du lieu. En octobre, une seconde locataire intègre les lieux. Puis, en janvier 2025, c’est le «miracle»: sept femmes habitent la maison. Le partage de vie dans l’amitié et la foi peut enfin commencer pour Jeanne.

Des sorties communes pour renforcer les liens. Ici les Genevois | © Association Lazare

Le partage du quotidien

«En tant que chrétienne, je trouve important de donner de son temps, relève la traductrice. C’est le plus beau cadeau qu’on puisse faire aux gens. Vivre l’Évangile, ce n’est pas seulement aller à l’église, prier, c’est être proche des autres, aimer son prochain comme soi-même. Le but de l’Association Lazare est le partage du quotidien. Cela permet de vivre des amitiés en toute simplicité. Et même si nous ne mangeons pas ensemble tous les soirs, nous avons le temps de tisser des liens.»

«À force de se côtoyer, on arrive à se ›décrypter’ les unes les autres, à savoir si telle ou telle a besoin de parler ou juste d’une présence bienveillante», confirme Emma, qui a intégré la coloc il y a six mois sur le conseil de son assistante sociale. En une année, ce mode de fonctionnement a été bien rodé. «L’accueil des nouvelles arrivantes est plus facile aujourd’hui, estime-t-elle. On ne va pas les laisser errer dans cet espace qu’elles ne connaissent pas. On va essayer de les intégrer au mieux. Et c’est cette dynamique qui va leur permettre de se sentir libre avec nous.»

Quid de la foi?

Du côté des ›jeunes pros’, le soutien de la foi est un plus certain. «Lazare n’est pas un mouvement catholique mais plutôt un mouvement d’inspiration chrétienne», précise Jeanne. La maison pour hommes de Genève (première de Suisse, créée en 2021) a ainsi hébergé un temps un pasteur protestant comme ‘jeune pro’.

Le petit oratoire de la coloc Lazare | © Lucienne Bittar

Comme toutes les maisons Lazare, celle de Vessy abrite un petit oratoire avec une icône devant lequel celles qui le désirent se retrouvent pour prier ensemble tous les matins. «Ce n’est pas facile d’être fidèle à ce rendez-vous matinal (7h40). Il y en a qui prient et qui doivent tout de suite partir au travail et d’autres qui retournent se coucher», sourit Jeanne.

«Personnellement, cela m’apporte beaucoup, poursuit-elle. Je pensais du reste trouver ici un tabernacle, comme cela se fait dans d’autres maisons Lazare. Avant, j’habitais à cinq minutes d’une église et j’allais à la messe tous les jours. Je savais qu’en vivant ici, loin du centre, je ne pourrais plus assister quotidiennement à la messe. Du coup, je misais sur la présence réelle du Christ dans la maison. C’était pour moi une vraie motivation. J’ai été un peu triste de découvrir qu’il n’y avait pas de tabernacle. Mais bon, j’admets que cela aurait été un luxe énorme…»

Une maison ouverte à toutes

Du côté des colocataires en situation de précarité, par contre, les questions de croyances n’entrent pas en considération. La coloc de Vessy compte du reste une hindouiste et une musulmane. «Tant que tout cela se vit dans le respect mutuel, remarque Emma, tout va bien. Cela ne nous empêche pas de partager parfois des moments spirituels. Nous rentrons de la Forclaz, où nous avons passé un week-end de sortie commune avec la coloc des garçons. Il y a eu une messe, et Évelyne, qui est musulmane, et moi-même nous y sommes rendues.»

Comme le dira avec simplicité Évelyne un peu plus tard, lors du dîner commun: «Je suis croyante. J’avais envie de me recueillir avec certaines d’entre vous catholiques. Et cela a été un beau moment de partage.»

Les questions d’intendance

Sinon, comme dans toutes les colocations, les questions d’organisation pratique et de gestion des espaces communs (la cuisine et les sanitaires en particulier) forment un point d’orgue. Tout peut être mis à plat lors du repas obligatoire de coloc hebdomadaire. Du genre: «S’il-te-plaît ne prend pas ta douche après 23h car ma chambre donne derrière les tuyaux et cela me réveille.»

Ce moment de partage se révèle extrêmement précieux pour désamorcer de possibles conflits. «Ma plus grande peur, témoigne Emma, était de me retrouver face à des personnes aux comportements limites, gérant mal la vie commune. D’autant plus que je suis devenue très sensible aux bruits et aux cris. Mais Maïlys m’a rassurée lors des entretiens d’intégration. Elle m’a dit que, de toute façon, on n’a pas le droit à la violence, qu’elle soit physique ou verbale. Qu’y recourir peut entraîner une cessation du contrat.»

Finalement, Emma ne regrette pas du tout son choix. Elle dit avoir trouvé dans la maison Lazare un mode de vie qui lui fait du bien, imprégné de bienveillance et d’un esprit familial.

La simplicité du quotidien

Un ‘toast’ haut en couleur | © Lucienne Bittar

La nuit tombe, la maison se remplit et le gratin est à point. Le dîner d’au-revoir organisé par Jeanne peut débuter. Les colocatrices gagnent la salle à manger, vêtues de belles robes de soirée pour lui faire honneur. Autour de la table, on trinque à l’eau (l’alcool est interdit dans la maison) et aux verrines de dessert! Jeanne distribue des petits cadeaux. Puis le rituel hebdomadaire est lancé.

Chacune, à tour de rôle, s’exprime à propos du week-end organisé à la Forclaz, partage sa ›pépite’, ce moment qui a été particulièrement heureux ou marquant à ses yeux. Des rires fusent, des échappées de tendresse, de fragilités ou d’impatience aussi. Puis les problèmes concrets sont abordés. Ils ne trouveront pas forcément de solution ce soir-là. «Tout se fait dans la simplicité désarmante du quotidien, souligne Maïlys. La magie opère de manière invisible.» (cath.ch/lb)

*Prénom fictif

L’Association Lazare
Créée en France en 2010 par Étienne Villemain, un catholique nantais, l’Association Lazare, reconnue d’utilité publique, anime et développe des colocations solidaires entre des jeunes actifs et des sans-abris ou des personnes soutenues par l’assistance sociale. Lazare est une association sœur de l’Association pour l’amitié, cofondée en 2006 avec Martin Choutet par le même Étienne Villemain, première organisation proposant des colocations avec des personnes de la rue dans des appartements à Paris.
Dans un article publié en 2027 dans le quotidien La Croix, Étienne Villemain est décrit comme un homme qui «place parmi ses priorités la défense de la vie et celle de la famille». Ainsi, une famille médiatrice vit au côté de chaque maison Lazare. Le couple parental responsable de la bonne tenue du projet s’engage pour trois ans à faire vivre et respecter la charte de la colocation et à offrir un visage familial à la colocation.
Si Lazare refuse tout prosélytisme, elle offre à ses membres la possibilité de pratiquer ensemble leur foi catholique. Chaque maison, par exemple, abrite un petit oratoire. Ceux qui le souhaitent peuvent participer aux laudes, moment de prière matinal.
L’association est implantée dans quatorze villes de France, ainsi qu’en Belgique, en Espagne, au Mexique et en Suisse. LB

Jeanne Pierson, première colocatrice de la maison Lazare de Vessy (GE) | © Lucienne Bittar
8 décembre 2025 | 17:00
par Lucienne Bittar
Temps de lecture : env. 6  min.
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